tribunes

Réforme de la formation et du chômage : quel impact pour les RH ?

le 15 mars 2018
La réforme de la formation et de l'assurance chômage : impact sur la RH

Après le volet « relations de travail », le programme gouvernemental de réformes aborde donc le versant « sécurisation des parcours professionnels » et ses deux piliers, la formation et l’assurance chômage. Les textes proposés, à chaque fois, suscitent des débats passionnés, portant parfois davantage sur les grands principes sous-jacents que sur la réalité concrète des mesures. Cette réalité, il est vrai, n’est pas toujours facile à appréhender. Que peut-on dire, à ce stade, de l’impact prévisible des réformes annoncées sur les services RH ?

 

Un projet cohérent

Sur les ondes, sur papier ou sur le net, le besoin de scénariser pour retenir l’attention est devenu si impérieux que des réformes aussi inextricablement complexes que celles du droit du travail, de la formation professionnelle ou de l’assurance chômage prennent souvent la forme de récits homériques aux enjeux colossaux, où les forces du Mal affrontent les défenseurs de la Civilisation dans des combats épiques et désespérés. Libératrices historiques de l’entreprise pour les uns, meurtrières du droit du travail pour les autres, les ordonnances de septembre 2017 n’ont pas fini de faire couler de l’encre. Qu’en est-il en définitive ? Ce sera l’objet d’un autre article. Dans celui-ci, nous nous concentrons sur la dernière vague de réformes annoncées : l’assurance chômage, l’apprentissage et la formation professionnelle.

La vocation du projet gouvernemental est assez claire dans ses grandes lignes : il s’agit de rapprocher les décisions en matière de vie professionnelle du terrain de l’entreprise et de l’individu. Les ordonnances, en étendant le champ de la négociation d’entreprise et en reconfigurant les instances de représentation du personnel (IRP), avaient clairement pour objectif d’aller dans cette direction. Ce faisant, elles ont potentiellement renforcé, au passage, le rôle du DRH. L’objectif de ce premier volet de la réforme était aussi de simplifier la vie des employeurs, de réduire l’insécurité juridique liée aux licenciements, d’accroître la flexibilité de l’emploi. Pour équilibrer ce premier volet, conçu comme plus favorable à l’employeur, l’équipe au pouvoir a lancé une série de réformes censées conférer davantage de droits et de leviers d’action aux salariés et aux demandeurs d’emploi.

Passons d’abord rapidement sur le levier « pouvoir d’achat » : en basculant une partie du financement de l’assurance maladie et de l’assurance chômage sur la CSG, le gouvernement augmente mécaniquement la rémunération nette des salariés du privé. Concrètement, la CSG augmente (+1,7%), mais la part salariale des cotisations chômage et maladie disparaissent (-3,15%). Prévue initialement au 1er janvier 2018, la mesure s’étale finalement entre janvier et l’automne. Sur ce paramètre, le DRH n’a pas de prise. Mais une hausse des salaires nets qui ne coûte rien à l’entreprise ne fait assurément pas de mal à sa politique de rémunération.

 

Compétences versus sécurité

Deux autres leviers sont mobilisés par les pouvoirs publics pour renforcer la situation des salariés et des demandeurs d’emploi : le levier « compétences », avec la formation professionnelle et l’apprentissage ; et le levier « sécurité », avec l’assurance chômage. Le programme présidentiel était très ambitieux sur ces deux points. En pratique, il a fallu faire des choix. Après avoir réussi à passer sans trop de dégâts la phase « droit du travail », et alors que se profilait à l’horizon un conflit sur le sujet délicat de la réforme ferroviaire, le gouvernement devait veiller à ne pas se mettre entièrement à dos les partenaires sociaux. Un savant dosage a été atteint, en décidant :

  • de suivre pour l’essentiel l’accord des partenaires sociaux sur l’assurance chômage, sensiblement en retrait par rapport aux souhaits initiaux de l’équipe au pouvoir,
  • de prendre ses distances sur certains points fondamentaux de l’accord sur la formation professionnelle, notamment sur la gouvernance et le financement,
  • tout en privilégiant l’avis des partenaires sociaux sur l’apprentissage, au détriment des régions.

Dans l’arbitrage final, le levier « compétences » aura donc prédominé sur le levier « sécurité ».

Au-delà de cette cuisine sophistiquée, qu’en sera-t-il concrètement dans l’entreprise ?

