Dossier Tendances RH 2024

Marc Lièvremont : « Dans un monde incertain, les entreprises doivent rassembler face à l’adversité »

le 18 décembre 2023
Marc Lièvremont "Dans un monde incertain, les entreprises doivent rassembler face à l’adversité"
Marc Lièvremont "Dans un monde incertain, les entreprises doivent rassembler face à l’adversité"
Marc Lièvremont

Après avoir officié en tant que rugbyman au sein de l’USA Perpignan, du Stade Français Paris et du Biarritz Olympique, Marc Lièvremont intègre le XV de France en 1995, puis en devient le sélectionneur de 2007 à 2011. Durant son mandat, il remporte l’édition 2010 du Tournoi des Six Nations et atteint la finale de la Coupe du Monde en 2011.

Troisième ligne mythique, puis sélectionneur du XV de France qu’il mènera, entre autres, jusqu’en finale de la Coupe du Monde en 2011, Marc Lièvremont est l’une des figures emblématiques du rugby hexagonal. Aujourd’hui consultant sportif, entrepreneur et conférencier en entreprise, l’ex-rugbyman partage son expérience du management de groupe. Il nous dévoile ses tendances RH de l’année à venir, au cours d’un entretien réalisé quelques jours après la cruelle élimination du XV de France d’Antoine Dupont, en quart de finale de la Coupe du Monde face à l’Afrique du Sud. Un échange empreint d’émotion et d’espoir. 

LA tendance RH qui fera 2024 ?

Je dirais la considération portée aux collaborateurs. 

Face à l’incertitude et à l’adversité du monde dans lequel nous évoluons, les entreprises doivent rassembler. Plus que jamais, nous avons besoin les uns des autres. Plus que jamais, nous avons besoin de croire en nos projets respectifs et de créer de la cohésion. Il faut, pour cela, faire preuve de considération envers les différents acteurs qui composent l’entreprise, leur montrer qu’ils sont essentiels à son succès et à sa pérennité. Il est indispensable, également, de créer un contexte épanouissant dans lequel chacun, à tous niveaux de l’organisation, se sent investi et manifeste l’envie de donner le meilleur. 

Cette considération doit être porteuse de sens, et s’adapter aux attentes nouvelles des collaborateurs. Je pense notamment aux jeunes dont on dénonce, parfois et à tort, le manque d’engagement ou la volatilité. Un éternel recommencement, puisque nos parents faisaient déjà le même constat. Notre jeunesse, en entreprise comme ailleurs, incarne notre avenir. Il faut prendre en considération ses craintes, ses envies, sa sensibilité, pour mieux appréhender le monde dans lequel nous évoluons, et s’y adapter.  

Cette nécessité pour l’entreprise de rassembler doit être corrélée à l’adoption d’un discours de vérité prenant la mesure des défis environnementaux, sociétaux et économiques qui nous attendent. L’équilibre entre confiance et exigence est fragile et délicat à instaurer. Un travail profond d’introspection doit être opéré pour comprendre et tirer parti de ce contexte qui nous bouscule de façon conséquente.

Entraîner une équipe de rugby, manager une équipe de collaborateurs : quels points communs ? 

Le besoin des autres, tout d’abord. Au rugby, pendant un match, l’entraîneur n’a pas le droit d’être sur le bord du terrain. Il ne peut donc pas donner de consignes à son équipe. L’efficacité de son collectif réside dans la préparation qu’il a menée en amont de chaque rencontre. Préparation pendant laquelle il a défini un cadre, confié des responsabilités, généré de la confiance et instillé des tactiques de jeu. Plus le jour du match approche, moins le management est vertical. En entreprise, c’est la même chose. Le manager doit planifier les missions des collaborateurs, les former, les outiller, les responsabiliser, leur donner les clés pour qu’ils soient les plus efficaces possibles. Plus les collaborateurs sont équipés et préparés, plus ils sont autonomes et performants. Le management n’a alors pas besoin d’être directif, omniprésent ou omniscient, mais visionnaire, encadrant, rassurant, facilitant et autonomisant.   

