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“The Great Resignation” à la française n’existe pas !

le 24 mars 2022
Visuel de la tribune “The Great Resignation” à la française n’existe pas !

« The Big Quit » ou « Great Resignation » est un phénomène d’ampleur indiscutable aux Etats-Unis. Selon le Bureau U.S of Labor Statistics, 38 millions d’américains, de tous les âges, ont quitté leur travail par vagues successives depuis 2021, avec un nouveau pic de 4,3 millions de démissions enregistrées pour le seul mois de janvier 2022. Un tel phénomène existe-t-il en France ? Alors que les enjeux de rétention et de recrutement sont plus que jamais criants, comment les DRH peuvent-ils aider les entreprises à se transformer et les salariés à trouver du sens dans leur travail ?

Deux modèles, deux situations 

Le modèle Français est très différent du modèle américain. Ce dernier est caractérisé par une hyper-flexibilité structurelle. En temps de crise, la tendance n’est pas à la protection de l’emploi mais à l’adaptation de la “ressource” au business et donc, au licenciement via la règle « Employment at Will » qui permet à l’employeur de rompre un contrat de travail du jour au lendemain. Le taux de chômage américain est ainsi passé de 3,5% en février 2020 à 14,7% deux mois plus tard, avant de redescendre à 7,9% en septembre 2020. Un ascenseur émotionnel et un impact social important corrélés à ce modèle d’ajustement économique. En comparaison, notre fameux « quoi qu’il en coûte », avec le déploiement massif du chômage partiel, a permis d’amoindrir les conséquences sociales de l’arrêt ou de la baisse drastique de certaines activités. Notre système socio-économique est moins agile mais plus protecteur. Il joue un rôle d’amortisseur sans dictature d’immédiateté.

L’activité et l’emploi sont revenus à leur niveau d’avant-crise

Il serait tentant d’interpréter l’augmentation des ruptures conventionnelles de 9 % en septembre 2021 (versus septembre 2019) comme un signe du débarquement du “Big Quit” en France. Mais depuis la création du dispositif en 2008, leur nombre augmente chaque année, dans tous les secteurs d’activité, passant de 420 900 en 2017 à 440 000 en 2019. Avec 440 000 ruptures conventionnelles enregistrées en 2021, et une baisse de 0,3% en janvier 2022, preuve en est que le niveau est revenu à celui d’avant-crise. Il en est de même pour le taux de chômage. Mieux encore, le taux d’emploi n’a jamais été aussi haut en France, là où le taux de l’emploi américain a chuté à 61,6 %, ravivant les souvenirs de la crise de la grande récession de 2008.

Quant au “bond” de démissions annoncé en France mi-juin 2021, il marque en grande partie un effet de rattrapage après la forte baisse des démissions enregistrée en 2020, comme le confirme Stéphane Carcillo, chef de la division emploi et revenus à l’OCDE : « D’un côté, beaucoup de salariés ont été placés en chômage partiel, de l’autre, les entreprises ont gelé leurs embauches. Il y a donc aujourd’hui un effet de rattrapage naturel qui s’opère». 

Le marché du travail en France a globalement bien résisté à l’épreuve de la crise sanitaire : il a retrouvé une situation proche de ce qu’on observait avant la crise, avec des difficultés de recrutement persistantes et un chômage qui reste malheureusement élevé.

Vent de liberté, quête de sens et QVT

Les démissionnaires américains concernent surtout les jeunes, pour se reconvertir ou reprendre des études, et les plus âgés, pour partir à la retraite. En effet, les réorientations gagnent du terrain sur un marché du travail très dynamique et volatile, avec très peu de syndicats, une pénibilité latente, des horaires pouvant aller jusqu’à 72h par semaine, 7 jours sur 7, sans parler du système de santé quatre fois plus cher qu’en France ou des dix jours de congés annuels dont bénéficie, en moyenne, un salarié américain. De quoi faire réfléchir des millions d’américains en quête de sens et de liberté à ce qu’ils veulent vraiment faire et à la façon dont ils veulent le faire : travailler pour vivre mais ne plus vivre pour travailler.

