Julia Néel Biz : « L’IA ne remplace pas l’humain, mais rend la détection du burn-out plus efficace »
Julia Néel Biz est cofondatrice & CEO de teale. Diplômée de l’ESSEC, Julia a commencé sa carrière en tant que Consultante en stratégie. Passionnée par le monde de la Tech, elle a exercé différents postes au sein de scale-ups, et a notamment rejoint Kapten (Freenow). Début 2021, elle fonde teale, la première plateforme holistique de santé mentale dédiée aux collaborateurs, avec trois associés : Nicolas, Geoffroy et Gilles. Elle est également membre du Board de France Digitale depuis 2022.
Selon l’Organisation Mondiale de la Santé, une personne sur quatre est touchée par des troubles psychiques à un moment de sa vie. L’intelligence artificielle (IA) émerge comme outil précieux pour détecter les signes avant-coureurs de ces troubles, notamment ceux du burn-out. En analysant de grands ensembles de données, l’IA peut identifier les profils à risque, et proposer des mesures préventives. À l’occasion des #24heuresRH du 30 novembre dédié à l’innovation digitale RH, nous avons interviewé Julia Néel Biz, cofondatrice et CEO de teale, une plateforme dédiée à la santé mentale des salariés.
Sommaire
Qu’est-ce que l’intelligence artificielle et quel rôle joue-t-elle dans la détection du burn-out ?
À mes yeux, l’intelligence artificielle est une machine, un algorithme ou un objet technologique qui imite les comportements humains dans une finalité définie et encadrée. La question est de savoir comment cette machine va recevoir les informations, les analyser et apporter une réponse, pour prévoir des évènements ou résoudre des problèmes complexes. En matière de santé mentale, l’IA peut anticiper les comportements menant potentiellement à des situations de burn-out. L’outil examine d’importants volumes de données anonymisées pour identifier les personnes à risque. Son objectif est d’aider les ressources humaines et les managers à reconnaître les signes avant-coureurs et à instaurer des mesures préventives.
Quel lien faites-vous entre santé mentale des collaborateurs et performance de l’entreprise ?
Quand le bien-être mental des collaborateurs est négligé, cela impacte directement les critères de performance de l’entreprise. En effet, 70% des employés qui signalent des problèmes de santé mentale estiment que cela affecte leur efficacité au travail1. Par ailleurs, un collaborateur bénéficiant de dispositifs de soutien à la santé mentale est jusqu’à trois fois plus productif que celui qui en est dépourvu2.
De manière concrète, la négligence de la santé mentale représente une dépense portée par l’employeur, les estimations varient : 3 000€ / an / collaborateur selon l’étude Deloitte Mental health and employers: refreshing the case for investment, que nous avons enrichie avec notre modèle interne et jusqu’à 13 340 € par an et par salarié selon l’IBET3. 40% de ces coûts pourraient être évités si les employeurs agissaient plus concrètement sur la QVCT (Qualité de Vie et Conditions de Travail)4. Trop occupés par l’absence de bien-être au travail, les collaborateurs ne peuvent pas se concentrer sur leurs missions, et cela impacte leur performance au quotidien.
En France, les troubles psychologiques sont la première cause d’arrêts de travail de longue durée. Un tiers des employés envisageait de quitter son poste pour des raisons associées à sa santé mentale en 20235. Qui plus est, 32% des Français déclarent qu’une charge mentale pesante sur leur lieu de travail est la première cause de leur mal-être. Par la suite, 22% de ces personnes ont été diagnostiquées de pathologies telles qu’un trouble anxieux généralisé, une dépression ou un burnout6.
Si les arguments moraux ne parviennent pas à sensibiliser les dirigeants à l’importance de la santé mentale des équipes, les statistiques le feront certainement. Il y a un véritable intérêt économique et financier lié au bien-être des collaborateurs. C’est pourquoi la santé mentale devrait être au cœur de la politique RH des entreprises.
