Les relations sociales chez Naval Group : cap sur la confiance mutuelle !
Lors des 5e Rencontres du Dialogue social des secteurs public et privé organisées par la ville de Suresnes, la qualité des relations sociales au sein de Naval Group est prise pour exemple en raison du fort taux de syndicalisation de ses salariés et de la signature d’un accord QVT innovant par trois des quatre syndicats représentatifs. Alors que le WEF classe la France 109e en la matière, comment s’articulent les relations sociales du leader européen du secteur naval de défense ? Réponses avec les partenaires sociaux [1].
Sommaire
Une tradition de relations sociales héritée du secteur public
Tous les grands groupes ne peuvent s’enorgueillir de 400 ans d’Histoire ! C’est le cas de Naval Group, un acteur de référence des énergies marines renouvelables et du nucléaire civil également. Poursuivant l’activité des anciens arsenaux, il emploie plus de 13 000 collaborateurs principalement en France.
Lorsque Naval Group devient une société de droit privé en 2003 [2], son taux de syndicalisation est nettement plus élevé que celui qui prévaut dans le secteur privé. Aujourd’hui, ce taux est évalué aux environs de 30 %, bien loin des faibles 11 % enregistrés au niveau national (secteurs public et privé confondus).
Si Pascal Feuardent, délégué syndical central CFDT, se félicite « de ce syndicalisme d’adhérents travaillant tous les jours sur le terrain, qui offre aux syndicats des éléments de compréhension tant du point de vue économique que social », le Directeur des relations sociales de Naval Group, Jean-Paul Bordot, apprécie pour sa part « cette forte présence syndicale, qui permet à la direction d’avoir des interlocuteurs s’appuyant sur une base solide ». Dans un contexte de concurrence internationale accrue, les adaptations sont permanentes. Qu’elles concernent le mode de fonctionnement du groupe ou son organisation, « des compromis satisfaisants ont globalement été trouvés en dépit d’échanges parfois tendus », souligne Jean-Paul Bordot.
Un groupe en perpétuelle transformation depuis 2003
Outre l’évolution des statuts sociaux de Naval Group dès cette date (les personnels relevant désormais très majoritairement du droit privé), deux sujets doivent être négociés d’urgence en 2015 en raison des difficultés rencontrées par le groupe : un plan d’adaptation de l’emploi – pour alléger la structure si possible sans licenciement sec, en repositionnant des collaborateurs ou en leur proposant des solutions de mobilité – et un accord global de performance. Les organisations syndicales s’engagent dans les négociations afin d’obtenir le meilleur accompagnement possible pour les salariés refusant la mobilité, notamment.
Si l’UNSA, par la voix de son délégué syndical central Jean-Christophe Archimbaud, et la CFDT par celle de Pascal Feuardent, estiment qu’il est du rôle des syndicats « de contribuer à la recherche de leviers susceptibles de booster la compétitivité », elles émettent des réserves sur la fréquence des changements opérés en termes d’organisation du travail. Et regrettent que l’on ne s’intéresse pas en tout premier lieu aux « petites dérives qui altèrent au fur et à mesure le bon fonctionnement des dispositifs existants ».
À ce stade, rappelons le champ d’action de la négociation collective, au cœur du dialogue et des relations sociales. Trois facteurs le déterminent :
- le cadre légal [3] ;
- la situation économique ;
- la marge de manœuvre des partenaires sociaux.
Des interactions existent entre chaque facteur.
Un subtil équilibre d’accords « pro-direction » et « pro-salariés » ?
Des négociations portant sur l’organisation du temps de travail (OTT) sont également lancées à l’initiative de la direction. « L’objectif est de faire travailler les collaborateurs de façon simultanée en réduisant les temps de variabilité, explique Jean-Paul Bordot. » L’accord d’entreprise est dénoncé pour être renégocié, le sujet de l’évolution professionnelle figurant aussi au programme des discussions [4].