Bien que nous soyons, nous Français, davantage satisfaits de nos conditions professionnelles, la pandémie a profondément changé notre rapport au travail, avec parfois une perte de cohésion mais le plus souvent une remise en question de trois dimensions structurantes de nos activités professionnelles : 

  • l’unité de temps (on ne veut plus d’horaires contraints mais des horaires flexibles),
  • l’unité d’espace (on veut pouvoir travailler depuis des lieux non-imposés, notamment de chez soi quand c’est possible),
  • l’unité d’action (on se questionne sur les intentions et les valeurs portées par l’entreprise mais aussi sur sa raison d’être, le bien commun éventuel qu’elle entend défendre ou développer).

Dans ce contexte, l’idée d’un “salariat liquide” émerge. Plus désengagé, il redoute d’être “consommé” par les organisations et organise sa carrière en fonction de ses propres intérêts, conditions et opportunités.

Il est certain qu’il y a en France des problèmes structurels de recrutement, de fidélisation et d’engagement. Mais ils ne sauraient être expliqués uniquement par l’inadéquation entre l’offre et la demande de travail. Non, ce n’est pas que de la faute de Pôle Emploi ou de l’Education Nationale, du bassin d’emploi ou du métier peu attractif. L’entreprise a son rôle à jouer si elle veut se développer et perdurer. Elle a le pouvoir de dire non à la résignation !

Vers un management bienveillant et une entreprise humaniste

Pour pallier l’effet “Big Quit” et les difficultés de recrutement, la tendance est à l’augmentation des rémunérations. Bien qu’il soit évident de rémunérer correctement, équitablement les collaborateurs et de mettre régulièrement à niveau leur salaire en fonction de l’inflation, cette action isolée ne me semble pas suffire pour reconnecter durablement les collaborateurs aux organisations.

Il est temps de redonner aux DRH leurs lettres de noblesse pour relever une mission à  double enjeu : permettre à chaque salarié de renouer avec son utilité sociale, et, à l’entreprise, de retrouver son rôle de socialisateur. Une entreprise est avant tout une communauté humaine, faite par les femmes et les hommes qui la composent. Elle agit par et sur les comportements individuels mais aussi la culture partagée et la place que chacun peut y trouver.

Parce que le management joue quant à lui un rôle important de régulateur social, il s’agit de lui offrir tous les moyens pour diffuser, développer et faire vivre une culture de l’autonomie, de la responsabilité et de la confiance, et ainsi rassembler les efforts de chacun en un élan de synergie : aller vers une interdépendance vertueuse plutôt qu’une indépendance « enfermante ».

Ainsi, les organisations doivent prendre soin de chaque salarié (autant que de chaque client) et réfléchir à la manière dont chacun peut y prendre sa place tout en bénéficiant de suffisamment de liberté et d’espaces pour “entreprendre”. Et “entreprendre”, c’est donner ensemble. Pour relever ces défis et gagner la guerre des talents, les DRH doivent identifier et mener des chantiers prioritaires, parmi lesquels : 

  • Favoriser un management bienveillant et responsabilisant, en formant les managers  à déployer une écoute active et de la reconnaissance auprès des équipes ;
  • Lancer et suivre un programme d’expérience collaborateur dès l’onboarding ;
  • Mettre en place une politique d’inclusion, basée sur l’équité et l’égalité, capable de prendre en compte la singularité de chaque collaborateur ;
  • Repenser les lieux et les espaces de travail dans une optique de QVT, de création d’innovation et de mutualisation des compétences ;
  • Proposer un continuum pédagogique aux collaborateurs et des parcours de mobilité ;

Si “The Great Resignation” ne trouve pas son pendant en France où le marché, le modèle économique et les facteurs structurels sont très différents, les DRH restent au cœur des stratégies de transformation des entreprises. Ils tiennent une place majeure pour construire un nouveau rapport au travail, fondé sur un socle plus éthique, plus durable, plus humaniste. Sans se résigner.



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