tribunes

Marque employeur : il était une marque…

le 10 novembre 2016
La marque employeur sur un panneau de western

[DOSSIER 1/3] Depuis deux décennies, nombre d’organisations se sont intéressées, de loin ou de près, à la notion de marque employeur. Il ne s’agit donc pas d’un concept nouveau. Pourtant, certaines entreprises semblent redécouvrir son importance, et au-delà du seul domaine de l’attraction des talents. D’aucuns la jugent même décisive au point d’engager l’avenir de l’entreprise, rien de moins. Que s’est-il passé, en 20 ans, qui justifie ce nouveau regard ? Retour sur les défis traversés durant cette période par la marque employeur pour mieux éclairer le rôle, beaucoup plus crucial, qu’elle est appelée à jouer dans les années à venir.

 

Naissance du concept de marque employeur

Marque employeur : deux mots qui sont la traduction d’employer brand, un concept américain apparu il y a vingt-cinq ans. Le terme employer branding fut utilisé pour la première fois lors d’une conférence sur le management en 1990, puis défini de façon académique par Simon Barrow et Tim Ambler dans la revue Brand Management. Cet article constitua la première tentative visant à « appliquer les techniques du management de marque (autrement dit le marketing) au management des ressources humaines ».

À la fin des années 90, le concept éveille en France un vif intérêt chez certains professionnels de la communication de recrutement. Précurseur, Didier Pitelet pressent le fort potentiel de cette nouvelle composante du marketing de l’entreprise et dépose l’expression « marque employeur » en 1998. Il faut dire que le contexte économique et le marché français se prêtent merveilleusement, à l’approche des années 2000, au développement de cette marque pas tout à fait comme les autres.
 

 

Un contexte favorable en France

À la fin des années 90 se forme ce que les professionnels de la finance vont appeler la bulle Internet, ou bulle technologique. Sur les marchés boursiers, cette bulle spéculative se crée autour des valeurs des secteurs des technologies de l’information et des nouveaux médias. À l’époque, les ventes de téléphones portables explosent et Internet commence à investir les foyers français.

En 1998 / 1999, il y a bien entendu de grands groupes et des PME bien assises que la marque employeur intéresse. Mais, phénomène notable qui va pousser cet intérêt plus haut et plus vite, on parle alors beaucoup des « start-ups », ces nouvelles sociétés qui essaiment comme des champignons dans et autour de la fameuse bulle Internet. Les nouvelles technologies ouvrant grand le champ des possibles, les bonnes idées fusent et les clients frappent d’eux-mêmes aux portes des SSII (sociétés de services et d’intégration de systèmes informatiques, aujourd’hui connues sous le nom d’ESN). Ces dernières n’ont besoin que d’une chose pour doper leur croissance : recruter les précieux talents qui leur permettront d’accompagner ces organisations avides de modernité.

Un tel contexte fait des ingénieurs informaticiens d’alors les rois du marché de l’emploi. Comment les attirer, dans un climat de concurrence si âpre que l’on se met à parler de guerre des talents ? Comment exister vis-à-vis d’eux, quand on est une start-up ne disposant pas de la crédibilité d’un Cap Gemini ou d’un Atos ? Comment, aussi, les fidéliser et les dissuader de rejoindre la concurrence, ce que nombre d’entre eux n’hésitent pas à faire « pour quelques dollars de plus » ? En filigrane de ces questions, toute l’utilité de la marque employeur se dessine déjà…

 

Et l’annonce de recrutement devint corporate

A l’orée des années 2000 et malgré la fameuse bulle Internet, le papier est encore un média incontournable pour recruter en France. Certes, les start-up spécialisées en hautes technologies ont un site Internet, dont la rubrique Carrières est souvent la plus importante. Certes, les premiers jobbards, tel Monster, s’installent en France avec l’ambition de tout balayer sur leur passage. Mais, quand on ne dispose d’aucune notoriété, les annonces presse dans les cahiers recrutement de 01 Informatique, voire du Figaro ou de l’Express, permettent de se faire utilement connaître : des candidats, bien sûr, mais aussi des clients. Explication : une pleine page couleur de publicité dans un support de prestige coûte cher. La même pleine page insérée dans le cahier recrutement du support, sensiblement moins. Start-ups ambitieuses ou déjà dotées d’une notoriété, les SSII investissent en masse ces emplacements.

S’opère alors un changement majeur dans la communication de recrutement. Il ne s’agit plus seulement de diffuser un profil de poste dans ces espaces : tous ces annonceurs pistent au fond les mêmes ingénieurs spécialisés en ERP ou en JavaScript, ces derniers le savent d’ailleurs fort bien. Il s’agit de leur promettre autre chose, en l’occurrence de leur parler de l’entreprise. De ses projets ? Sans doute, mais toutes ont peu ou prou les mêmes. De sa culture et de ses valeurs ? Voilà qui pourrait bien faire la différence… L’annonce de recrutement glisse ainsi vers le « corporate ». La frontière s’efface entre campagne de recrutement et communication de marque. Ce que l’on vend, aussi bien au candidat qu’au client parcourant les annonces presse, est moins un poste précis que de la marque employeur. Celle-ci porte un message auxquels les clients sont forcément sensibles : les ingénieurs qui accompagneront leur projet, généralement en délégation dans leurs locaux durant de longs mois, seront des professionnels à la pointe, épanouis grâce à un employeur leur offrant de bonnes formations et de belles possibilités d’évolution. En résumé, la marque employeur et devenue à la fois argument de recrutement et outil d’image corporate. Fondamentale, cette percée de la marque employeur dans la communication de l’entreprise va néanmoins rapidement marquer le pas.

