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Une marque employeur qui néglige la moitié de sa cible est efficace à 50%

le 26 décembre 2019
Une marque employeur qui néglige la moitié de sa cible ne sera efficace, au mieux, qu’à 50%

L’une des principales clés de succès, dans une démarche de marque employeur, est de bien adresser la communication et les actions à la totalité des cibles auprès desquelles l’employeur a un discours à tenir, des messages à faire passer. Pour y parvenir, deux erreurs sont à éviter absolument. L’une, presque aussi ancienne que la marque employeur elle-même, est née de la confusion originelle entre marque employeur et communication de recrutement. La seconde, qui représente un risque en hausse, consiste à ne prendre en compte que les salariés en oubliant les autres collaborateurs. Un enjeu qui va devenir décisif.

 

Des chaises vides autour de la table

C’est l‘histoire d’un couple de Parisiens qui, venant de s’installer à Moscou pour y développer ses affaires, décida de se créer un cercle d’amis influents et d’organiser à cette fin de luxueux dîners. Des mets servis aux ornements floraux, le maître et la maîtresse de maison soignaient chaque détail afin que tous leurs convives fussent satisfaits, repus, charmés. Ils espéraient ainsi qu’on ferait rapidement leur éloge dans la haute société moscovite.

Passés deux mois et huit dîners, le maître et la maîtresse de maison constatèrent avec dépit que leurs efforts ne payaient guère. À chaque dîner, de nombreux invités ne venaient tout simplement pas. Pire, ils ne s’excusaient pas même de leur absence s’ils croisaient par la suite les époux français au hasard d’une promenade en ville. C’est à peine s’ils les saluaient.

Le couple eut un jour la surprenante explication de l’échec qu’avait été leur tentative de se faire adopter par le Tout-Moscou. Pour chacun de leurs dîners, seule la moitié des convives avait reçu une invitation. Les autres ignoraient tout simplement l’existence de l’événement ou, si d’aventure ils en avaient eu vent, s’étaient froissés de n’y avoir pas été conviés.

Sans doute pensez-vous que ce couple était bien inconséquent : comment peut-on oublier d’adresser une invitation à la moitié des gens dont on souhaite se faire connaitre ?

De la même façon, que penser d’un DRH qui déploierait des actions très étudiées pour renforcer sa marque employeur, mais n’adresserait ces actions qu’à la moitié des personnes concernées ?

Pourtant, les DRH agissant ainsi ne sont pas rares. Examinons, l’une après l’autre, les deux erreurs à ne pas commettre si l’on veut faire résonner sa marque employeur auprès de toute son audience, au grand bénéfice de l’entreprise.

 

Confondre marque employeur et communication de recrutement : l’erreur originelle

Dans l’esprit des dirigeants comme des DRH, la marque employeur reste indissociable du recrutement. Certes, elle l’est d’une certaine façon. Dès lors qu’on déploie une campagne de communication à destination de certains talents, de certains profils, le travail effectué en amont sur la marque employeur se reflète généralement à travers les messages, l’aspect visuel, la tonalité de ladite campagne (si tant est qu’il y ait effectivement eu un travail solide, en amont, de marketing RH sur la marque employeur, ce qui est loin d’être toujours le cas).

Au début des années 2000, certaines entreprises ont commencé à communiquer sur leurs qualités d’employeur en direction des talents qu’elles souhaitaient recruter. Très vite, on s’est mis à dénommer « stratégies de marque employeur » ce qui n’était que de la communication de recrutement.

Un constructeur d’automobiles ou un horloger ont-ils jamais confondu leurs produits – des voitures pour l’un, des montres pour l’autre – avec le canal de communication via lequel ils en assurent la promotion, par exemple la publicité télévisuelle ? Non, bien entendu ! Entretenue par les agences de communication spécialisées durant vingt ans, cette confusion regrettable entre communication RH et marketing RH – rappelons que, comme toute marque, la marque employeur relève d’abord du marketing – perdure encore dans l’esprit de nombreux acteurs de l’écosystème RH. Avec des dommages considérables.

