« Les solutions ne seront pas uniquement technologiques »


Directeur du déploiement opérationnel d’Eco CO2
La fonction RH a un rôle central à jouer dans la mise en œuvre des politiques de développement durable des entreprises. C’est l’avis de Gil Doat, directeur du déploiement opérationnel d’Eco CO2, spécialiste du conseil et formation en transition écologique.
Sommaire
La notion de développement durable a environ 40 ans. Quels en sont aujourd’hui les différents enjeux ?
Le développement durable renvoie à 3 thèmes spécifiques et distincts : l’environnemental, le social et l’économique. L’idée de départ était de susciter une rupture par rapport au modèle de développement précédent fondé uniquement sur l’économique. Il s’agissait d’ajouter à la stratégie des organisations les deux autres grands thèmes, en posant pour principe qu’aucun des 3 ne devait prendre le pas sur les 2 autres. Dans les années 2000-2010, il est apparu que les entreprises ne s’étaient pas suffisamment approprié le sujet, le laissant aux politiques et aux institutions internationales.
D’où la transposition du développement durable dans la norme ISO 26000 en 2010. Dans le même temps, le vocable RSE, « responsabilité sociale (ou sociétale) de l’entreprise », a pris de l’importance. Il présente le gros avantage d’inclure le mot « entreprise », mais au détriment des autres types d’organisation. Derrière cette migration sémantique, il y a donc une transformation réglementaire qui a, dans les faits, beaucoup plus visé les entreprises que les collectivités.
Comment évoluent les 3 piliers du développement durable dans l’entreprise ?
Il y a d’abord la question de la dichotomie social/sociétal, autour de laquelle règne un certain flou. Je dirais que le social renvoie aux personnes qui travaillent dans l’entreprise ou dans la chaîne de valeur, le sociétal correspondant au contexte dans lequel l’entreprise s’insère. Une autre évolution est le remplacement de l’économique par la gouvernance : on parle désormais d’ESG, « Environmental, social and governance ». L’économique est considéré comme intrinsèque à l’entreprise. La gouvernance reprend les sujets de gestion des parties prenantes, de transparence, d’éthique.
Quels sont les leviers qui peuvent pousser les entreprises à agir en matière de développement durable ?
J’en distinguerais 4. Il y a d’abord, tout simplement, l’éthique et la conviction des dirigeants. Vient ensuite le souhait de gagner de nouveaux marchés. Si mes clients accordent de plus en plus d’importance aux critères RSE, je suis incité à les prendre en compte dans mon offre. Le 3e levier est d’ordre financier. Les banques, les assurances, les sociétés d’investissements sont de plus en plus encadrées et doivent rendre des comptes sur l’argent qu’elles placent ou prêtent. Pour avoir accès aux capitaux, les entreprises doivent souvent respecter un certain nombre de critères RSE. Le 4e levier, enfin, est l’attractivité : il faut faire venir et retenir des collaborateurs de plus en plus sensibles à ces questions. La directive CSRD va imposer l’obligation d’un rapport extra-financier sur ces sujets à la plupart des entreprises de plus de 250 salariés. Et ces entreprises vont être amenées à demander leur propre bilan à leurs fournisseurs, qui sont souvent des PME. De fil en aiguille, tout le monde va devoir tenir compte des impératifs de la RSE et du développement durable.
Quelles sont, à grandes lignes, les principales implications du développement durable en matière de RH ?
Il y a d’abord un sujet récurrent sur le développement durable : une organisation doit-elle nommer un responsable dévolu à la question ? L’avantage est de personnifier et de nommer le sujet, mais il y a un risque de démobilisation des autres services. Or, le développement durable concerne tout le monde.
La direction RH se retrouve donc naturellement au cœur du sujet. En attendant que tous les dirigeants aient intégré la question, il faut bien que quelqu’un développe une matrice pour l’ensemble de l’organisation, et tire pour chacun les conséquences métier de l’engagement RSE de l’entreprise. Comment mettre en place une communication responsable, des achats responsables, des ventes responsables, des finances responsables ?
