Dossier Tendances RH 2024

François Merlin : « L’un des défis de la fonction RH en 2024 sera de conjuguer nécessités vitales à l’entreprise, épanouissement et préservation de la qualité de vie des salariés”

le 01 mars 2024
"L’un des défis de la fonction RH en 2024 sera de conjuguer nécessités vitales à l’entreprise, épanouissement et préservation de la qualité de vie des salariés”
François Merlin
François Merlin

Chef d’orchestre depuis 1987, François Merlin a, notamment, fondé l’ensemble des cuivres de Paris Polyphanie et remporté le prix de la fondation Yehudi Menuhin en 1990. Depuis 2007, il intervient également auprès de grandes entreprises, ainsi qu’à HEC et Sciences Po.

Faire jouer à l’unisson des personnalités et des expertises par essence différentes : tel est l’un des nombreux défis communs du manager d’équipe et du chef d’orchestre symphonique. Pour nous aider à mieux comprendre les enjeux managériaux qui rythmeront 2024, nous avons fait la rencontre de François Merlin, chef d’orchestre émérite se produisant dans les plus grands festivals internationaux, mais aussi conférencier et intervenant en entreprise sur les thèmes du leadership et de la cohésion d’équipe. Une interview passionnante et passionnée, avec une personnalité aussi inspirante qu’inspirée. 

LA tendance RH qui fera 2024 ?

Celle qui remettra l’humain au centre et associera les ressources humaines, au sens littéral du terme, à la stratégie et aux prises de décision de l’entreprise. Lorsqu’une organisation souffre, ses collaborateurs souffrent avec elle, qu’ils soient dans l’exercice de leur fonction ou non. L’entreprise doit en tenir compte, en considérant qu’elle n’a pas à affaire qu’à des forces de travail, mais aussi à des êtres humains dont les vies personnelle et professionnelle ont une influence mutuelle. 

Les émotions ne doivent pas être chassées de l’entreprise, au risque de désengager les collaborateurs. Reconnaître les ressentis intrinsèques de chacun, prendre en considération le parcours, l’histoire, la personnalité, l’identité des collaborateurs, c’est donner du sens et de la puissance à l’engagement, susciter l’adhésion et permettre à tous de se reconnaître dans un projet commun. 

La pratique RH qui va droit dans le mur ?

Celle qui ne sait pas voir, entendre, analyser ou comprendre l’Humain. Pratiquer les ressources humaines signifie savoir faire preuve de psychologie, et je suis convaincu que la formation des professionnels de la fonction RH doit être très poussée dans ce domaine.

La souplesse et la faculté d’adaptation à l’humain dans toute sa diversité sont essentielles également. Je suis très méfiant à l’égard de la pensée Excel laissant imaginer que des chiffres au vert et des process simplement couchés sur le papier sont gages de succès pérenne et entier. Une partition de Mozart tient du génie absolu. Tout y est. Pourtant, tant que cette encre sur le papier n’est pas jouée ni dirigée, tant que les musiciens n’y ajoutent pas leur propre interprétation, le morceau n’existe pas. En entreprise, c’est pareil. Une organisation aura beau mettre en place des stratégies et des process. Tant que les collaborateurs n’en comprennent pas le sens et ne se battent pas pour faire exister cette partition, elle reste lettre morte et ne possède qu’une existence théorique. 

Le chef d’orchestre, comme le manager ou le dirigeant d’entreprise, doit entendre cette partition et se projeter dans cette musique. Charge à lui, ensuite, de communiquer sa passion de l’œuvre, d’embarquer chaque musicien dans ce projet commun et de livrer une interprétation unique.

J’ajouterais que la stratégie qui va droit dans le mur est celle qui n’anticipe pas. A contrario, celle qui réfléchit à ce qui peut éventuellement se produire, durera et accompagnera les grandes mutations. Pour cela, je suis convaincu que l’entreprise a besoin du regard d’agitateurs d’idées extérieurs, évoluant dans un référentiel différent. 

Votre définition du leadership ?

Le leadership est une forme de guidage. Un guidage naturel, heureux, sensible, inspiré, élevé, facile et constant. Le leadership ne doit pas être compliqué. Il est le fruit, selon moi, d’un comportement fédérateur, souple et respectueux. 

Il est, également, la conséquence d’un élément important, trop peu valorisé dans l’univers professionnel : l’irréductible puissance de la gentillesse, que je considère comme l’apanage d’une vraie force tranquille car elle est apaisante, communicative, fédératrice et rassurante.

Le bon leadership est également celui qui suscite l’envie et le plaisir. L’humain ne va pas vers la corvée ou la douleur. Il recherche naturellement le plaisir. Si le management en procure, alors il engendre un investissement spontané, facilitant l’appropriation d’un projet commun. 

Dernier élément et non des moindres : l’exemplarité, évidemment. Le leadership est l’exemplarité même. La confiance est difficile à acquérir, mais se perd très vite. La moindre maladresse, la moindre inadéquation entre le discours et les actes peuvent la réduire à néant. 

En conclusion, je dirais qu’un bon leader a la tête dans les nuages et les pieds sur terre. Hautement inspiré et créatif, il doit aussi être capable de partager ses idées, d’écouter ses collaborateurs, de s’y intéresser et de faire preuve de générosité au sens le plus large du terme, pour mieux engager et rassembler.  

Fédérer dans un contexte empreint d’incertitude, comment faire ? 

Pour fédérer, il faut travailler et entretenir ce qui unit l’Humain en toutes circonstances. Les sujets clivants sont à proscrire de la sphère professionnelle. Il faut, au contraire, se regrouper autour de valeurs fortes et communes, vectrices de bonheur et de plaisir. Cela peut être la famille, les enfants, mais aussi la réussite d’un projet collectif ou la valorisation de la notion de respect dans l’entreprise ou dans tout regroupement humain.