Associer la marque employeur exclusivement au recrutement, c’est tout simplement renoncer à disposer d’une marque employeur au sens littéral du terme, pour se contenter d’une curieuse et courte « marque recruteur ». Posons-nous simplement la question : de qui une entreprise est-elle l’employeur, si ce n’est avant tout de… ses employés ? N’est-ce pas à cette catégorie de population que devrait prioritairement s’adresser la marque employeur ? L’entreprise n’aurait-elle donc rien à dire à ses collaborateurs ?

Poser la question, c’est déjà y répondre. Il suffit de considérer la hausse du turnover à laquelle sont confrontées les entreprises de nombreux secteurs pour entrevoir cette vérité : il serait plus sage pour une majorité d’entreprises de fidéliser ses talents, plutôt que de chercher continuellement à en attirer de nouveaux pour remédier à la défection des premiers. Le problème est criant pour les ESN (entreprises de services numériques) dans lesquelles, selon une source RH interne non officielle d’un grand acteur du secteur, le turnover atteint et dépasse souvent les 30%.

Ne s’adresser qu’aux candidats en délaissant les collaborateurs, telle est la première manière – en recul, mais encore courante ! – pour une marque employeur de manquer la moitié de sa cible, avec tous les impacts négatifs que l’on sait : manque de cohérence entre le discours externe et la réalité vécue au quotidien par les collaborateurs, impossibilité de transformer les collaborateurs en ambassadeurs de la marque employeur, risques de « bad buzz employeur » accrus sur les réseaux sociaux, manque de crédibilité, in fine, de la marque employeur.

Depuis quelques années, on constate une relative prise de conscience des DRH sur la nécessité de ne pas réserver la marque employeur à l’externe, en d’autres termes aux candidats, et de déployer leur actions vers l’interne, autrement dit les collaborateurs. L’attention portée à la qualité de l’expérience collaborateur, qui est l’incarnation concrète des promesses de la marque employeur au sein de l’entreprise, en témoigne. Mais un risque inverse se développe actuellement : celui de ne plus adresser la marque employeur qu’à… l’interne.

 

Considérer tous les collaborateurs et pas uniquement les salariés : le défi RH de demain

Regarder la marque employeur en 2019 avec la même grille d’analyse qu’il y a seulement 10 ans n’aurait pas de sens car la transformation digitale, devenue perpétuelle, a profondément changé la donne en apportant d’autres transformations : sociales, économiques, sociétales. Cependant, la transformation du rapport au travail s’est amorcée avant l’ère du digital.

Avec la financiarisation de l’économie dans les années 90, le modèle « classique » de la relation salarié-employeur, régi par un contrat de travail qui était souvent celui de toute une vie, s’est progressivement délité. Parus en 2017, le livre The end of loyalty de Rick Wartzman analyse cette évolution chez de grands employeurs américains comme General Motors ou Coca Cola.

Dès la fin des années 90, des métiers qui avaient toujours été exercés par des salariés ont commencé à l’être sous le statut d’indépendant ou de freelance. Les talents les plus sollicités, notamment dans le secteur des nouvelles technologies, ont été parmi les premiers à choisir l’indépendance afin de pouvoir choisir leurs missions, de n’être plus tributaires d’une hiérarchie pour dessiner leur parcours.

Depuis une quinzaine d’années, les contrats courts et les CDD n’ont ainsi cessé de croître, créant deux populations bien distinctes de collaborateurs au service de l’entreprise, que les anglo-saxons désignent sous les noms d’insiders et d’outsiders ; d’une part les salariés en CDI, mieux protégés par le droit du travail et soucieux de préserver cet avantage ; de l’autre, les personnes en CDD, prestataires, consultants, freelance, intérimaires, ou encore employées par des sociétés intermédiaires.

Et le mouvement ne cesse de s’amplifier. Aux États-Unis, les freelances représente 34% de la force de travail (étude « A vision for the economy of 2040 » de la fondation Kauffman et l’Institut Roosevelt), soit un américain en activité sur trois. Au vu de la dynamique actuelle, ce taux va dépasser les 50% en 2020. Et si l’Europe et la France ne sont pas encore parvenues à ce stade, une étude de SD Worx sur la flexibilité publiée en 2018 montre que 95 % des entreprises françaises font appel à des travailleurs indépendants.