 

Des promesses, toujours des promesses…

Du début au milieu des années 2000, on promet beaucoup pour attirer les meilleurs candidats. De l’épanouissement, d’abord. De la formation, ensuite. De l’évolution, enfin.

Attachons-nous de nouveau au cas des SSII, fer de lance des campagnes de marque employeur les plus audacieuses d’alors, pour examiner ces promesses. Elles ne sont pas toujours fausses : les grands projets conduits pour un client mènent souvent à d’autres projets encore plus grands, les employeurs investissent dans la formation continue pour garder leurs talents à la pointe de l’innovation… Elles ne sont pas toujours vraies non plus. À titre d’exemple, on promet une culture d’entreprise humaine, conviviale, fondée sur la solidarité et l’esprit d’équipe ; quid de tout cela lorsqu’on se trouve, plusieurs mois durant, en délégation chez un client sans jamais rencontrer ses collègues ? Certains employeurs tentent de pallier le problème en organisant des dîners, des soirées, des week-ends au soleil ou des séminaires sportifs aux frais de l’entreprise. Ce sont les premières amorces pour mettre en cohérence promesses aux candidats et vécu des collaborateurs (on est loin alors de parler d’expérience salarié).

Si ces initiatives donnent quelques résultats, nombre d’entreprises du secteur High-tech n’arrivent pas à se défaire d’une réputation de « marchands de viande ». De leur côté, les ingénieurs informaticiens souffrent souvent d’être perçus comme des mercenaires.

En somme, on promet de plus en plus, mais on tient de moins en moins : et lorsqu’on tient, il est difficile de capitaliser sur la satisfaction des salariés, qui ne disposent pas encore de support pour relayer les qualités de leur employeur dans leur communauté professionnelle. On l’ignore encore, mais les réseaux sociaux vont tout changer.

 

Et soudain, les réseaux sociaux furent

En 2003 nait en Californie un réseau social nommé Linkedin. En 2004, à l’université d’Harvard, des étudiants créent un réseau social interne baptisé Facebook. La même année apparaît Viadeo. En 2006, Facebook s’ouvre au grand public et Twitter pousse son premier tweet. Rien ne sera jamais plus comme avant dans la sphère personnelle comme dans le monde professionnel, y compris pour la marque employeur.

Le succès des réseaux sociaux dans les usages personnels va impacter profondément la relation employeurs/salariés. Dans leur vie privée, les internautes prennent en effet l’habitude de commenter la qualité des marques et des produits qui leur sont vendus, de dialoguer avec des représentants de ces marques, d’échanger librement entre consommateurs. C’est l’ère de la recommandation, dont Trip Advisor est un peu le modèle. C’est donc tout naturellement qu’ils feront leurs ces comportements vis-à-vis de leur employeur, ou des entreprises susceptibles de le devenir. Dès lors, la démarche de séduction semble s’inverser. L’entreprise découvre qu’il ne lui suffit plus d’affirmer que l’ambiance de travail est bonne, les possibilités d’évolution nombreuses, l’engagement récompensé : candidats potentiels ou simples curieux en veille sur le marché, les cibles s’informent, questionnent, vérifient.

De leur côté, salariés et collaborateurs en poste commencent à juger publiquement leur employeur. En 2008, Glassdoor apparaît aux États-Unis. La version française de ce site, spécialisé dans la notation de l’entreprise qui vous emploie, ouvre en 2014. Viadeo affiche, de son côté, 4 millions de notations sur les entreprises. Un chiffre qui montre que la réputation employeur est devenue aussi importante que la marque employeur, la crédibilité de la seconde reposant fortement sur la qualité de la première.

 

Une prise de conscience sur les nouveaux enjeux

L’apparition des réseaux sociaux, et plus largement la digitalisation de la société dans son ensemble, ont changé la donne. Ne rien faire pour sa réputation/e-réputation employeur, c’est a minima prendre cinq risques :

  • avoir une image employeur négative (ou à tout le moins être en risque de bad buzz),
  • ne pas parvenir à recruter les talents nécessaires à son développement,
  • éprouver des difficultés à fidéliser ses collaborateurs en poste,
  • se priver d’un moyen efficace de renforcer l’engagement,
  • perdre le contrôle de son image au-delà de la seule dimension « employeur » de l’entreprise.

 

La marque employeur, on le voit, recouvre des enjeux dépassant largement l’attraction des talents. Dans sa thèse « De la marque employeur aux nouveaux enjeux RH » réalisée en 2011, Agnes Duroni la définit comme « la réunion de quatre dimensions : l’attractivité, la réputation, l’engagement des salariés, et la différenciation, que l’entreprise va partager avec son écosystème pour promouvoir la marque en tant qu’employeur ». Outre les candidats, les cibles de cette marque employeur sont les collaborateurs, les clients, les syndicats, les pouvoirs publics… Il semble bien, aujourd’hui, que les organisations commencent à prendre conscience de ce fait, et notamment de l’importance toute particulière, dans ces différents publics, du salarié. Comme nous allons le voir sous peu, elles n’auront de toute façon bientôt plus le choix.

 

Passée depuis la fin des années 90 du statut de nouveauté à celui de mode, oubliée ou laissée en friche en période de crise, puis de nouveau perçue comme un enjeu central des organisations, la marque employeur doit à présent intégrer les défis de l’entreprise nés de la digitalisation. Alimenter la marque employeur, la distinguer et la faire vivre est devenu plus complexe et nécessite un effort continu. Ceci fera l’objet du deuxième article de ce dossier. Une chose est en tous cas certaine, les grands combats de la marque employeur sont devant elle.

Ci-dessous, les 3 tribunes sur le nouveau souffle de la marque employeur

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Source : © Shutterstock / Tancha

 

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