En parallèle, et cela n’est absolument pas antinomique, il est indispensable de reconnaître la diversité et d’avoir sans cesse à l’esprit que la différence n’empêche pas l’union autour d’un projet commun. Au contraire. Reconnaître et valoriser l’unicité des talents et des compétences cimente la cohésion d’une équipe, sécurise quant à l’atteinte des objectifs fixés et instaure un climat de confiance dans lequel la parole peut se libérer et les qualités de chacun s’exprimer. 

Mieux manager pour mieux fidéliser les talents en 2024 : quel mode d’emploi ?

Les talents sont des êtres uniques et intrinsèquement différents. J’ai coutume de dire que chaque individu est un gigantesque iceberg dont seule la partie émergée est visible. Je vous laisse imaginer ce que cela implique pour une équipe composée, par essence, de plusieurs individualités. Pour fidéliser les talents, le manager doit développer la nécessité absolue d’être à leur écoute, de les appréhender de tout son être, sans jugement ni idées préconçues. C’est un exercice complexe car chacun a une histoire et une personnalité qui nourrissent une infinité de biais. Les mettre de côté est un combat contre soi-même qui élève, et auquel les autres sont extrêmement sensibles. 

Être à l’écoute signifie également repérer les points de résistance, les appréhensions et les tensions potentielles. Cela permet, par exemple, de ne pas imposer des décisions ou des changements de cap de façon froide et solitaire, d’éviter de formuler des demandes irrecevables aux yeux des collaborateurs et donc, de créer sans cesse de la confiance. Un exemple appliqué à mon métier, aisément transposable au monde de l’entreprise : lorsque je dirige un orchestre, je définis un tempo donnant une expression particulière au morceau. Si je change de rythme sans prévenir, sans être à l’écoute ou dans le partage des émotions, les musiciens ne comprennent pas, ne me suivent pas et n’adhèrent pas à mon choix. A l’inverse, si je les observe, si je prends le temps d’être en phase avec eux, si je détecte que nous ressentons tous la même chose au même moment, alors je vais les embarquer. Ils me suivront et seront heureux d’interpréter le morceau de cette façon. Ma marge de manœuvre est, alors, colossale. 

Je crois, également, au pouvoir de l’humilité. Le chefaillon basant son autorité sur sa supériorité hiérarchique n’a plus sa place en entreprise. A contrario, le manager qui ne prétend pas tout savoir, se remet en question et fait preuve d’autodérision, engage durablement ses équipes. 

La reconnaissance, enfin, me semble fondamentale. Pour fidéliser, il faut mettre en exergue les qualités individuelles et ce qu’elles apportent au collectif de façon à renforcer le lien qui unit les collaborateurs à l’entreprise. La rémunération en est l’une des nombreuses formes car elle permet de faire exister le talent et de lui signifier sa valeur, au sein de l’organisation. Les possibilités d’évolution en sont une autre. 

Vos conseils pour faire jouer à l’unisson une équipe de collaborateurs aux personnalités, parcours et expertises très différents ?

En musique, il existe deux modes d’écriture : l’harmonie et le contrepoint. L’harmonie réunit l’ensemble des instruments. Les sons de chacun d’eux sont simultanés et aucun n’est supérieur aux autres. Leur combinaison produit un tout que l’on dit, à juste titre, “harmonieux”. A l’inverse, le contrepoint fait démarrer une voix musicale, à laquelle répond une seconde, puis une troisième et ainsi de suite. 

L’harmonie, c’est jouer à l’unisson. Le contrepoint, c’est donner la possibilité à une individualité de s’exprimer. Dans les deux cas, ce sont les mêmes personnes qui agissent. Parfois en équipe, parfois dans un rôle de soliste. Dans la conduite d’une équipe ou d’un projet, il existe toujours des moments où l’on joue collectif – en harmonie, donc – et d’autres, plus solides, où certaines individualités peuvent et doivent s’exprimer. 

Le bon manager est celui qui sait jongler entre utilisation ou valorisation du travail d’équipe, et mise à profit ou en exergue des individualités. Cela signifie qu’il est en capacité, lui-même, d’osciller entre prise de hauteur et exercice de sa fonction au contact très proche de son équipe. 

Faire cohabiter des individus, différents par essence, signifie également considérer avec sincérité les difficultés spécifiques de chacun et s’y adapter. Dernier élément, crucial également : pour faire coexister harmonieusement les individualités, je dirais que le manager doit rendre chaque membre de son équipe indispensable et le valoriser comme tel.  

Le principal défi 2024 auquel seront confrontés les DRH en matière de management ?

Le premier défi de la fonction RH sera d’accompagner les grandes mutations qui effraient, souvent, une partie des collaborateurs. Les ressources humaines doivent les en informer, via des colloques réguliers par exemple, et les préparer aux changements à venir en concevant des parcours de formation adaptés.  

Le second consistera à conjuguer, avec subtilité, nécessités vitales à l’entreprise, épanouissement et préservation de la qualité de vie des salariés. En période de crise, les dirigeants sont parfois amenés à prendre des décisions radicales. Le rôle des DRH est de les accompagner dans leurs réflexions pour intégrer l’Humain dans leurs discours, leurs choix et leurs actes.  


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 Tendances RH 2024 : retrouvez notre dossier complet.

Sportifs, politiques, médecins, entrepreneurs, humoristes etc. : 24 personnalités prennent la parole afin de nous livrer leur vision des RH et du monde professionnel de l’année à venir. Leurs interviews sont à retrouver du 15 décembre au 18 mars, sur le média Parlons RH. 

Photo : Crédit photo @Richard Loret



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