Seniors en entreprise : « Désolé, mon vieux… »
Qui sont les seniors dans le monde du travail ? Un employé âgé en fin de carrière, ou un collaborateur dont l’expérience est reconnue ? À quel âge devient-on senior en entreprise ? Pourquoi malgré les beaux discours de certaines DRH, garantis authentique langue de bois « made in RSE », les seniors sont-ils mis sur la touche ? Quelques éléments de réponse à ces questions vous intéresseront si vous avez passé la quarantaine en entreprise ou… si vous avez l’intention de l’y passer un jour.
Mais qu’est-ce, au juste, qu’un senior ?
Il n’existe pas plus de définition juridique de ce qu’est un senior en entreprise qu’il n’y en a de ce qu’est un bon collaborateur. Éminemment subjective, la notion de « senior » varie en fonction du cadre et du contexte dans lequel elle est employée :
- lorsqu’il s’agit d’emploi, les administrations parlent plutôt de salariés (ou de chômeurs) de 50 ans et plus ; les politiques, eux, les situent davantage sur l’axe 55 ans et plus.
- lorsqu’il s’agit d’expérience des salariés, de nombreuses branches et secteurs considèrent que l’on est senior dans son métier à partir d’un nombre d’années d’expérience variant entre 5 et 15 ans. À titre d’exemple, un jeune homme engagé à l’âge de 23 ans en tant que community manager et exerçant cette fonction durant 5 ans peut être considéré par son entreprise, à 29 ans, comme un community manager senior. Cependant, la plupart des cabinets de recrutements placent la barre de la séniorité à 20 ans d’expérience.
- lorsqu’il s’agit de formation professionnelle, la notion de senior recouvre en général les actifs de 45 ans et plus.
- Lorsqu’il s’agit de l’entretien de deuxième partie de carrière réservé aux seniors par certaines DRH, celui-ci s’adresse aux salariés de 45 ans et plus.
Glissons sur le cadre sportif dans lequel la barre de la séniorité est très vite franchie, celui du magazine Tintin, « journal des jeunes de 7 à 77 ans » qui la place donc nettement plus haut, et celui de la séduction dans lequel on a plus encore qu’ailleurs – Dieu merci – l’âge de ses artères. Et raccrochons-nous à un texte réglementaire, à défaut de définition juridique : l’accord national interprofessionnel du 13 octobre 2005 retenait comme limite l’âge de 45 ans.
Rien de tel, cependant, qu’une étude reflétant le ressenti majoritaire sur cette question de l’âge charnière, le chiffre marquant cette frontière « psychologique, mais pas que » entre collaborateur plein d’avenir et senior pétri d’angoisses. L’association À compétence égale a réalisé en 2016 sa troisième enquête sur « Les Seniors et l’accès à l’emploi ». Sur ce point, les candidats, entreprises et cabinets de recrutements interrogés sont tous d’accord : on est senior à partir de 50 ans.
Pourquoi les seniors font-ils peur ?
Ce n’est pas un cliché, l’entreprise a quelques réticences vis-à-vis des seniors. En termes d’emploi, leur taux de chômage a augmenté de 8,4% entre décembre 2014 et décembre 2015, ce qui fait d’eux la population la plus impactée dans ce domaine avec celle des jeunes diplômés. Plus encore que les consultants en cabinet, les DRH et RRH ne se sentent pas à l’aise à l’idée de recruter un senior : seulement 45% d’entre eux ont proposé des candidats seniors à leurs managers opérationnels, contre 91 % des consultants à leurs clients. Un phénomène aggravé par une mise à l’écart trop précoce des seniors de la formation continue.
Alors, quels éléments chez les seniors, qui sont tout de même 91% à estimer être discriminés en raison de leur âge, effraient-ils tant les employeurs et DRH ? Arrêtons-nous sur trois d’entre eux.
> Le coût
Selon les seniors eux-mêmes, le coût de leur embauche serait le principal frein à leur accès à un nouvel emploi. D’après l’étude précitée, ils sont en tout cas prêts à donner beaucoup pour lever ce verrou : plus des deux tiers d’entre eux (68%) accepteraient de baisser leur rémunération, 90 % de changer de fonction et près de la moitié (47%) seraient même d’accord pour déménager.
