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DRH, la « génération Covid » vous regarde !

le 14 octobre 2020

« Sacrifiés », les entrants sur le marché du travail en cet automne 2020 ? Du Parisien à L’Obs, c’est le terme récurrent dans les médias pour qualifier les jeunes dits de la « Génération Covid ». Qu’ils viennent ou non d’être diplômés, ils sont environ 750 000 à vouloir s’insérer dans le monde professionnel dans un contexte aussi anxiogène qu’inédit. Les dispositifs d’aide prévus par le gouvernement ne feront pas tout : les DRH ont le devoir de ne pas oublier ces jeunes.

 

Le redoutable impact de la Covid-19 sur l’emploi des jeunes

Selon le baromètre 20 minutes Opinion Way publié le 10 juin dernier, 81 % des 18-30 ans ne se reconnaissent pas dans l’appellation « Génération Covid ». 36 % préfèrent employer le qualificatif « galère », et 35 % « sacrifiée ».

Génération sacrifiée ? L’expression pourrait sembler excessive. Après tout, entrer sur le marché du travail n’a jamais été évident. En tout cas en France et depuis la fin des trente glorieuses.

Le chômage des jeunes a toujours été plus élevé en France que celui du reste de la population. Ainsi, fin 2019, l’Insee estimait que 19 % des moins de 25 ans recherchaient un emploi, soit plus de deux fois le taux de chômage de la population active alors à 8,1 %.

Par ailleurs, ce n’est pas la première fois qu’une crise mondiale frappe au 21e siècle. Celle de 2008, financière, est encore dans toutes les mémoires.

Pourtant, dans la tourmente sanitaire et économique que nous traversons, l’entrée des jeunes dans la vie active s’annonce plus difficile que jamais. Selon l’Insee, le taux d’emploi des moins de 25 ans est déjà tombé à 26,6 % au deuxième trimestre 2020, contre 29,9 % en 2018. Et toutes les conditions semblent rassemblées pour voir les emplois précaires se multiplier dans les temps à venir, avec deux conséquences lourdes :

  • un déclassement des diplômés : des jeunes de niveau bac + 5 vont accepter des offres destinées à des bac + 3, et ainsi de suite. De plus, les niveaux de rémunération des plus jeunes cadres pourraient être les premiers affectés par la crise selon le dernier baromètre de l’Apec.
  • une éviction du marché de l’emploi encore plus grande des non diplômés, des jeunes de niveau Bac ou Bac +2 se rabattant, faute de mieux, sur les postes auxquels ils auraient pu prétendre.

Quels profils vont être les plus touchés ? La forte diminution de la part de jeunes sans diplôme dans notre société (9 % des 18-24 ans quittent aujourd’hui l’école sans aucun diplôme ou avec le brevet seulement, contre 41 % en 1978) ne doit pas nous leurrer : ce sont bien ces jeunes non-diplômés qui risquent de payer le plus lourd tribut à la Covid-19.

Rappelons que selon l’Insee, sans tenir compte de l’âge, une personne sans diplôme sur deux était sans emploi en 2018, contre une sur sept pour les diplômés de l’enseignement supérieur.

En ce qui concerne les jeunes NEET (nom donné aux personnes n’étant ni en emploi, ni en étude, ni en formation), ils étaient 963 000 en 2018 selon la Dares. Même s’ils n’étaient alors qu’une bonne moitié à rechercher un emploi (53%, contre 47% d’inactifs), cela représente tout de même près de 500 000 jeunes NEET qui cherchent à s’insérer sur le marché du travail, dont la moitié depuis un an et plus.

 

Les aides de l’Etat ne peuvent pas tout

Le 23 juillet 2020, Jean Castex, Premier ministre, accompagné de la ministre du Travail Elisabeth Borne et du ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer, a présenté lors d’un déplacement à Besançon le plan « 1 jeune, 1 solution ».

Doté d’une enveloppe de 6,5 milliards d’euros, ce plan prévoit des mesures pour accompagner les jeunes au sortir de la crise de la COVID-19, dont une aide au recrutement de 4 000 euros à l’entreprise pour toute personne de 16 à 26 ans embauchée entre août 2020 et janvier 2021.

On notera également une aide exceptionnelle de 5000 euros pour le recrutement d’un alternant de moins de 18 ans en contrat d’apprentissage ou de professionnalisation (8000 euros pour un alternant de plus de 18 ans). D’autres mesures d’accompagnement de jeunes « vers les métiers d’avenir » et dans des parcours d’insertion sont aussi prévues.

Pour louables qu’elles soient, ces mesures ne suffiront évidemment pas à endiguer la situation de centaines de milliers de 18-24 ans, diplômés ou non. Quelles options s’offrent à eux ?

La plus évidente est de se tourner vers un secteur plus stratégique, moins affecté par la crise. Cependant, une majorité des secteurs qui recrutent actuellement proposent des postes peu ou très peu qualifiés (aide à domicile, entretien de locaux…) ne correspondant pas au profil des diplômés du supérieur.

Dans les médias, les spécialistes interrogés incitent ceux qui viennent d’obtenir un diplôme à poursuivre leurs études s’ils le peuvent, à compléter leur formation pour retarder d’un an leur entrée sur le marché du travail. Pour nombre d’entre eux, c’est d’autant plus difficile financièrement que, depuis avril, les jobs d’appoint prisés par les étudiants se sont volatilisés. Idem pour les jobs d’été.

