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QVT, management, flexisécurité : la tentation danoise

le 07 septembre 2018
QVT, management, flexisécurité : la tentation danoise

Mais qu’ont les Danois de plus que nous dans leur façon d’appréhender et de vivre le travail ? En termes de QVT, le pays se classe selon diverses études dans les meilleurs élèves sur la perception de celle-ci par les salariés. De son côté, le concept très danois de flexisécurité a le vent en poupe du côté de l’Elysée, dont l’actuel locataire vient d’ailleurs d’effectuer une visite au Danemark. Les pratiques et fonctionnements danois dans ces deux domaines sont-ils transposables en France, et pour quel bénéfice ? 

 

La QVT sauce danoise : utilité et humilité

Un article de ce blog vous avait déjà livré un regard sur la qualité de vie au travail en Suède. Chez le voisin danois, c’est le mot « arbedjdsglaede » qui exprime la notion de « bien-être de travail ». Auteure du best-seller Heureux comme un Danois paru en 2014, Malene Rydahl met en lumière dans celui-ci la notion de confiance, centrale dans le management des entreprises danoises. Selon elle, l’employé type « se sent valorisé pour ce qu’il est, […] donne du sens à son travail et trouve un équilibre entre sa vie professionnelle et personnelle ».

L’un des premiers employeurs étrangers en France, le danois ISS est leader mondial de l’externalisation de services dans la propreté et l’hygiène. Président d’ISS France, Antoine Namand insiste sur l’importance qu’il y a à expliquer en permanence aux salariés en quoi leur travail est utile. Le programme Human Touch, concours encourageant chaque employé à envoyer un selfie pris sur son lieu de travail assorti d’un message sur l’intérêt de sa mission, reflète cet état d’esprit : plus de 200 collaborateurs ont participé, et des prix de valeurs (week-ends, téléviseurs ou tablette…) ont été remportés par les lauréats. Ce type d’actions est-il envisageable en France ? Sans aucun doute.

C’est certainement moins le cas pour le « Company Day » annuel, journée durant laquelle chaque membre de l’entreprise exerce le job d’un autre. En 2016, le président d’ISS a ainsi revêtu la tenue d’agent d’entretien à la tour Eiffel. Reconnaissant avec humour des difficultés à nettoyer les moquettes (!), il pointe la fierté des employés de montrer leur métier aux dirigeants, mais aussi la possibilité pour eux de « se moquer gentiment » des ces derniers. On imagine mal, ou alors de façon très marginale, une telle humilité chez les dirigeants français.

 

Simplicité de ton et liberté d’action

Dans la sphère privée comme dans le monde professionnel, les relations interpersonnelles sont toujours influencées par les spécificités culturelles liées à la langue et aux usages en découlant. Au Danemark, les formules de politesse sont réduites, parfois inexistantes, et la manière de communiquer très directe. Là où la façon de s’exprimer, dans les entreprises françaises, est très imprégnée des notions de politesse et de respect, c’est le besoin d’égalité qui prime pour les Danois dans leur communication. Pour ces derniers, l’âge, le sexe, la profession ou le statut n’influencent pas la forme de l’échange. Le fait que le tutoiement soit universel (le vouvoiement n’est utilisé que pour la reine du Danemark !) est à ce titre significatif. De même, il n’existe pas d’équivalent exact au Danemark de l’expression « s’il vous plaît ». Ces spécificités culturelles expliquent une relation différente à la hiérarchie : il est par exemple normal pour un employé danois de discuter le point de vue d’un supérieur d’égal à égal, argument contre argument, sur la meilleure façon d’accomplir une tâche.

Le management est influencé par ces usages, et une large part est laissée à la prise d’initiative des salariés. Aux règles strictes et à la multiplication des process, les Danois préfèrent la liberté, pour chaque employé, d’organiser son travail comme il l’entend dès l’instant qu’il s’y montre efficace. Les horaires sont également beaucoup plus souples : il est par exemple facile de prendre rendez-vous pour régler une affaire personnelle sur ses heures de travail et de rattraper ces dernières plus tard, ce qui est loin d’être le cas dans nombre d’entreprises françaises.

