« Toutes les fonctions RH peuvent être améliorées par l’IA »


Head of Product Strategy & Cegid Data Lab Director
L’IA transforme la fonction RH plus rapidement que les précédentes vagues de digitalisation, pour Florian Cordel, de l’éditeur de solutions RH Cegid. La fonction RH en sortira transformée et augmentée.
Sommaire
La digitalisation de la fonction RH se passe-t-elle différemment de la digitalisation des autres fonctions de l’entreprise ?
Pendant longtemps, à chaque vague d’innovation digitale, la fonction RH était un peu plus lente que les autres à disposer de nouveaux outils. Mais c’est de moins en moins le cas. Sur le big data, les professionnels RH se sont positionnés rapidement. Et lors de l’avènement des IA génératives, nous avons pu voir arriver simultanément des use cases dans le financier, le marketing et la RH. De fait, plus nous avançons, plus les entreprises et les collaborateurs sont matures sur la question. Et il y a davantage de données RH disponibles également. Or, les données sont la matière première indispensable au bon fonctionnement de l’IA.
La digitalisation des RH se déroule-t-elle comme attendu ?
Il y a une différence entre l’IA et les précédentes vagues d’innovation : elle ne s’inscrit pas dans une logique de progression technique, c’est-à-dire qu’il n’y a pas besoin d’avoir franchi plusieurs étapes de maîtrise technologique pour en tirer bénéfice. Lors des épisodes précédents de digitalisation, on avait tendance à commencer par les fonctions socles comme la gestion administrative, la paie ou le recrutement, pour se tourner ensuite vers des sujets émergents comme l’employee advocacy ou la gestion des talents. Avec l’IA, cette distinction n’intervient pas : toutes les fonctions peuvent faire l’objet d’améliorations rapides via l’IA.
Comment les entreprises et leurs DRH abordent-elles le virage de l’IA ?
Il y a une vraie maturité sur le sujet. Les clients viennent nous voir avec des questions, ils sont demandeurs d’expérimentations. Ils manifestent une appétence très forte pour l’IA, mais sans admiration béate. Les professionnels RH ont une compréhension de plus en plus fine de la technologie. Les questions sont souvent très pointues, et je suis parfois surpris par le niveau de technicité des clients. On m’a interrogé par exemple sur le testing en non-régression des LLM !
Ce qui signifie ?
Il s’agit de vérifier la faculté des IA génératives conversationnelles à fournir des réponses aux mêmes questions qui ne se dégradent pas avec le temps. C’est un sujet très concret pour quelqu’un qui veut utiliser un tel outil.
En quoi l’IA et la data RH transforment-elles les métiers des RH ?
L’IA vient clairement élever la capacité des RH à se concentrer sur leur rôle stratégique, en optimisant les tâches à faible valeur ajoutée. Mais c’est une promesse qui leur est faite depuis si longtemps que les clients sont parfois sceptiques. Beaucoup de bruit a été fait autour du big data en son temps, et le soufflé est un peu retombé par la suite, sans qu’il y ait eu une réelle opérationnalisation. Les DRH sont échaudés. Mais la nouvelle vague technologique vient tenir les promesses faites à l’époque. C’est le cas en particulier pour la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, et le management des talents en général. Auparavant, les entreprises élaboraient des plans de GPEC très complexes sur plusieurs mois, Au moment d’entrer en vigueur, ils étaient déjà obsolètes. La puissance de l’IA permet d’accélérer le lien entre conception stratégique et passage à l’opérationnel. L’IA va également pouvoir accompagner le service recrutement et le rapprocher de son client interne – le manager en recherche d’un profil. Elle permet à la fois de trouver les bons candidats rapidement et d’expliquer pourquoi ce sont des bons candidats. Autre exemple encore, dans le traitement des entretiens de performance, l’IA va pouvoir repérer des biais, de mauvaises formulations, des objectifs fixés qui s’avèrent non conformes à la stratégie RSE de l’entreprise…
L’IA, de façon très concrète et pragmatique, vient en aide aux professionnels RH, aux managers, aux collaborateurs, sur la plupart des tâches RH. Elle suscite des craintes en matière d’éthique et de discrimination, mais bien utilisée, elle peut au contraire réduire les biais et améliorer les pratiques de l’entreprise.
L’IA et la data RH sont-elles une affaire de grande entreprise et d’ETI ?