Ces réponses, qui montrent combien les seniors peuvent se montrer souples et adaptables pour décrocher un emploi, sont à rapprocher d’un autre chiffre de l’enquête : les cabinets de recrutement et les entreprises citent de leur côté la « résistance au changement » des seniors comme seconde raison expliquant leur frilosité à les engager. Un comble, puisqu’ils sont manifestement beaucoup plus enclins à changer – de rémunération, de fonction, de domicile – que des actifs plus jeunes ! Alors, perception erronée des cabinets et des entreprises, ou mauvaise foi de la part de ces derniers ?
> Le management
Si les seniors interrogés dans l’étude mentionnent la « difficulté à être managé » comme troisième frein à leur accès à l’emploi, on note que cette dimension n’apparaît pas chez les consultants RH et les entreprises. La question est pourtant d’importance alors que l’on privilégie de plus en plus aujourd’hui les jeunes managers, dits « au mérite », au plus anciens.
Au-delà des impacts négatifs que peut avoir ce nouveau modèle dans l’entreprise, chacun connaît pourtant de nombreux exemples de relations jeune manager/salarié expérimenté troublées par certaines peurs du premier : peur d’être jugé par une personne connaissant mieux les ficelle du métier que lui-même, peur de n’être pas perçu comme légitime, peur du regard d’un employé que son expérience a forcément rendu lucide sur un certain de réalités de l’entreprise. Certes, un employé expérimenté sera sans doute moins candide qu’un jeune, mais il saura aussi en général faire montre de plus de recul, et donc de meilleures capacités d’analyse.
Par ailleurs, la crainte de l’insubordination d’un senior est infondée : la lucidité du collaborateur expérimenté lui permet de mieux savoir où il met les pieds en rejoignant une entreprise, d’avoir appris que celle-ci n’est pas une démocratie, et de laisser les fantasmes d’entreprise libérée aux jeunes générations.
> Difficulté d’intégration dans des équipes plus jeunes
Seuls les consultants en cabinet désignent ce point comme l’un des freins au recrutement des seniors. Ce cliché navrant s’appuie-t-il sur une supposée inaptitude pour la chasse au Pokemon dans la rue ? Sur une inappétence pour les réseaux sociaux de type Snapchat ? Sur une réticence fantasmée au digital, alors qu’il suffit de prendre les transports en commun parisiens pour constater que les quinquagénaires sont plutôt plus nombreux à pianoter sur un smartphone ou une tablette que les trentenaires à lire un livre ? L’adaptabilité, les qualités d’écoute et le sens du collectif étant les clés des bonnes ambiances et des collaborations performantes en entreprise, rappelons aux consultants RH que ces qualités ne sont le privilège d’aucune génération, du moins tant qu’une étude scientifique ne l’aura pas prouvé.
Bien des enseignements peuvent être tirés de l’enquête à laquelle se réfère cet article. L’un d’eux est que les seniors recherchant un nouvel emploi mettraient insuffisamment leur expertise en avant, ce que l’on peut sans doute imputer à leur crainte de paraître « surdimensionné » pour un poste. Un autre est le regard porté par les répondants sur la loi de 2009 en faveur de l’emploi des salariés âgés, jugée inefficace à plus de 80% par les RH en entreprise et les consultants en cabinet. L’avenir nous dira si la nouvelle ministre du Travail, senior et ancienne DRH, envisage des mesures innovantes pour aider l’entreprise à changer de regard sur les seniors dans l’entreprise.
Concluons sur une note optimiste en misant, pour l’avenir, sur la connaissance fine qu’ont les DRH de l’humain : mieux que quiconque, les DRH savent qu’une personne n’est pas une machine, que c’en est même l’exact opposé. Si un kilométrage élevé constitue un signe d’usure et de fragilité pour une voiture, un long et riche parcours est toujours, bien au contraire, synonyme d’expertise et de connaissance pour un collaborateur. Enfin, puisque nous parlons de kilométrage, préférez-vous embarquer sur un Airbus piloté par un commandant de bord comptant 500 heures de vol, ou 5000 ? Si la seconde option vous paraît plus rassurante, vous avez déjà compris la plus-value que représentent les seniors pour toutes les fonctions de l’entreprise qui ne font pas appel à la force musculaire pure. Autant dire qu’elles sont nombreuses.
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