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Transformation digitale et transformation des compétences : l’éclairage d’un spécialiste

le 14 décembre 2017
Transformation digitale et transformation des compétences : l’éclairage d’un spécialiste

Parmi les nombreuses questions que pose la transformation digitale à l’entreprise, celle de la transformation des compétences est prépondérante. Elle est aussi, logiquement, devenue un enjeu majeur pour les grands acteurs du recrutement, qu’il s’agisse de fournir la bonne compétence en CDI, en CDD ou en intérim. Président de Manpowergroup France, Alain Roumilhac nous livre son regard sur la mue du travail et les grands défis que lance la digitalisation aux organisations.

 

La transformation digitale impacte l’entreprise, son modèle économique, ses marchés. Comment impacte-t-elle le travail au sein des organisations ?

Il y a d’abord une question de vitesse d’adaptation. La vitesse à laquelle les entreprises doivent s’adapter, en particulier celles qui sont établies et sont attaquées par d’autres qui proposent de nouveaux modèles, est en train de s’accélérer.

Le deuxième sujet, c’est que les compétences dont on a besoin aujourd’hui sont différentes de celles d’hier. D’abord, parce que la digitalisation des tâches administratives se poursuit un peu partout dans les entreprises, et qu’avec l’arrivée des intelligences artificielles toutes les tâches répétitives seront automatisées. Ensuite parce qu’on a besoin de nouveaux types de compétences pour donner plus de sens à ce que l’on fait. Si je prends notre exemple, nous passons de moins en moins de temps sur nos activités de sourcing pour aller chercher les candidats parce que nous les trouvons sur les réseaux sociaux, et nous passons de plus en plus de temps à créer de la compétence.

Il y a donc une mutation de la valeur créée par les entreprises, et une mutation des compétences.

 

En tant qu’acteur majeur de l’intérim et du recrutement, ManpowerGroup est bien placé pour observer les nouvelles problématiques de l’entreprise dans ces domaines. Quelles sont-elles, et comment accompagnez-vous les DRH ?  

Beaucoup de clients me disent qu’ils sont en train d’augmenter la part de flexibilité dans l’ensemble de leurs ressources, anticipant des changements majeurs dans leur business dans cinq ou dix ans. Des secteurs comme la bancassurance, par exemple, vont se digitaliser fortement, avec des impacts importants sur leurs effectifs. C’est vrai aussi dans l’industrie automobile, avec la voiture électrique et/ou la voiture autonome qui va rebattre les cartes. L’incertitude que cela génère amène à augmenter le taux de compétence en termes de travail temporaire et de CDD.

De notre côté, nous sommes impactés pour trouver les compétences dont nos clients ont besoin, que ce soit en travail temporaire ou pour des CDD et CDI de longue durée. L’activité de formation préalable à une embauche augmente de façon continue, y compris pour les recrutements en CDI où il nous faut assurer de nombreuses formations préalables de 3 ou 4 mois. Nous proposons donc une solution globale à nos clients car, sur certains bassins d’emploi, le gap s’élargit entre les compétences disponibles et celles que demandent les entreprises. Investir sur la formation paraît donc indispensable.

 

Comment la donne a-t-elle changé sur ce plan de la formation ?

S’il était assez facile, il y a 30 ans, d’adapter un profil issu de l’agriculture à un poste ouvrier dans l’industrie, la disparition en cours des tâches répétitives rebat les cartes. Les gens doivent aujourd’hui naviguer dans un environnement plus incertain. La maîtrise des outils digitaux et celle de la langue sont devenues des compétences critiques, ce qui exclut structurellement certaines franges de la population du marché de l’emploi.

 

Quels sont aujourd’hui les profils les plus pénuriques ? Quelles compétences sont-elles appelées à se développer fortement ?

Je retiendrai trois familles de compétences : numériques, manuelles et commerciales.

En matière de numérique, la France a un vrai savoir-faire, mais les start-ups du secteur ont des difficultés à trouver les bons profils. Ce sujet est récurrent depuis vingt ans. L’entreprise s’adapte comme elle peut, mais notre pays en lui-même – y compris en ce qui concerne la formation initiale – n’y parvient pas. La pénurie de compétences scientifiques provient aussi de ce que certaines filières sont insuffisamment féminisées.

En ce qui concerne les métiers manuels, il est temps de redonner envie d’exercer certains métiers de bouche, de l’industrie ou du BTP. Il faut par exemple deux ou trois ans pour former un bon soudeur ou un bon chaudronnier. Le travail détaché, souvent critiqué, s’explique largement par ce manque d’appétence des Français pour certains secteurs : si on voulait ne recruter que des Français dans le BTP, de nombreux chantiers s’arrêteraient faute de main d’œuvre !

Viennent enfin les métiers de commerce : on continue à manquer de commerciaux en France, ce qui n’est pas du tout le cas dans les pays anglo-saxons.

 

Quels sont les enjeux de la digitalisation pour les candidats et collaborateurs ? Comment le groupe accompagne-t-il la transformation de leurs compétences ?

Avec les changements que nous traversons, il existe un risque que l’entreprise, quand une compétence devient obsolète, se sépare du collaborateur pour en recruter un correspondant à ses nouveaux besoins. Nous préférons proposer à nos clients de former leurs collaborateurs dont les compétences sont en passe d’obsolescence. Cette démarche est une alternative à la guerre d’attractivité des talents, qui nécessite d’importants moyens financiers et déstabilise les pyramides de salaire. Que les organisations apprennent à adapter leurs propres compétences est d’autant plus important que l’entreprise a un pacte social : il lui faut donner des perspectives aux collaborateurs, assurer leur employabilité et leur engagement.