Absolument pas. À un certain niveau d’abstraction, les processus métier des RH sont les mêmes quelle que soit la taille de l’entreprise. On recrute des collaborateurs, on les accueille, on les forme, on les suit dans leur progression de carrière. Les enjeux et les moyens ne seront bien sûr pas les mêmes dans une multinationale et dans une PME ; la quantité de données internes, notamment, varie grandement. Mais les agents IA peuvent apporter des réponses RH à tous les types d’entreprises.
Quels sont les risques de la digitalisation RH à l’heure de l’IA ?
Les clients expriment souvent la crainte d’une perte de contrôle au profit de l’IA. C’est compréhensible : une IA générative se présente à l’utilisateur comme une boîte noire dont il ne maîtrise pas le fonctionnement. C’est là qu’il faut introduire la distinction entre l’intelligibilité et l’explicabilité. L’intelligibilité, c’est la faculté à comprendre pourquoi, techniquement, une IA générative donne telle réponse à telle question. Elle suppose de maîtriser toutes les variables en jeu, ce qui dépasse rapidement les capacités de l’utilisateur, surtout si l’agent IA est en closed source. Mais le plus important est l’explicabilité, c’est-à-dire la capacité de l’agent conversationnel à expliquer lui-même les raisons qui justifient ses réponses.
Pourquoi propose-t-il cette formation plutôt qu’une autre à ce collaborateur ? Pourquoi met-il en avant ce candidat pour ce poste ? Ensuite, c’est toujours à l’humain de prendre la décision. Un ingénieur d’IBM disait dans les années 1970 : « un ordinateur ne peut jamais être tenu pour responsable ; en conséquence il ne doit jamais prendre une décision de management. » C’est essentiel : l’utilisateur doit garder la main. Les agents IA sont des outils qui accompagnent, facilitent, élèvent la fonction RH. Ils ne décident rien. On peut envisager d’ailleurs de poser aux IA génératives des questions de plus en plus complexes et naturelles, auxquelles on n’aurait pas pensé auparavant. Par exemple, que pourrais-je faire pour améliorer l’expérience collaborateur dans ce service ? Quelle politique de diversité pourrais-je déployer ? La pertinence des réponses dépendra pour une large part de la disponibilité des données, et donc du décloisonnement entre les outils. C’est l’un des grands enjeux actuels chez Cegid, et la raison pour laquelle nous promouvons notre suite RH unifiée. Plus il y a de données, plus les agents IA sont pertinents.
À quoi ressemblera la fonction RH dans 10 ans ?
La fonction RH aura un impact stratégique plus fort sur l’organisation des équipes. Elle sera largement délestée d’une charge administrative qui ne lui plaît guère. Elle aura les moyens de voir plus loin, d’anticiper davantage, plutôt que de réagir à chaud. Elle pourra se concentrer sur la relation de proximité et sur les leviers RH de la performance. Dans le core RH, le premier enjeu sera d’arriver à une centralisation et à un raffinage de la donnée. Ensuite, il s’agit de faire en sorte que l’utilisateur puisse interroger les données de manière naturelle et intelligente, plutôt que de se retrouver confronté comme aujourd’hui à des tableaux de KPI arides et difficiles à interpréter. En gestion de la performance et des carrières, l’IA permettra de rendre la GEPP véritablement opérationnelle, de faire des propositions plus pertinentes aux collaborateurs, de les orienter vers les bonnes formations. En développement des compétences, l’IA pourra produire des parcours véritablement personnalisés, en contenu comme en modalités. En Talent Acquisition, les nouveaux outils vont augmenter la performance du chargé de recrutement. L’IA impactera également l’attractivité et l’image employeur, en personnalisant les réponses et le parcours candidat. Je ne serais pas surpris que l’adoption de l’IA par une organisation fasse partie des critères décisifs des chercheurs d’emploi dans quelques années, tout comme l’étaient autrefois l’équipement informatique et l’accès à Internet d’une entreprise. Globalement, l’IA propose donc de très beaux horizons à la fonction RH, à condition d’être bien accompagné et informé. Et les professionnels RH se montrent à la fois très matures et très demandeurs sur la question.
> Retrouvez aussi notre dossier complet, alimenté au fil des publications. Il regroupera à terme tous les articles du Cahier de tendances.