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Comment les startups et les scale-ups « disruptent » les pratiques RH, et ce qu’elles peuvent apprendre aux grandes entreprises

le 03 février 2023
nouvelles pratiques startups et scale-ups
Michel Barabel

Michel Barabel est directeur des publications du LabRH et Directeur de l’EMRH – SciencesPo Executive Education.

Lors de HR Technologies France, Michel Barabel, Directeur des publications du LabRH et Directeur de l’EMRH – SciencesPo Executive Education, a présenté plusieurs « études de cas », sur la façon dont les startups et les scale-ups « disruptent » les pratiques RH. Dans un livre à paraître aux éditions Dunod (collection Le Lab RH) et co-écrit avec Pierre Monclos, DRH de Unow, il revient notamment sur ces jeunes entreprises dont les équipes RH vont à l’opposé des « RH traditionnelles », avec une forte transparence des informations, des process plus flexibles, un style de management moins directif, et une plus grande bienveillance. Interview.

Pourquoi avoir réalisé cette étude sur les startups et des scale-ups ? Est-ce à dire que ces dernières ont plus de facilités à « disrupter » les pratiques RH que les grandes entreprises ?

Depuis la multiplication des startups françaises dans les années 2012-2013, celles-ci n’ont longtemps été perçues que par les services, notamment tech, qu’elles proposaient aux équipes RH. Depuis 5 ou 6 ans, ces entreprises deviennent des scale-ups ou des licornes, fusionnent, s’agrandissent. Elles sont désormais regardées aussi pour la façon dont elles gèrent leurs propres ressources humaines. Quelques ouvrages ont été écrits sur le sujet, autour de Netflix ou Google, mais pas en France. Après avoir étudié les RH d’une façon prospective, ainsi que la HR Tech chez les startups, j’ai croisé Pierre Monclos, DRH de Unow, et nous avons eu l’envie de nous pencher sur la façon dont ces entreprises pratiquent la GRH, d’une façon parfois très différente des organisations « traditionnelles ». 

Nous avons ainsi analysé les pratiques de sociétés comme Blablacar, Doctolib, Alan, Swile, ou encore, côté RH, de scale-ups comme Clever Connect et 365 Talents. On observe chez celles-ci une propension à pratiquer les RH sous une approche contextualisée. Alors que les grandes entreprises ont des politiques RH universalistes, qui s’inscrivent davantage dans le temps long, les startups et scale-ups (de tous secteurs d’activité) s’adaptent à des situations bien particulières, qui les poussent à innover, et à prendre des risques. Elles doivent se montrer agiles et flexibles, pour accompagner leur croissance, leurs difficultés inhérentes à leur développement, et pour recruter des talents.

Par nature, les entreprises « traditionnelles » ont structuré leurs pratiques RH dans un contexte et à une période donnée. Leur propension à innover est plus difficile, car elles font face à une résistance au changement plus importante que dans les startups, qui ont déployé des politiques RH 2.0 en partant de rien, face à des problématiques différentes. Il semble presque plus courageux d’innover en matière de pratiques RH lorsque l’on évolue dans une grande entreprise. Les startups ont en outre un rapport à la prise de risque différent : elles s’autorisent davantage à en prendre, car elles n’ont pas d’image réputationnelle à défendre.

Face à des enjeux particuliers, comme des levées de fonds, la nécessité de recruter des milliers de collaborateurs en quelques mois, ou encore un fort degré de compétition lié à la technologie, les startups et les scale-ups ont inventé des pratiques qui leur convenaient. Ces pratiques correspondaient donc à un contexte donné. Ces entreprises ne pouvaient pas s’inspirer de celles déjà existantes, qui avaient été « designées » pour des organisations plus grandes, aux enjeux différents ; en particulier en matière de recrutement. Les jeunes entreprises doivent bien souvent répondre à des attentes chez les jeunes générations concernant la flexibilité de l’organisation du travail.

Quelles pratiques RH « disruptées » trouvez vous particulièrement inspirantes pour les grandes entreprises ?