La négociation sur l’OTT se révèle au départ extrêmement difficile. La CFDT demande à y adjoindre un accord QVT, ce que la direction accepte. Toutes les organisations syndicales s’emparent de ce sujet de façon constructive, y compris la CGT qui ne signera pas l’accord. « Il s’agit de redonner du sens au travail en remettant les collaborateurs au centre, indique Pascal Feuardent. »
Une véritable écoute s’instaure, ainsi qu’un partage d’informations. La direction accepte d’expérimenter certaines propositions qui visent à développer la responsabilité de chaque collaborateur, instaurant in fine un mode de management plus participatif. Cela passe notamment par la mise en place de groupes d’expression favorisant les échanges des acteurs de terrain sur les conditions de travail et la QVT. « Les expérimentations peuvent devenir pérennes lorsque trois critères sont remplis : l’amélioration du fonctionnement collectif, la performance industrielle et le bien-être au travail, relate Jean-Paul Bordot. »
En avril 2017, l’accord QVT est signé par la CFDT, l’UNSA et la CFE-CGC.
Malgré une traduction opérationnelle jugée délicate par les syndicats (la charge de travail laissant peu de latitude aux effectifs pour participer aux groupes d’expression), la direction soutient ces initiatives en réunissant les collaborateurs en charge de l’animation des groupes, afin de partager les bonnes pratiques.
Des axes d’amélioration pour les relations sociales au sein de Naval Group
La comparaison des relations sociales telles qu’elles s’articulent en Allemagne et en France permet d’évaluer les différences d’approche. Quand la lutte sociale fonde le dialogue social français dans l’entreprise, au sein des branches et au niveau national, elle est tout simplement INTERDITE dans les entreprises allemandes !
Outre-Rhin, le système juridique de relations sociales instaure l’obligation de collaboration en confiance et de paix sociale. Seuls les intérêts de la collectivité des salariés doivent être pris en compte. Le droit de grève, qui ne peut s’exercer de façon individuelle dans l’entreprise, constitue un monopole syndical utilisé uniquement en cas d’échec de la négociation collective de branche. C’est à ce niveau-là qu’une forme de « lutte sociale », balisée, se joue entre syndicats et organisations patronales.
On est loin du système français où le modèle de « démocratie parlementaire représentative » a été décliné dans l’entreprise, avec un syndicalisme pluraliste mais souvent divisé, parfois encore teinté d’idéologie.
La difficulté des partenaires sociaux français à établir de véritables relations de confiance vient-elle de là ?
Un déficit de confiance mutuelle est souvent déploré, y compris au sein d’organisations à la tradition de relations sociales bien ancrée. Les termes utilisés par les uns et les autres ne trompent pas : on parle d’un côté des « monsieur plus » (les syndicats), de l’autre des « monsieur moins » (la direction). La chance de Naval Group est que l’ensemble des partenaires sociaux souhaitent changer la donne.
Le délégué central syndical UNSA, Jean-Christophe Archimbaud, évoque ainsi la nécessité « de prendre en compte les contraintes des uns et des autres, leurs visions respectives, pour mettre le curseur au bon niveau et ouvrir un registre gagnant-gagnant ».
Pour Pascal Feuardent, les délégués syndicaux doivent être considérés comme des partenaires stratégiques de la direction « dès le départ et pas seulement a posteriori ». La CFDT comme l’UNSA avaient alerté les instances dirigeantes de la « mauvaise gestion » de l’entreprise bien avant 2015, date à laquelle un plan d’adaptation de l’emploi a dû être déployé.
Quant au Directeur des relations sociales, Jean-Paul Bordot, il insiste sur l’importance d’avoir des relations sociales riches et proactives « pour garantir le bon fonctionnement de l’entreprise dans des conditions aussi harmonieuses que possible ».
Au sein de Naval Group, la négociation collective donne lieu à des succès significatifs. Reste désormais aux partenaires sociaux à s’accorder mutuellement le bénéfice de la confiance – jusqu’à preuve du contraire. Les récentes négociations sur la mise en place des CSE n’y sont pas totalement parvenues [5]. Pourtant, cette confiance réciproque ferait du codéveloppement « entreprise-collaborateurs » une véritable matrice pour les relations sociales.