A cela s’ajoute une capacité d’adaptation et une dimension quasi-scientifique propre au rugby d’aujourd’hui, où l’entraîneur est obnubilé, à la fois, par la volonté d’offrir une forme de confort, tout en cherchant à imposer une codification du jeu, à anticiper les actions de l’adversaire, et à déployer une stratégie adaptée à chaque échéance. Une situation largement transférable dans l’entreprise, où il faut respecter certaines règles établies mais potentiellement mouvantes, s’adapter à des enjeux changeants et à des attentes nouvelles, le tout dans un contexte en perpétuelle mutation, d’où l’importance d’exercer un management favorisant le dialogue, la prise d’initiative et autorisant le droit à l’erreur. 

Renforcer la cohésion d’équipe dans une organisation hybride : comment transformer l’essai ?

L’organisation hybride offre un certain confort et une qualité de vie appréciables. Pour construire et cimenter une véritable cohésion, une équipe a toutefois besoin de se voir, d’échanger et de partager des expériences de façon régulière. En rugby, comme dans l’entreprise, ces instants de vie collectifs, que j’appelle des “rythmes”, sont créateurs de lien, de cohésions interpersonnelle et relationnelle. Des moments-clés qui s’organisent autour de trois temps forts : un temps pour le travail, un temps pour le match, un temps pour célébrer les victoires. 

Dans l’entreprise, il s’agit de créer des occasions de se réunir pour réfléchir ensemble, être collectivement dans l’action et partager des événements festifs. Brainstormings, débriefings réguliers, séminaires, réunions d’informations sont autant de moments précieux permettant de solidifier et de pérenniser cette cohésion. 

Le danger d’un recours unique et systématique au télétravail réside dans la tentation de travailler en silos, d’encourager une forme de repli sur soi, et de valoriser la performance individuelle au détriment d’une dynamique de collaboration collective, porteuse de sens et de performance. Interagir de façon régulière, partager des moments de vie palpables, c’est s’intéresser aux fonctions des autres, avoir le sentiment effectif d’œuvrer pour le collectif et faire preuve d’empathie, valeur dans laquelle s’ancre une véritable cohésion d’équipe. 

L’afterwork, troisième mi-temps indispensable à la cohésion d’une équipe ? 

Le rugby est un sport qui, par nature, crée les conditions de l’adversité, oblige les hommes à se fédérer et cultive le besoin, presque désespéré, de l’autre. Lorsque l’on en bave sur le terrain, que la victoire est difficile à arracher, ce besoin de rassemblement est encore plus prégnant et nous enjoint à sacrifier du temps de travail. 

Ce que nous perdons en efficience lors d’une troisième mi-temps contrevenant à toutes les règles d’hygiène de vie que joueurs et préparateurs physiques s’attachent à respecter quotidiennement, nous le gagnons en cohésion d’équipe. Dans les instants les plus tendus d’un match, lorsqu’une décision de l’arbitre ou une simple erreur individuelle peut tout faire basculer, c’est cette cohésion, ce supplément d’âme, (ajoutés à l’ensemble de la préparation, vectrice de rigueur, de responsabilisation et d’autonomisation) qui poussent les joueurs à se surpasser et à croire, jusqu’au bout, à un projet collectif.

Ce côté irrationnel, nous l’avons vécu lors de ce dernier quart de finale perdu en Coupe du Monde face à l’Afrique du Sud. Malgré l’immense déception d’avoir échoué d’un point, malgré l’amertume de ce bilan, demeure la satisfaction d’avoir combattu ensemble et d’avoir tout donné les uns pour les autres. Un message d’espoir qui permet de mieux accepter la défaite et de s’octroyer le droit d’avoir perdu contre meilleur que soi. 

L’image ou l’expression rugbystique qui résume, selon vous, le principal défi managérial de 2024 ?

La passe. Le philosophe Michel Serres qualifiait la passe “d’offrande”. Passer le ballon, c’est offrir la responsabilité du jeu à un partenaire. Le porteur de balle s’expose au placage, à la souffrance, puis donne la possibilité à un coéquipier mieux placé que lui de briller. Là encore, revient cette notion de cohésion, de transmission et de partage : l’objectif du manager et des membres de son équipe est de donner le meilleur, de tenir compte des besoins des autres et de leur offrir les clés pour performer… le tout dans l’intérêt collectif.  

