Dossier Tendances RH 2024

Michel Lejoyeux : “En 2024, le principal défi des RH en matière de santé au travail concernera la charge mentale, cette forme moderne de stress professionnel”

le 15 janvier 2024
Michel Lejoyeux : “En 2024, le principal défi des RH en matière de santé au travail concernera la charge mentale, cette forme moderne de stress professionnel”
Michel Lejoyeux
Michel Lejoyeux

Michel Lejoyeux est professeur de psychiatrie et d’addictologie à l’Université Paris Cité. Responsable des départements de psychiatrie et d’addictologie des hôpitaux Bichat et Beaujon et du GHU Paris Psychiatrie Neurosciences, il est également auteur et chargé de formations des RH et de coordination en matière de prévention en santé mentale.

Professeur de psychiatrie et d’addictologie, chef des services de ces deux disciplines au sein des hôpitaux Bichat et Beaujon, Michel Lejoyeux a également publié plus de 25 ouvrages, dont certains destinés au grand public. Parmi eux : “En bonne santé avec Montaigne” ou encore “Les 4 saisons de la bonne humeur”, tous deux aux Éditions Le Livre de Poche. La préservation de la santé au travail est, pour lui, l’un des enjeux majeurs de la fonction RH d’aujourd’hui et de demain. Comment y parvenir ? Jusqu’où les ressources humaines peuvent-elles aller dans ce domaine aussi crucial que délicat, parfois ? Le professeur Lejoyeux nous livre sa vision des tendances RH de l’année 2024, avec méthode, clairvoyance et sincérité. 

LA tendance RH qui fera 2024 ?

Il est évidemment difficile de prédire l’imprévisible. Nous voyons bien à quel point, aujourd’hui, la règle est justement la non-prévisibilité. Cette question de l’instabilité à répétition, qu’elle soit politique, internationale ou consécutive au Covid, devient une tendance majeure en entreprise, comme ailleurs. Les RH sont ainsi confrontées à des salariés de plus en plus déboussolés par des changements profonds qu’ils n’avaient pas anticipés.

Les deux grandes tendances RH pour 2024 me paraissent être :

  • la nécessité pour les professionnels des ressources humaines, dans quel que domaine d’activité que ce soit, d’être formés au repérage des troubles mentaux qui peuvent survenir chez les salariés ; 
  • la mise en place de stratégies d’alerte et de communication avec les autres acteurs clés de l’entreprise, notamment la médecine du travail. Nous risquons de passer d’un modèle orienté prévention et bien-être vers un modèle plutôt orienté reconnaissance, compréhension, dépistage et accompagnement de celles et ceux qui sont en plus grande difficulté. 

En situation de crise, les professionnels de la fonction RH vont donc être appelés à revenir aux fondamentaux, autrement dit dans le champ de la médecine qui est le mien, aux pathologies bien caractérisées. Ils devront également maîtriser les principes des stratégies relationnelles telles que les formalisent les modèles de psychologie. Je pense spécifiquement au modèle cognitivo-comportemental ou au modèle motivationnel.

Deux autres tendances fortes vont également marquer 2024, selon moi :

  • l’importance que les RH doivent accorder à leur propre santé et à leur propre bien-être. Leur métier est, en effet, tourné vers les conditions de travail du collectif. Elles ne peuvent y répondre de manière adaptée que si, elles-mêmes, bénéficient d’une supervision et d’un accompagnement leur permettant d’affronter les situations les plus complexes ou les plus déstabilisantes. Tous les autres intervenants en disposent. Cette supervision spécifique des RH pourrait être une tendance de fond pour 2024.
  • la gestion de l’alternance entre le distanciel et le présentiel, avec la variation des rythmes propres à ces deux modes d’organisation, et les désynchronisations et resynchronisations que ceux-ci impliquent, est une autre question essentielle.

Celle qui va droit dans le mur ?

La tendance RH qui va dans le mur me paraît être la recherche permanente d’une sérénité complète, d’un épanouissement sans limites et d’une maîtrise de toutes les situations. Dans un contexte d’imprévisibilité, il est plus pertinent de repérer en priorité les salariés en plus grande difficulté, que de conduire l’ensemble du collectif de travail vers un état de bonheur illusoire.

Les modèles « originaux » d’accession à des états d’épanouissement, de bien-être ou de bonheur risquent d’être impactés par les faits, à savoir les difficultés que connaissent les DRH, tant pour eux-mêmes que pour les personnels qu’ils encadrent.