Ces startups et scale-ups peuvent être inspirantes pour les entreprises « traditionnelles », dans un contexte où le rapport au travail change, où les difficultés de recrutement sont grandes, et où se posent de forts enjeux d’engagement et de fidélisation.

Pour les startups et les scale-ups, les enjeux sont importants en matière d’attraction et de fidélisation des talents, mais aussi de performance et de croissance. Globalement, elles réinventent leurs politiques RH, aux antipodes des RH « traditionnelles », caractérisées par une opacité des informations, une rigidité des process, un style directif et un micro-contrôle permanent. Leurs politiques RH « clivantes » font en sorte de proposer une transparence radicale, des process ultra flexibles, et un management différent, basé sur la bienveillance et la confiance.

Lors de HR Technologies France, nous avons présenté trois pratiques éclairantes :

  • les congés illimités, avec l’idée d’une hyperflexibilité ; une pratique qui a partiellement réussi, puisque certaines startups sont revenues dessus, et l’ont remplacé par la semaine de 4 jours ;
  • la transparence totale des décisions RH (sur les formations, la carrière, les rémunérations) ;
  • la culture du « radical candor », c’est-à-dire une culture managériale de la sincérité (bienveillance et exigence) au travail.

Dans notre livre, nous insistons aussi sur les pratiques innovantes et agiles qui concernent la variabilisation des rémunérations, les pratiques RSE et inclusion, la culture du feedback, la collégialité des prises de décision, ou encore la QVT. Nombre de ces pratiques font notamment appel à des outils de la HR Tech, axés sur les datas et l’IA.

Quels sont les points communs de ces disruptions ?

Points communs de ces tendances : un souci de proposer plus de flexibilité aux salariés, des habitudes culturelles qui ont dû être revues et corrigées, et une confiance bien plus grande portée aux collaborateurs. Elles convergent vers un thème, qui répond aux nouvelles aspirations des salariés : la justice – organisationnelle, distributive, procédurale et relationnelle. Les pratiques destinées à y répondre varient selon le contexte, les problématiques et les besoins de chaque entreprise.

Mais j’insiste sur le fait qu’une startup n’est nullement innovante par nature en RH, et qu’une entreprise traditionnelle n’est pas non plus conservatrice en la matière par nature. Certaines jeunes sociétés innovent sur une politique RH particulière, mais pas sur les autres.

Les pratiques « disruptives » correspondent à la culture de la startup / scale-up en question. Certaines sont connues pour leur hyperflexibilité, d’autres pour la transparence. Mais peu ont « disrupté » à tous les niveaux. A contrario, on observe des pratiques innovantes dans les grands groupes, comme celles autour des salariés aidants à la Mutuelle Générale.

Quels enseignements retenir pour les DRH des grandes entreprises, ou des organisations « traditionnelles » ?

Que ces innovations soient tech ou non, l’enseignement est le même : Les pratiques innovantes des startups et des scale-ups peuvent intéresser les DRH des grands groupes, à condition qu’elles ne soient pas adoptées sans une véritable réflexion stratégique et contextuelle. Ces derniers ont tout intérêt à se placer dans une posture de veille active, à la recherche de pratiques adaptées à leurs besoins du moment. Car tout est une question de contexte : ce qui peut être efficace à un instant T peut ne plus l’être quelque temps plus tard, et inversement.

Aujourd’hui, tout DRH doit avoir une posture ambidextre, avec la capacité à être à la fois dans la réflexion et l’action opérationnelle. Certaines pratiques développées par les startups / scale-ups peuvent ne pas convenir aux réalités de son entreprise, et d’autres répondre à certaines problématiques particulières. L’idée n’est pas de les mettre en œuvre sans réflexion, mais de les adapter, si besoin. Un responsable RH doit ouvrir grand ses oreilles, rester en veille, mais sans succomber pour autant aux modes RH / managériales. Son objectif doit être de réaliser un diagnostic de ses besoins (et des irritants) en interne, afin de pouvoir s’inspirer de ce que font les autres ensuite. Il doit avant tout rester pragmatique, sans tomber dans « l’effet waouh ».

Crédit photo : Shutterstock / REDPIXEL.PL



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