 

Formation professionnelle : une réforme de plus

La précédente réforme de la formation professionnelle, en 2014, avait déjà été présentée comme une réforme systémique, qui allait changer du tout au tout la place de la formation dans l’entreprise. De fait, en supprimant l’obligation de dépense dans les entreprises de plus de 300 salariés, et en la réduisant considérablement dans les autres, la réforme avait eu un effet très immédiat sur le métier de responsable formation : plus de déclaration « 2483 », plus – ou nettement moins – d’échanges avec l’Opca pour monter et justifier des dossiers de formations « imputables ». Ce formalisme était remplacé, en partie, par un autre, celui de l’entretien de professionnalisation, mais celui-ci s’insérait plus naturellement dans une démarche RH tournée vers les compétences.

Il est sans doute abusif de dire que la dépense de formation s’est transformée en investissement du jour au lendemain : la plupart des grandes entreprises la percevaient déjà comme telle. Et selon les données de la Dares, en 2012, les entreprises dépensaient en moyenne 2,72% de leur masse salariale en formation, soit nettement plus que les 1,6% qu’elles devaient verser ou dépenser de façon obligatoire à l’époque. Mais la réforme a indubitablement donné à la fonction formation une dimension moins administrative et plus « stratégique », cohérente avec l’évolution globale de la DRH.

La nouvelle réforme s’attaque davantage à la gouvernance et aux circuits de financement, en supprimant les Opca (dans leur rôle de collecteur) et en renforçant la tutelle étatique sur l’ensemble du système. L’entreprise peut donc sembler moins directement concernée. Une série de mesures va cependant changer, plus ou moins subtilement et plus ou moins rapidement, le quotidien des DRH et des responsables formation.

 

Que se passera-t-il concrètement ?

Les principales de ces mesures sont les suivantes :

  • Une simplification pour la paie : les cotisations « formation professionnelle » et « apprentissage », versées auparavant respectivement aux Opca et aux Octa (même quand il s’agissait du même organisme…), seront fusionnées en une seule et versée à l’Urssaf, avec l’ensemble des autres contributions sociales.
  • Une simplification pour la politique de formation de l’entreprise : le plan de formation ne sera plus obligatoirement divisé entre « actions d’adaptation au poste de travail », « actions de développement des compétences », « périodes de professionnalisation » (ce dernier dispositif disparaissant). Ce point, assez formel, peut donner davantage de liberté dans le processus d’élaboration du plan de formation.
  • Un changement dans l’accès aux fonds mutualisés pour les petites entreprises : jusqu’à présent, les entreprises de 50 à 299 salariés versaient 0,10% de leur masse salariale pour le plan de formation, et pouvaient ainsi mobiliser quelques financements auprès de leur Opca. Si le projet gouvernemental est voté en l’état, ça ne sera plus le cas. Les entreprises de moins de 50 salariés, qui versaient de leur côté entre 0,20% et 0,40% pour le plan de formation et bénéficiaient à ce titre également de financements Opca, devraient voir leurs droits renforcés : une part (non définie encore) de la contribution formation versée par toutes les entreprises (toutes tailles confondues) sera mutualisée au profit des plus petites (moins de 50 salariés). Concrètement, les DRH et responsables formation d’entreprises de 50 salariés et plus n’auront plus de raison financière d’aller frapper à la porte de l’organisme qui va remplacer leur Opca ; ceux des entreprises de moins de 50 salariés en auront plus que jamais.
  • Une nuance importante à la remarque précédente doit être apportée : les « opérateurs de compétences », qui vont remplacer les Opca, s’occuperont du financement des contrats en alternance – apprentissage et professionnalisation. Le nouveau mode de financement des CFA « au contrat » devrait, en principe, permettre de mieux répondre aux besoins des entreprises en matière d’embauche en alternance. Cet aspect de la réforme ne sera probablement pas le plus rapide à se mettre en place. Qui seront ces « opérateurs de compétences » ? Le projet gouvernemental nous dit seulement qu’ils « seront bâtis sur des logiques de filières économiques cohérentes », laissant entendre qu’il ne s’agira pas forcément d’un simple « rebaptême » des Opca existants.

 

Le Compte personnel de formation « désintermédié » : quelles conséquences pour l’entreprise ?

C’est la mesure la plus souvent commentée : le Compte personnel de formation (CPF) serait désormais libellé en euros, et donnerait accès à toutes les formations certifiantes du marché (labellisées), potentiellement sans intermédiaire, par le biais d’une simple application mobile.