Parler, à l’instar de Montaigne, de santé et de maladie au lieu de bonheur et de bien-être : la clé pour préserver la santé au travail ?

La santé se définit classiquement comme le bonheur dans le silence des organes. Autrement dit, un état d’absence de maladie. Le médecin que je suis, souhaite que la culture de la santé publique, de la prévention et du dépistage se développe.

Il existe des paradoxes contemporains : rechercher un état de bien-être en mangeant le plus sainement possible, en ayant une relation à l’informatique la plus contrôlée. Tout cela en continuant à fumer ou à boire à l’excès. C’est bien sûr une aberration. 

La clé pour une préservation efficace de la santé au travail est donc de connaître, vraiment, les risques objectifs menaçant les salariés. Un équilibre est à trouver entre des actions de prévention individuelles et collectives et des actions de dépistage primaires auxquelles, j’insiste, les RH ne pourront « échapper ».

Prendre soin de la santé des salariés : jusqu’où les RH peuvent-elles aller ?

Elles peuvent instaurer une atmosphère générale de santé en entreprise. Cela veut notamment dire repérer les rituels toxiques pour la santé. Ce peut être, par exemple, des alcoolisations « obligatoires » en fin de semaine, ou des habitudes d’interactions toxiques ou agressives. 

Les RH, évidemment, ne soignent pas, mais leur métier est d’organiser une politique d’anti-déni bienveillante, permettant à celles et ceux qui ont besoin de soins, d’y accéder. 

Une autre stratégie attendue de la part des RH est la mise en place de rituels protecteurs, individuels ou collectifs. Cette question de la santé ne peut se gérer qu’en équipe et en multidisciplinaire, en associant la direction générale, les médecins du travail, les infirmiers en santé au travail et les travailleurs sociaux. Un des enjeux est de trouver un bon équilibre entre la nécessaire « intrusion bienveillante » pour celles et ceux qui vont le moins bien, et le respect de la confidentialité, propre à toute intervention dans un champ médical.

Vos conseils pour aider les RH à repérer les signes avant-coureurs d’une pathologie mentale chez un collaborateur ?

Il existe, dans ce domaine, un besoin de formation spécifique. Je la réalise personnellement pour quelques collectifs de travail. Elle peut être généralisée à d’autres. Il faut une formation prudente, apportant à la fois :

  • des compétences théoriques sur les signes des maladies et les situations à risque ;
  • des données sur les questions de prévention ;
  • un apprentissage de la communication sur ces sujets souvent difficiles et chargés de honte, de culpabilité ou de déni ;
  • un apprentissage des stratégies relationnelles et des communications spécifiques ;
  • une gestion, souvent assez personnelle, de ses propres réticences vis-à-vis de la pathologie mentale, au regard de son histoire de vie et de situations personnelles traversées.

Tout cela fait l’objet de programmes complets, adaptés au contexte de chaque entreprise et réalisés par des professionnels capables de communiquer sans jargonner, ni se limiter à des formules uniquement techniques.

Le principal défi en matière de santé au travail, auquel sera confrontée la fonction RH en 2024 ?

Le principal défi concernera la charge mentale. Il faudra passer de cette question un peu floue de charge mentale, qui est une forme moderne de stress professionnel, à une approche rigoureuse permettant :

  • de fonder des actions de prévention ;
  • de connaître les situations les plus déterminantes de charge mentale ;
  • de « populariser » en entreprise des stratégies de communication pour le repérage et la prévention.

Un grand déterminant de la charge mentale, souvent méconnu, est la présence de conduites addictives, telles que la consommation d’alcool ou de tabac.

La vigilance vis-à-vis de ces produits et la mise en place de prévention est une action à reconduire régulièrement.

« Les 4 saisons de la bonne humeur » : comment les préserver en entreprise ?

Je dirais, d’abord, en adoptant une politique cohérente de prévention, d’autorisation et d’expression de ce qui n’est pas la bonne humeur, mais également de coordination entre les fonctions RH et médicales. J’ajouterais, enfin en ayant des RH elles-mêmes de bonne humeur.

> Tendances RH 2024 : retrouvez notre dossier complet.

Sportifs, politiques, médecins, entrepreneurs, humoristes etc. : 24 personnalités prennent la parole afin de nous livrer leur vision des RH et du monde professionnel de l’année à venir. Leurs interviews sont à retrouver du 15 décembre au 18 mars, sur le média Parlons RH. 

Crédit photo : Editions Robert Laffont (c) Astrid di Crollalanza



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