Le résultat de cette évolution est clair : le DRH n’a désormais plus la main sur une très grande partie des ressources réelles de l’entreprise. Les collaborateurs externes, même s’ils contribuent fortement à la valeur ajoutée d’une organisation, n’entrent pas techniquement dans le champ du DRH. Dès lors, comment déployer vers eux les actions de marque employeurs à même de les fidéliser, de pérenniser la collaboration, de créer du lien avec l’entreprise, de faire d’eux les ambassadeurs de celle-ci ?

 

Les freelances et autres collaborateurs externes : le nouveau public de la marque employeur

Le cas des freelances est particulièrement intéressant. Facilement mobilisables, habitués à se montrer flexibles, les freelances peuvent représenter un atout sur un marché de l’emploi tendu, d’autant que la tendance est de plus en plus au travail en mode projet : de par leur statut, ces collaborateurs offrent à l’entreprise toute l’agilité souhaitée pour engager des projets ponctuels sans être liées par les contraintes d’un CDI une fois ces projets achevés.

Pour qu’ils aient une perception favorable de la marque employeur de l’entreprise, ils doivent être traités de la même façon que les autres collaborateurs, ce qui commence par les faire bénéficier d’une « qualité de service RH » équivalente.

À titre d’exemple, un chargé de projet en délégation chez un client pour quelques mois n’appréciera pas de devoir « badger » chaque jour en tant que visiteur si cela lui impose une contrainte ou une procédure plus longue que les permanents. De la même façon, il se sentira forcément agacé, à la cantine, de devoir payer plus cher un plateau-repas pourtant similaire à celui des salariés avec lesquels il travaille et déjeune (et ce, quel que soit son niveau de rémunération).

Au-delà de ces éléments symboliques, des sujets RH de fond revêtent une grande importance, comme la formation. De nombreuses entreprises l’ont compris puisque, selon l’étude SD Worx déjà citée, 49% des entreprises employant des freelances les forment durant leur mission. D’après la même source, 59% des organisations évaluent d’ailleurs leurs freelances sur les mêmes critères que leurs salariés. Se sentir jugé sur son apport à un projet, indépendamment de son statut de freelance, a un caractère motivant et engageant qui ne peut que bénéficier à la perception qu’aura, de la marque employeur, le collaborateur externe.

Déclencher l’adhésion à la marque employeur, c’est aussi sensibiliser le collaborateur à la culture de l’entreprise. La tâche n’est pas forcément évidente, quand on voit par exemple que seuls 6 collaborateurs externes sur 10 se rendent aux fêtes organisée par l’entreprise pour laquelle ils travaillent (étude SD Worx déjà citée). Il  parait donc important, à l’intention des freelances qui travaillent chez eux, de prévoir dans l’entreprise des espaces partagés avec les autres salariés.

À l’heure où le télétravail pour les permanents ne cesse de croître dans les entreprises françaises, un minimum d’échange en présentiel doit être préservé entre tous les collaborateurs, insiders comme outsiders. La convivialité, la tonalité des échanges entre les personnes, demeurent des éléments informels très importants d’une culture d’entreprise et, partant, d’une marque employeur. On peut entretenir cette convivialité par écran interposé, mais elle n’aura jamais la même saveur qu’autour d’un café provenant de la même cafetière.

 

La digitalisation a créé dans l’exercice du travail une nouvelle appréhension du temps, mais aussi de l’espace. Gérer la question géographique devient ainsi, à l’orée des années 2020, l’un des grands enjeux de la marque employeur. Qu’ils soient internes ou externes, les collaborateurs ne peuvent être liés uniquement par des projets professionnels, des conférences téléphoniques ou des réunions sur Skype, car c’en serait fini de la marque employeur. N’oublions pas qu’une marque employeur puise sa force dans tout un capital immatériel – des valeurs, une culture – qui font sa spécificité, son unicité. Ces valeurs et cette culture ne pourront être réellement ressenties et partagées par des collaborateurs s’ils ne vivent jamais, ne serait-ce qu’une fois par mois, la même chose, au même moment et au même endroit.

 

Retrouvez les autres contributions d’expert(e)s sur notre blog :

[DOSSIER] DRH : pleins phares sur la marque employeur

ou directement sur le site du Mag RH.

 



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