Comment les nouvelles technologies, notamment l’intelligence artificielle, aident-elles à répondre aux enjeux actuels de la santé mentale ?
Il est intéressant de prendre un pas de recul pour observer l’influence globale de la technologie sur la santé mentale, même si l’IA a un rôle particulier à jouer dans la détection du burn-out. La stigmatisation de la santé mentale reste un obstacle majeur. Le bien-être mental n’est pas un sujet aisément abordable. 81% des Français estiment qu’il est difficile d’en parler et 73% le voient comme un sujet tabou7. La technologie joue un rôle démocratisant et dé-stigmatisant dans le sens où elle cible chaque employé de manière positive. L’utilisation des données comportementales permet, entre autres, d’identifier les profils à risque sans perpétuer les stéréotypes liés à certaines pathologies.
Un deuxième obstacle réside dans le traitement souvent indifférencié de la santé mentale en entreprise. Je fais référence notamment aux lignes d’écoute ou aux psychologues présents sur site qui fournissent une expérience générique aux salariés. À l’inverse, la technologie permet une approche hyper-personnalisée qui tiendra compte des spécificités et des problématiques de chacun. La personnalisation est la clé pour engager et intéresser les salariés, et donc avoir un réel impact sur leur bien-être.
Le manque de disponibilité est également un problème. Seuls 6% des employés se déclarant en mauvaise santé mentale considèrent que leur entreprise a mis en place des actions efficaces8. Encore une fois, la technologie donne accès au salarié, 24h/24 et 7j/7, à un accompagnement adapté. Avec les applications mobiles dédiées, cette aide se trouve même directement dans leur poche.
Finalement le machine learning et l’intelligence artificielle vont permettre de détecter les signaux faibles et prévenir les risques avant qu’ils ne se matérialisent à l’échelle individuelle ou collective. Il ne faut plus proposer des réponses impersonnelles, automatiques, et uniquement curatives, mais s’intéresser à la prévention des risques psychosociaux. Je pense que c’est réellement la technologie qui va nous permettre d’y parvenir.
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Quels sont ces fameux signaux faibles qui vont pouvoir être détectés par l’intelligence artificielle ?
L’IA est capable d’analyser de très grandes quantités de données. À partir de patterns existants, elle détecte les profils se trouvant dans des zones à risque. Par exemple, chez les personnes ayant déjà vécu un burn-out, nous constatons une augmentation du stress, une diminution de l’estime de soi et une perte de sens, tant dans la vie personnelle que professionnelle. D’autres signes, comme la détérioration de la qualité du sommeil, peuvent également être révélateurs. Pris séparément, ces facteurs ne sont pas nécessairement alarmants, mais leur combinaison détermine le potentiel de développer un burn-out chez le collaborateur. Ensuite, l’IA peut suggérer des mesures d’accompagnement comme prendre rendez-vous avec un psychologue, ou consulter certains contenus psychoéducatifs.
À terme, l’IA pourra enrichir son analyse grâce à des capteurs sensoriels, vocaux et visuels. Elle pourrait, par exemple, détecter les changements subtils dans la voix fréquemment associés au stress prolongé ou les micro-expressions faciales révélatrices.
Parmi les éléments analysés par l’IA, il semble y avoir beaucoup de données personnelles, voire confidentielles. Comment garantir la sécurité et le bon usage de ces données ?
Face à l’évolution rapide de la technologie, notamment dans le cadre de l’IA et de la détection du burn-out, comment garantir la sécurité et l’intégrité des données personnelles ? La mise en place de mesures rigoureuses est essentielle. Pour assurer une protection maximale, il faut aller au-delà des obligations du RGPD (Règlement Général sur la Protection des Données). Chez teale, cela se traduit, par exemple, par le chiffrement et l’anonymisation via des algorithmes ou encore la conservation des informations chez des hébergeurs certifiés données de santé.
