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La marque employeur chez les ESN : revenir aux fondamentaux ?

le 31 janvier 2019
La marque employeur dans les ESN

Les ESN – entreprises de services numériques – ne sont pas des organisations tout à fait comme les autres. Bien qu’elles aient été dans les premières à s’intéresser à la marque employeur il y a vingt ans, bien qu’elles consacrent aujourd’hui encore beaucoup de ressources au recrutement, leur taux de turnover demeure très élevé. Pourquoi construire une marque employeur solide, seule capable de fidéliser les talents, s’avère-t-il si compliqué dans le cas des ESN ? Comment faire pour y parvenir ?

 

Les « vieux démons » des ESN vis-à-vis de la marque employeur

Il y a environ vingt ans, le vocable « start-up » était surtout utilisé pour désigner les jeunes pousses du secteur des nouvelles technologies. La croissance de celles qu’on appelait alors les SSII (sociétés de services et d’intégration de systèmes informatiques) n’était entravée que par un problème : recruter suffisamment d’ingénieurs informaticiens qualifiés pour accompagner les projets des clients.

Comment attirer les profils prisés dans un contexte de « guerre des talents », la communication de recrutement de l’époque misait essentiellement sur des campagnes d’annonces diffusées dans la presse. Un changement majeur intervint dans cette communication : les ESN recherchant finalement les mêmes ingénieurs spécialisés en ERP ou en JavaScript, on se mit à parler dans les annonces davantage de l’entreprise-employeur que du poste. De ses projets, bien sûr, mais aussi de sa culture et de ses valeurs. L’annonce de recrutement devenait ainsi outil de marque employeur. Cette première percée de la marque employeur dans la communication de l’entreprise, pourtant prometteuse, allait s’avérer décevante.

De fait, jusqu’au milieu des années 2000, les ESN se sont mises à promettre beaucoup pour attirer les meilleurs candidats, sur trois thématiques majeures : épanouissement, formation continue, évolution professionnelle. Des promesses, hélas, souvent peu réalistes. Certes, certaines ESN pouvaient effectivement investir dans la formation continue et confier des projets de plus en plus importants à un collaborateur, mais comment garantir sérieusement un « esprit d’équipe authentique » ou une « ambiance épanouissante » à un candidat appelé à travailler en délégation chez un client sans jamais rencontrer ses collègues ?

En résumé, de nombreuses ESN ont promis sans tenir, sans réflexion préalable, encourageant sans le vouloir chez leurs candidats cibles un état d’esprit qui leur est encore reproché aujourd’hui : les ingénieurs informaticiens seraient des collaborateurs infidèles par nature, voire de cyniques mercenaires. De leur côté, ces derniers verraient leurs employeurs comme des « marchands de viande »… Échec de la marque employeur sur toute la ligne
 

 

Les ESN : un univers où le recrutement reste une problématique majeure

L’une des spécificités des ESN est d’avoir un turnover élevé. Les organisations du secteur subissent fréquemment des vagues de démissions ou de ruptures conventionnelles, puis peinent durant de longues périodes à retrouver des profils qualifiés. Si, pendant longtemps, le problème a été imputé à une pénurie de profils adaptés, de nombreuses ESN sont conscientes qu’elles souffrent avant tout d’un déficit d’image ; pour être plus précis, d’image employeur.

Ce déficit s’explique d’autant mieux que le digital a accentué la prise de conscience, chez les candidats, d’un décalage entre les promesses de la marque employeur et la réalité vécue de l’entreprise. Le succès des réseaux sociaux a profondément impacté la relation employeurs/salariés : que ce soit sur Glassdoor ou Viadeo, les collaborateurs jugent désormais publiquement leur employeur.

Si les ESN savent aujourd’hui qu’il leur faut mettre leurs campagnes de communication en adéquation avec leur politique RH (nous allons y revenir), elles n’en continuent pas moins d’investir dans des campagnes de recrutement pour pallier leur déficit de talents.

Pour Fabrice Losson, directeur Relations écoles et Marque employeur au sein du groupe Sopra Steria qui recrute plus de 3 000 collaborateurs par an, la difficulté majeure pour les ESN « réside dans le fait que tout le monde s’arrache les mêmes profils ». Très actif sur les réseaux sociaux depuis trois ans, le leader de la transformation numérique « anime une page Facebook, Instagram, un compte RH Twitter et une page Carrières Linkedin » et a beaucoup développé le sujet de l’employee advocacy. Le groupe n’en délaisse pas moins les offres d’emploi et Fabrice Losson veille par ailleurs « à ce que chaque entité porte de manière cohérente et attractive la communication » auprès des cibles de recrutement.

Cap Gemini, de son côté, mise très largement sur les réseaux sociaux pour transformer ses collaborateurs en ambassadeurs de l’entreprise, ce qui conforte les actions de recrutement mises en place par ailleurs.

Ces approches cross-over donnent certainement des résultats. Mais la clé pour résoudre durablement la pénurie de talents ne se situe-t-elle pas davantage dans leur fidélisation que dans leur recrutement ?

 

Fidélisation des collaborateurs : la vraie question

Il est plus sage pour une entreprise de fidéliser ses clients plutôt que de chercher continuellement à en acquérir d’autres pour remédier à leur défection : pourquoi cet adage, couramment admis sur le plan commercial, ne le serait-il pas dans le domaine des ressources humaines ? Et surtout dans les ESN, où le turnover avoisine les 20% selon une étude de HEC ?