Les entreprises doivent apprendre à anticiper. Lorsque je rencontre des DRH, je leur demande de quelles compétences ils ont besoin, et à contrario desquelles ils vont pouvoir se libérer dans un délai qui soit au moins égal au temps de formation, par exemple six mois. Cela demande une certaine discipline au sein de l’organisation, il faut savoir dire : interdiction de recourir à des recrutements extérieurs pour tel type de poste, ils seront pourvus avec des collaborateurs internes spécialement formés. Ainsi, avec un client grand groupe, nous nous sommes donné l’objectif de passer en deux ans de 4000 à 2000 recrutements externes. J’insiste sur ce sujet de l’anticipation, qui reste compliqué parce que beaucoup de DRH disent ne pas avoir une bonne visibilité.

 

Les nouveaux outils prédictifs qui se développent ne peuvent-il les aider à avoir cette visibilité ?

Sans doute, mais l’anticipation est aussi une question de volonté managériale. Si les entreprises veulent créer ces passerelles, elles doivent réduire les embauches externes sur certains métiers. Nous essayons de les aider dans leur transformation, sachant que de nombreux dirigeants et DRH ont l’impression d’avoir une capacité à aller plus vite dans leur transformation digitale que dans la transformation des compétences qui y est associée. Il est capital que ces deux transformations soient en ligne, c’est l’enjeu numéro 1 pour le DRH. Ce dernier est passé en cinq ans du challenge que représentait la gestion de la paix sociale à celui de ne pas ralentir la transformation de l’entreprise.

 

Mais la transformation digitale de l’entreprise est parfois traitée isolément, alors que c’est un sujet transverse…

En effet, c’est pourquoi les différentes directions doivent apprendre à travailler ensemble. Tout projet de digitalisation doit être traité en amont avec une bonne compréhension de ce qu’en seront les impacts en termes de ressources humaines. Les transformations les plus réussies se produisent lorsque Direction générale et DRH fonctionnent main dans la main, en abordant la transformation de façon globale. Certaines entreprises, focalisée sur l’enveloppe budgétaire qu’elles mettent sur la table pour accomplir leur transformation digitale, oublient ce point. Le problème de nombreuses organisations est que stratégie digitale, stratégie business et stratégie RH ne sont pas alignées. Cela complique la tâche du DRH, qui passe pour « l’empêcheur » de la transformation.

 

Avez-vous le sentiment qu’il y ait une réticence au changement chez les DRH ?

Peut-être chez certains, mais les patrons de business doivent comprendre qu’un environnement social, cela se gère. Il faut éviter de faire les choses en séquences, d’où le caractère critique de l’anticipation. Le DRH doit être proactif et apprendre à ne pas subir, afin que les solutions soient recherchées collectivement entre les directions. Je relève que, d’après toutes les études que nous avons pu faire, la fonction RH est systématiquement citée comme l’une de celles qui auront une grande importance demain.

 

En prenant un peu de recul, quel rôle entend tenir ManpowerGroup dans les années à venir vis-à-vis de l’entreprise et des personnes appelées à y travailler ?

Notre métier, demain, sera centré sur la création des compétences, là où nous n’étions hier que des intermédiaires. Il s’agit de trouver, voire créer la compétence dont les entreprises ont besoin, et d’adapter cette compétence aux besoins de demain. Nous sommes en train de transformer notre réseau de travail temporaire de façon majeure afin qu’il relève ce défi de la création de compétences.

Notre rôle consiste à être à la fois business-partner de nos clients et agents de nos talents. Depuis deux ans, nous avons créé 7000 CDI intérimaires : au-delà de les occuper à temps complet, nous développons chez eux les compétences que nos clients nous demandent. Nous sommes en train de faire la même chose sur une population de 50 000 intérimaires, que nous aidons ainsi à développer leur employabilité et augmenter leur salaire.

En résumé, nous entendons être fournisseur, mais aussi créateur et adaptateur de compétences. Toute notre stratégie et tous les services que nous développons s’articulent autour de cela.

 

Comment voyez-vous évoluer le travail et l’entreprise ? Existe-t-il, selon vous, un risque de raréfaction du travail lié au digital ?

Pour les dix ans à venir, selon moi, la réponse est non. Si je prends notre exemple, nous digitalisons de façon massive. Cette année, sur notre activité de travail temporaire, nous avons une amélioration de la productivité de 7%. Obtenir ce gain de productivité sans digitalisation pourrait en effet représenter l’emploi de 300 personnes de plus. Et pourtant, nos effectifs croissent ! Nous créons autant de jobs, si ce n’est plus, parce que la valeur est en train de bouger. Nous créons de la compétence, ce qui est plus complexe et plus valorisant.

Le sujet majeur par rapport à la transformation des activités est de savoir ce que nous allons faire des personnes qui occupent les emplois appelés à disparaître. L’exécutif actuel parait avoir compris cela. Je pense que l’idée de revenu universel ne résoudrait en rien la question majeure du repositionnement de ces collaborateurs. Ce sont la nature et la qualité du nouveau service attendu par les clients des entreprises qui vont orienter la mutation et le repositionnement des personnes dont le métier – et donc l’emploi – est menacé. Il faut commencer à modéliser cela, pour que l’investissement en formation soit le plus productif possible.

 

Crédit photo : Manpower

 

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