Les réponses passeront par la montée en compétences et la formation de l’ensemble des salariés. Hier, quand je recrutais un commercial, je voulais qu’il sache vendre. Aujourd’hui, il doit toujours savoir vendre, mais il doit intégrer en plus tous les enjeux RSE pour être en mesure de répondre aux questions des clients. Or les écoles de commerce, jusqu’à il y a peu, parlaient très peu de ces sujets. Le rôle des RH est donc absolument crucial en ce moment où nous basculons, avec le développement durable, d’un sujet d’expert à un sujet généraliste qui affecte tout le monde.
Que signifie exactement la neutralité carbone en 2050, en particulier pour les entreprises ?
Pour ceux qui s’y projettent dès aujourd’hui, c’est une révolution, et une formidable opportunité de transformation. Pour ceux qui n’ont pas effectué cette prise de conscience, c’est un risque considérable. Et beaucoup d’entreprises sont parties pour s’en préoccuper le 31 décembre 2049.
La neutralité carbone ne consiste pas à ramener les émissions à 0, mais à les neutraliser – c’est-à-dire à faire en sorte de capter autant de carbone que l’on en émet. Ce qui pourrait laisser penser qu’une solution purement technologique est possible. La stratégie nationale bas carbone est plus réaliste, et ne part pas du principe que nous pourrons capturer de grandes quantités de carbone. Il faudra diviser nos émissions par 4, voire davantage, et compenser la part restante. La priorité est donc de réduire les émissions, et non de faire de la compensation.
Sommes-nous encore dans les clous pour atteindre les objectifs de réduction des émissions ?
Dans les années 90, deux discours s’opposaient : celui de l’atténuation – nous allons réduire considérablement les émissions – et celui de l’adaptation – le changement est inéluctable et il faudra s’y habituer. Aujourd’hui, il devient clair qu’il faudra à la fois réduire les émissions et s’adapter. Nous ne tiendrons probablement pas les +2 degrés à l’horizon 2050. Lors de la COP à Paris en 2015, Évelyne Dhéliat avait fait une présentation météo fictive pour marquer les esprits, en commentant des températures extrêmes. Or ces températures ont été observées dès 2022-2023 !
On retrouve ces deux notions en filigrane dans la directive CSRD, avec la notion d’analyse en double matérialité. Il s’agit d’évaluer d’un côté l’impact de mon activité sur l’environnement, de l’autre l’impact des modifications inéluctables de mon environnement sur mon activité. La première matérialité renvoie à l’atténuation ; la seconde renvoie à l’adaptation. On retrouve donc ce débat fondateur au cœur même de l’organisation.
Les organisations ont-elles suffisamment conscience des efforts à fournir ?
Globalement, non, quoi qu’on en dise. Dans les très grandes organisations, il y a généralement une prise de conscience et un début d’intégration sérieuse. Le fait que Total se soit rebaptisé TotalEnergies relève sans doute du marketing, mais cela reste significatif : les dirigeants se rendent bien compte que le pétrole n’est pas l’avenir de leur groupe. Ces grands groupes s’emparent du sujet, nomment des responsables RSE, ont des équipes qui s’occupent de rédiger leur rapport extra-financier et de mettre en place les bons indicateurs.
À côté, les entreprises de taille plus modeste ont le nez dans les opérations et font face à une variété de défis RH, techniques, commerciaux. Parler à un chef de PME de neutralité carbone en 2050 alors qu’il ne sait pas si l’entreprise sera encore là à la fin de l’année, c’est difficile. Ces structures n’ont pas les moyens de payer une personne à temps plein pour s’occuper de RSE. C’est la raison pour laquelle nous sommes très présents auprès des PME, qui recherchent un interlocuteur externe sur ces questions. L’avantage, c’est qu’il suffit de convaincre le dirigeant pour que les choses aillent ensuite très vite.
Nous sommes persuadés qu’une démarche RSE sérieuse est créatrice de valeur. Et nous portons une autre conviction forte : celle que les solutions à ces grands enjeux ne seront pas uniquement technologiques. C’est pourquoi notre équipe cumule l’expertise des ingénieurs (pour la solution technique et sa valorisation) et celle des sciences humaines et sociales (pour la dimension comportementale et collective). C’est aussi pour cela que la RSE est un sujet RH.
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