Fidéliser les collaborateurs des ESN pose des difficultés bien spécifiques au secteur du conseil dans le numérique.

Par la force des choses, des consultants travaillant en délégation chez leurs clients se sentent moins attachés à leur employeur. Ils n’entretiennent avec lui que des relations lointaines, dans certains cas inexistantes, pendant plusieurs mois. Un professionnel du secteur rapportait récemment sur son blog avoir souvent observé des consultants issus de telle ou telle grande ESN, parfois très renommée, tenir des propos extrêmement critiques sur leur employeur. Outre qu’il témoigne du peu d’attachement des consultants d’ESN à leur employeur, ce phénomène contribue à creuser le déficit d‘image des ESN.

Autre difficulté, de nombreux consultants d’ESN désirent, quand leur expérience chez un client s’avère positive, se faire embaucher par celui-ci. On peut tout de même rêver meilleur ambassadeur, pour un employeur, que des collaborateurs qui ne songent qu’à vous quitter !

 

Quand les ESN misent sur la QVT et la formation

Si l’on se réfère au palmarès 2018 des entreprises Great Place to Work, la présence plus marquée d’ESN dans les premières places des entreprises où il fait bon travailler (Zenika, Octo Technology pour les entreprises jusqu’à 500 salariés…) témoigne des efforts fournis par le secteur pour améliorer la QVT de ses collaborateurs.

De nombreuses ESN organisent désormais des dîners, des soirées, des week-ends au soleil ou des séminaires sportifs aux frais de l’entreprise, dans le but de fédérer leurs équipes dispersées chez les clients.

Le sentiment de bien-être au cours d’une journée de travail provient aussi de détails « bêtement pratiques ». À titre d’exemple, un consultant d’ESN en délégation peut se sentir exclu à la cantine s’il paie le prix fort pour son repas parce qu’externe à l’entreprise, alors que les salariés avec qui ils travaillent dans la journée bénéficient d’un tarif attractif. Certains déjeunent ainsi seuls devant leur ordinateur ! L’ESN doit anticiper et prévenir ces problèmes, fusse en s’acquittant elle-même de la différence de prix.

Mais la qualité de vie au travail doit d’abord être présente… pendant le travail lui-même. De nombreuses ESN ont ainsi pris conscience de l’attente de « collaboratif » de leurs consultants, et mettent à leur disposition des plateformes d’échange leur permettant d’échanger et de s’entraider, fussent-ils en délégation chez des clients différents. Un acteur comme Max Digital Services, qui revendique le collaboratif comme la première de ses valeurs, s’efforce de son côté de limiter la mobilité de ses consultants en les maintenant dans les environs de Rennes.

Au-delà de la dimension QVT, les ESN misent sur la formation, la participation à des événements communautaires techniques, ce qui les distingue en répondant à une préoccupation majeure de leurs consultants : celle de rester à la pointe dans un domaine où l’innovation est perpétuelle.

Ces différents types de mesures, si elles ne peuvent qu’améliorer les choses, méritent cependant d’être modélisées et pilotées de façon rationnelle pour porter leurs fruits de façon pérenne. Il n’existe qu’un seul moyen pour y parvenir.

 

Le marketing RH, voie unique pour une marque employeur efficace

Imagine-t-on, à l’orée des années 2020, déployer une nouvelle marque commerciale sans avoir eu recours au marketing ? Sans avoir étudié de façon approfondie ses cibles, son marché, le contexte ? Sans avoir construit une plateforme de marque solide ? Non, évidemment non !

Parce que les enjeux touchant à la marque employeur sont diversifiés et complexes, parce que les sujets RH (recrutement, engagement, fidélisation, formation, transformation digitale…) interagissent, parce que les ressources humaines sont un domaine sensible qui touche à la vie quotidienne des personnes, il est totalement irréaliste d’espérer déployer une marque employeur avec succès sans avoir recours au marketing RH.

Élaborer un positionnement RH et construire une plateforme de marque employeur ne sont pas des étapes particulièrement longues ni coûteuses, mais elles sont indispensables pour parvenir à un résultat probant dans le déploiement de ladite marque.

Adopter cette approche permet en effet de connaître réellement les cibles de l’entreprise-employeur, de décrypter leurs comportements et leurs attentes et, dès lors, de savoir quels messages délivrer, de quelle façon et via quels canaux. Ce travail préalable évite tout décalage entre les messages adressés aux candidats et ceux destinés aux collaborateurs et, plus globalement, permet de garantir la cohérence de la marque employeur vis-à-vis de tous ses publics.

Une démarche qui se justifie particulièrement pour les ESN qui, contrairement à de nombreux groupes d’autres secteurs (agroalimentaire, automobile, textile, etc.), ne bénéficient pas au départ du capital de reconnaissance et de prestige des marques BtoC connues du grand public.

 

Il est plus que jamais demandé aux DRH de disposer des personnes munies des bonnes compétences au bon moment. Ces derniers doivent intégrer que le premier bénéfice d’une marque employeur n’est pas l’attractivité des nouveaux talents, mais la fidélisation des collaborateurs en poste. Il est certain que des éléments comme la QVT et la formation, qui permet au collaborateur de se projeter sur le long terme dans l’entreprise, sont des éléments primordiaux pour valoriser une marque employeur. Mais ce n’est qu’en pilotant ces chantiers de façon cohérente, en suivant une ligne de marque employeur travaillée en amont via le marketing RH, qu’il sera possible aux ESN de se constituer des équipes solides, performantes et… fidèles.

 

 



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