Autre conseil répandu : accepter toute opportunité de stage, même si elle ne correspond pas au profil de l’étudiant ni à ses aspirations. Un conseil facile à donner, mais une situation dure à vivre pour l’intéressé(e), qui a l’impression de démarrer son parcours professionnel sur la mauvaise marche. En France plus qu’ailleurs, une première expérience peut vous cataloguer dans une filière métier qui n’est pas la vôtre dans l’esprit des employeurs.

Reste l’alternance, une bonne solution pour faire ses premiers pas en entreprise. Certes, mais les DRH croulent en cette rentrée sous les demandes de contrats en alternance, dont seule une infime partie recevra une réponse positive.

 

Des entreprises qui recrutent malgré la tourmente

Certains employeurs recrutent toujours pendant la tempête et continuent de miser sur la jeunesse. C’est le cas de grandes entreprises de services publics comme SNCF, EDF ou La Poste. Dans une étude réalisée par Glassdoor en mai 2020, on retrouve aussi  des acteurs de l’industrie de la défense tels que Naval Group et Thalès, mais aussi des leaders privés comme Bouygues Telecom, Ubisoft ou le Crédit Agricole. De son côté, la French Tech reste dynamique avec des acteurs qui poursuivent les recrutements. Même dans des secteurs très impactés par la crise, certaines entreprises s’adaptent, comme l’équipementier aéronautique Safran qui a conclu un accord d’adaptation avec les syndicats.

En ce qui concerne la fonction RH, on ne peut que saluer l’initiative prise par l’ANDRH, qui a lancé dès le 1er juillet Alternance RH, un groupe de soutien et de partage sur Linkedin destiné à aider les étudiants en RH à trouver leur alternance et se connecter aux DRH.

Mais c’est à chaque DRH qu’il revient d’agir dans son organisation. Depuis le début des années 2000, la notion de responsabilité sociale de l’entreprise (RSE) a pris une place importante dans le discours des organisations. Si cette responsabilité sociale n’est pas une posture de communication, si elle correspond à une démarche et un engagement sincères, le moment paraît bien choisi pour le montrer.

 

DRH, si vous ne pouvez leur tendre la main, tendez au moins l’oreille

DRH, même avec un chiffre d’affaires en baisse et des plans de recrutement gelés, vous pouvez et devez maintenir un lien avec la jeunesse de France.

Cela commence par répondre à toutes les candidatures, toutes les demandes de contrat en alternance, toutes les demandes de stage. Rien n’est pire, pour une personne en recherche d’emploi, que d’être traitée par le silence. Ne pas répondre à un candidat, c’est lui donner l’impression qu’il n’existe pas.

Vous pouvez également faire la promotion, en interne, du dispositif d’alternance actuellement mis en place.

Selon une étude de l’ANDRH parue le 22 septembre sur le futur de l’emploi et du travail, 73% des répondants ont déclaré n’être pas concernés par une restructuration avec diminution des effectifs… Et 46% envisagent même des difficultés de recrutement ! Le contexte à moyen terme n’est donc pas forcément si mauvais qu’on le dit. Pourquoi ne pas communiquer dans l’espace RH de votre site ou les réseaux sociaux sur vos projets et perspectives à l’issue de la crise ? Expliquez que les candidatures d’intérêt alimentent votre vivier de talents, qu’elles seront examinées et jugées à leur juste valeur quand vous entrerez de nouveau en phase de recrutement.

Venons-en à l’élément le plus décisif. Quand les perspectives seront meilleures, quand de nombreux postes seront à pourvoir dans votre organisation, vous aurez, DRH, le devoir de garder à l’esprit ces vérités dans votre logique de recrutement :

  • un Bac ou tout autre diplôme obtenu en 2020 a autant de valeur que s’il avait été obtenu en 2019. Peut-être même plus dans certains cas, car suivre les cours et préparer les épreuves à distance, seul, demande de la volonté et de l’engagement.
  • un jeune n’ayant eu aucune activité depuis un an n’est pas moins motivé : au contraire, il l’est plutôt davantage. Dans le contexte actuel, il est choquant de continuer à penser que « quand on veut vraiment trouver, on se débrouille toujours ».
  • un jeune doté d’un master qui travaille depuis un an en tant que préparateur de commande ou agent d’entretien n’est pas moins compétent qu’un étudiant issu d’une promotion post Covid : il fait seulement preuve d’adaptabilité et de responsabilité.

Enfin, toujours selon l’étude de l’ANDRH citée, 65% des DRH pensent que la crise sanitaire a permis de replacer leur fonction au coeur de la stratégie de l’entreprise. En première ligne pour assurer la gestion de la pandémie, les DRH bénéficient en ce moment d’une attention accrue des dirigeants vis-à-vis de leurs recommandations. Plus que jamais, votre parole compte. Il serait dommage de ne pas saisir cette opportunité de vous faire entendre sur les devoirs de l’entreprise face aux difficultés que connaissent en cette rentrée les jeunes de notre pays.

 

En cette rentrée 2020, certains jeunes parviennent heureusement à décrocher leur premier emploi. Une entrée dans la vie active difficile pour ceux d’entre eux qui se retrouvent d’emblée en télétravail, face à eux-mêmes, très loin de cette vie d’entreprise dans laquelle ils se projetaient encore l’an dernier. Beaucoup ont été recrutés en visioconférence, certains n’ont même jamais eu de contact physique avec leur employeur. DRH, ces jeunes aussi ont besoin de vous : leur faire ressentir qu’ils n’ont pas seulement trouvé un emploi, mais sont membre d’une équipe, font partie d’une entreprise dotée d’une culture et d’une histoire, est l’un de ces défis qui donnent tout son sens à votre mission. 



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