L’IA n’a pas besoin de connaître le collaborateur pour lui venir en aide, car elle apprend à partir de nombreux comportements anonymes. Toutefois, cela ne diminue en rien l’importance de maintenir ces données dans l’anonymat et d’assurer qu’elles ne soient ni utilisées de manière inappropriée, ni partagées de manière identifiable. L’humain doit toujours rester en contrôle de ce qui est partagé et de ce que l’IA veut en faire. Cela nécessite de mettre en place des garde-fous, d’éduquer aux bonnes pratiques autour de l’utilisation de l’IA, et de construire des modèles de données qui soient robustes d’un point de vue de la sécurité et de l’éthique.
Peut-on remplacer un professionnel de la santé mentale par des outils d’IA ?
Pour que l’action du psychologue soit efficace, il doit être en contact avec la bonne personne au bon moment. L’intelligence artificielle lui vient en aide pour détecter les signes avant-coureurs de burn-out. Notre conviction est qu’elle ne doit pas remplacer l’humain, mais lui apporter des éléments de décision complémentaire, en agissant comme un dispositif de détection. Le diagnostic final et le traitement restent entre les mains des professionnels de la santé mentale.
… et un DRH ?
Encore une fois, il est important de se dire que l’IA ne va pas remplacer l’humain. Ni le fait d’avoir une culture d’entreprise saine, ni le fait d’aller voir un psychologue quand on en a besoin. Je ne vois pas l’IA comme une fin en soi, mais un outil de prévention qui nous rend plus efficaces. Typiquement, je parle tous les jours à des DRH qui n’ont pas vu arriver le burn-out chez leurs collaborateurs. Il est beaucoup plus compliqué d’aider quelqu’un qui a déjà dévalé les escaliers que quelqu’un qui chancelle sur la première marche. Grâce à l’IA, nous pouvons prédire les risques psychosociaux à grande échelle et agir en amont des problèmes.
#24heuresRH : à vos agendas !
Le 30 novembre 2023, Parlons RH propose une nouvelle édition de #24heuresRH, son événement digital exceptionnel dédié 100% aux RH. Le thème de cette session : « Comprendre l’innovation digitale RH et réussir votre transformation ». Web 3.0, blockchain, métavers, intelligence artificielle : les innovations technologiques ne manquent pas en RH. Objectif : assister les professionnels dans leurs missions les plus techniques… mais aussi les plus humaines. L’enjeu n’est évidemment pas de remplacer la fonction RH, mais bel et bien de l’augmenter. Pourquoi ? Quand ? Comment ? Réponses tout en solutions, partages d’expériences et conseils pratiques, au cours d’une journée placée sous le signe de l’innovation digitale.
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Crédit photo : Shutterstock / Alexander Limbach
- Selon le Baromètre 2023 « Santé des salariés et qualité de vie au travail » de Malakoff Humanis ↩︎
- Selon l’étude Axa Mind Health Report de 2023 ↩︎
- D’après l’Indice du bien-être au travail (IBET). Regards d’experts 2018 – cabinet Mozart Consulting et Groupe Apicil. Sur les 13 340 € par an, 5300 € pourraient être compressé via de bonnes pratiques de QVCT ↩︎
- Selon l’étude Axa Mind Health Report de 2023, on constate un écart de 22 à 32 points entre les salariés en bonne santé mentale, et les salariés qui le seraient si leur entreprise proposait des initiatives autour du travail hybride, de l’aide à la santé mentale au travail, de la gestion de la charge de travail et du développement des compétences. ↩︎
- Selon l’étude Axa Mind Health Report de 2023. ↩︎
- D’après le Baromètre « Le bien-être mental des Français·e·s » réalisé par l’IFOP et la fondation AESIO en 2023. ↩︎
- Selon le Baromètre « Le bien-être mental des Français·e·s » réalisé par l’IFOP et la fondation AESIO en 2023 ↩︎
- Selon le Baromètre 2023 « Santé des salariés et qualité de vie au travail » de Malakoff Humanis ↩︎