Vos conseils pour aider le manager à sortir de la mêlée en 2024 ? 

Prendre des responsabilités, c’est accepter d’être exposé et d’être seul dans l’adversité. C’est normal, mais il faut être capable de l’appréhender avant de s’engager, et de cultiver le goût du combat.

Manager, c’est également savoir faire confiance. Paul Valéry disait : “Un chef est un homme qui a besoin des autres”. Le coach omniscient et omniprésent, qui mène chaque séance d’entraînement, réalise tous les briefings et débriefings, se fatigue vite et perd de vue l’essentiel : responsabiliser son équipe, partager sa vision et s’octroyer des temps de réflexion et de prise de hauteur. 

Un manager éclairé et éclairant doit aussi avoir le courage de dire “non”. J’ai vu des entraîneurs accepter des missions ou des cadres de travail complexes, sans marge de manœuvre, ni possibilité de partager leur projet. Personnellement, affronter une montagne démesurément haute ne me fait pas peur, à condition d’avoir les mains libres et de pouvoir être entouré. N’ayant jamais eu d’ambition personnelle démesurée, j’ai pu refuser certains rôles en toute liberté. Cela m’a aidé à relativiser, à m’autoriser le droit à l’erreur et à trouver un modèle dans lequel m’épanouir. Cet équilibre n’empêche pas les périodes de doute, mais permet de trouver des raisons de se battre, de mieux se relever après un échec, de persévérer, de générer encore et toujours de la confiance et de croire au projet collectif à mener. 

Notre défaite en Coupe du Monde : le résultat d’une erreur managériale ? 

Absolument pas. Durant ces quatre années de préparation, Fabien Galthié et l’ensemble du staff de l’équipe de France ont fait preuve d’un dévouement, d’une constance et d’une détermination exemplaires. Ils ont su choisir, former, responsabiliser leurs joueurs, mais aussi fédérer l’équipe autour d’un projet commun et d’une stratégie acceptée par tous. Le résultat n’était pas loin de la perfection.

Il est difficile d’expliquer cette défaite de façon rationnelle. Le banc sud-africain, qui a su rester mobilisé jusqu’aux dernières secondes du match, a probablement fait la différence. Nos remplaçants, a contrario, n’ont peut-être pas été aussi incisifs, mais il est facile de juger a posteriori et de donner des leçons. 

Un match est fait de moments décisifs, pendant lesquels il faut savoir appuyer sur l’accélérateur. Notre première mi-temps fut assez aboutie. Elle a peut-être donné un excès de confiance aux Français qui malmenaient les Sud-Africains. En début de seconde mi-temps, nous n’avons pas su appuyer là où ça faisait mal pour l’emporter définitivement. Même si je n’aime pas l’évoquer, certaines décisions arbitrales ont peut-être, aussi, précipité la victoire finale de l’Afrique du Sud. 

Sur des matchs de très haut niveau, la performance est fragile. Le rugby est un sport complexe, extrêmement riche, qui nous permet d’anticiper, quasi scientifiquement, le déroulement d’une rencontre. Malgré cela, les aléas sont inévitables. Jouer au rugby, c’est gérer l’inattendu. La forme ovale du ballon dont le rebond est imprévisible en est l’illustration parfaite. Les décisions arbitrales constituent l’un de ces aléas. Il y a la règle et l’interprétation de la règle. Cela fait partie du jeu et il faut l’accepter. Quoi qu’il en soit, la performance collective du XV de France, lors de cette Coupe du Monde, reste remarquable.

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Sportifs, politiques, médecins, entrepreneurs, humoristes etc. : 24 personnalités prennent la parole afin de nous livrer leur vision des RH et du monde professionnel de l’année à venir. Leurs interviews sont à retrouver du 15 décembre au 18 mars, sur le média Parlons RH.

Crédit photo : site officiel de Marc Lièvremont



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