Dans une certaine mesure, la notion d’entreprise libérée, récente et vivement débattue en France, fait partie depuis longtemps des mœurs professionnelles danoises, même si elle n’en porte pas le nom. Cette liberté peut effrayer certains salariés – plus de liberté, c’est aussi plus de responsabilité et de risques d’erreurs – mais s’avère souvent très épanouissante, et favorise l’esprit d’innovation.

Si l’entreprise danoise sait se montrer flexible, une flexibilité plus grande est également attendue des travailleurs danois en contrepartie. Le système de « flexisécurité » développé au Danemark est attentivement scruté en Europe. En France, il retient toute l’attention d’Emmanuel Macron et d’une partie de l’exécutif, impressionnés par le bas niveau de chômage du pays.

 

La flexisécurité : un Graal inaccessible en France ?

Instauré en 1999, le dispositif danois de flexisécurité repose sur quelques principes incontournables :

  • une faible intervention de l’État dans le droit du travail
  • un dialogue social de qualité avec les partenaires sociaux
  • une possibilité de licencier rapidement et facilement
  • des indemnités chômage élevées pendant deux ans (90 % du salaire des trois derniers mois dans la limite de 562 € par semaine)
  • une incitation à la reprise d’emploi forte et très encadrée (obligation de formation, accompagnement individuel soutenu, sanctions financières en cas de refus d’un emploi sous certaines conditions).

À l’évidence, certaines de ces conditions sont difficilement transposables en France.

D’abord, parce que le fort taux de syndicalisation au Danemark rend les syndicats réellement représentatifs : en 2016, selon la DARES, plus de 67 % des salariés étaient syndiqués, contre 11 % en France. Cette légitimité permet au gouvernement danois de laisser le champ libre aux partenaires sociaux pour la négociation d’accords de branche. Les pouvoirs publics ne fixent par exemple aucun salaire minimum au niveau national, et ne légifèrent que lorsque les négociations n’aboutissent pas.

Par ailleurs, les salariés comme les syndicats français sont extrêmement attachés au CDI. Force est de reconnaître que ce contrat reste chez nous un sésame sans équivalent pour solliciter un prêt auprès d’une banque, ou simplement louer un logement. Dans ce contexte, rendre les licenciements aussi faciles en France qu’au Danemark ne pourrait que créer un fort sentiment d’insécurité chez les salariés. Mais les mentalités pourraient évoluer si d’autres éléments du dispositif danois, comme des allocations chômage élevées durant deux ans et un accompagnement solide des chômeurs, étaient mis en place dans notre pays.

Les résultats sont en tout cas probants au Danemark. Les entreprises y prennent davantage le risque d’embaucher en période de reprise, y compris des collaborateurs jeunes ou peu expérimentés. De leur côté, les syndicats acceptent mieux la flexibilité du marché du travail grâce à la générosité des prestations chômage. Le taux de chômage des Danois est ainsi deux fois inférieur à celui des Français, et a atteint en juillet dernier son plus bas niveau depuis 2009. Il faut cependant noter que la flexisécurité à la danoise, si elle donne des résultats, suppose des investissements conséquents : les politiques actives de l’emploi, qui incluent l’accompagnement et la formation, représentent en effet 2 % du PIB du Danemark.

 

La France n’est pas le Danemark, et les deux thématiques évoquées dans cet article – QVT et management, flexisécurité – ne représentent qu’une part des différences dans la manière qu’ont les deux pays d’aborder le travail et l’entreprise. Mettre en place une flexisécurité à la française représente un vrai défi, qui n’incombe ni à l’entreprise ni au DRH, mais au gouvernement. En revanche, en ce qui concerne l’organisation du travail, on peut penser qu’une majorité de salariés français – tout « gaulois réfractaires » qu’ils soient au changement – accueillerait favorablement un management moins hiérarchique, une communication plus directe, une simplification des processus, une autonomie plus grande dans la conduite de leurs tâches. L’esprit d’initiative et d’innovation, la performance et la QVT perçue au sein des entreprises françaises auraient certainement beaucoup à y gagner.

 

 



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