Concrètement, quelles seraient les conséquences d’une telle évolution ? Précisons d’abord que cette réforme du CPF s’inscrit dans une logique d’individualisation à l’oeuvre depuis une quinzaine d’années. Le Droit individuel à la formation (DIF), mis en place en 2004, donnait des droits au salarié, mais sa mobilisation était toujours soumise à l’accord de l’employeur. En outre, les droits étaient attachés au contrat de travail, et non à la personne (avec des aménagements après 2009). Le CPF, opérationnel depuis le 1er janvier 2015, levait ces deux barrières : les heures acquises l’étaient définitivement, même si le salarié quittait l’entreprise ; et il devenait possible d’utiliser son CPF sans demander l’accord de l’employeur, à condition de se former en dehors du temps de travail.

La réforme de 2018 préserve ces caractéristiques. La question reste posée : le CPF peut-il être considéré comme un outil de la politique de formation des entreprises ? En principe, oui : le salarié qui souhaite se former sur son temps de travail et bénéficier d’abondements complémentaires a besoin de co-construire son projet avec l’entreprise. Et celle-ci peut très bien prendre l’initiative de cette co-construction, à condition de respecter la règle du consentement du salarié à l’utilisation du CPF.

En pratique, une étude de Centre Inffo nous apprend cependant que 58% des responsables RH et formation jugent que le CPF a peu d’impact sur leur politique de formation, et que 72% ne l’utilisent pas ou peu. Le CPF nouvelle formule pourrait bien accentuer encore cette tendance : le salarié doté d’un compte libellé en euros, mobilisable sans intermédiaire, se montrera sans doute plus réticent à utiliser son CPF pour alimenter la politique de formation de son employeur. Ce qui peut également être perçu comme une opportunité pour le responsable RH ou formation : celle de construire des projets de formation véritablement partagés, avec un fort engagement des collaborateurs concernés, les amenant à puiser volontiers dans leur capital CPF.

 

La réforme de l’assurance chômage

Par définition, la réforme de l’assurance chômage concerne les demandeurs d’emploi, et n’impacte pas directement les services RH. Pourtant, les options choisies par les partenaires sociaux, et confirmées par le gouvernement, ne sont pas sans conséquences sur l’entreprise et sa relation à ses collaborateurs. Le programme d’Emmanuel Macron prévoyait l’indemnisation des démissionnaires. Un salarié quittant son entreprise de son propre chef pouvait bénéficier des allocations chômage, au maximum une fois tous les cinq ans. Comme le souligne l’auteur de cet article, une telle mesure pouvait modifier sensiblement le rapport de forces entre employeurs et salariés. Ces derniers pouvaient franchir plus facilement le pas de la démission en cas d’insatisfaction, voire, pouvaient brandir la menace d’une démission collective en situation de conflit. Des perspectives qu’un DRH pourrait ne pas trouver forcément agréables, mais qui auraient eu l’avantage de mieux coller à un management « entre adultes consentants », à une idée plus élevée de la relation de travail.

En l’état, le gouvernement et les partenaires sociaux ont opté pour une version de cette mesure qui la vide totalement de son sens initial : l’indemnisation ne sera ouverte que si le salarié concerné a cotisé sans interruption à l’assurance chômage pendant 5 ans, et porte un projet de reconversion professionnelle qui doit être validé par la commission paritaire régionale. Pour la DRH, c’est donc une possibilité de plus à connaître parmi l’éventail des sorties de contrat, mais guère plus.

 

Il n’y a donc pas de révolution à attendre dans les services RH suite aux réformes de la formation, de l’apprentissage et de l’assurance chômage. Le paysage va cependant évoluer significativement. Et les principaux changements viendront sans doute, avec le temps, des acteurs eux-mêmes : les collaborateurs, toujours davantage incités à prendre leur parcours professionnel en main ; mais aussi le marché de la formation et ses prestataires, que la transformation des circuits de financement et de labellisation pourrait bien métamorphoser dans les années à venir.

 



messaouden2018-08-20 15:53:27
En branche, le rôle des CPNEFP vont être essentiel. En sachant que les entreprise de moins de 50 ne sont pas forcément représentés. Il va y avoir des arbitrages dont on aura du mal à saisir les enjeux au début.
Bertrand SERIEYX2018-08-29 16:19:37
Merci pour votre intervention ! Les CPNEFP (commissions paritaires nationales de l'emploi et de la formation professionnelle) des différentes branches vont devoir plancher plus que jamais sur les CQP (certificats de qualification professionnelle), notamment ; mais à quels arbitrages pensez-vous plus précisément ?
serres2018-04-03 20:08:27
Synthèse intéressante et pratique. Les opérationnels vont s'y retrouver. Merci
Bertrand SERIEYX2018-04-05 10:23:14
Merci pour votre commentaire ! Et contents que l'article soit utile.

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