L’ingénierie pédagogique, une technique de pointe
La fonction RH et formation, stratège des compétences, est aussi l’ingénieure en chef des parcours pédagogiques. À l’heure du digital triomphant, elle garde toujours un œil sur l’innovation et l’autre sur l’objectif.
« Se former », littéralement, c’est se donner forme à soi-même. Nous saisissons au vol des éléments nouveaux, nous les mélangeons à nos connaissances acquises, et nous modelons le tout en une forme nouvelle, celle d’un moi qui sait prendre la parole en public, d’un cerveau qui comprend l’allemand, de mains qui savent jouer du piano. La formation fait de nous des Barbapapa : nous nous transformons à volonté.
La recherche des meilleurs moyens d’opérer cette magie de l’apprentissage ne date pas d’hier. Mais l’ère digitale a fait naître beaucoup d’espoirs. En pratique, l’offre issue du digital learning apporte des variations bienvenues sur des airs pédagogiques anciens ; mais elle rend aussi possible une ubiquité de la formation dont on n’osait rêver il y a 50 ans.
Aujourd’hui comme hier, imprimer des connaissances et des gestes dans notre mémoire à long terme requiert toujours du temps, de l’émotion et de la répétition. Ces ingrédients de base n’ont pas changé. L’herbe folle de l’oubli repousse toujours aussi vite sur les sentiers neuronaux insuffisamment battus. Ce qui est nouveau, c’est l’abondance des outils dont dispose la fonction RH et formation pour peaufiner l’ingénierie pédagogique – et financière – requise pour répondre aux besoins en compétences de l’entreprise. Et nous n’en sommes qu’au commencement.
L’âge classique du digital learning
Le digital learning a connu sa préhistoire, dans les années 1980-90, son époque héroïque, dans les années 2000, son effervescence baroque dans les années 2010. Il y a des raisons de penser qu’il aborde aujourd’hui son âge classique. Comme souvent dans l’histoire, un nouveau monde en gestation est accouché par une crise.
La théorie est connue : synchrone ou asynchrone, avec ou sans formateur, le digital learning ne remplace pas le présentiel mais le complète. Il suppose d’adapter les pédagogies aux nouveaux formats, et souvent de fusionner en blended learning. La théorie, désormais, est devenue réalité. Le marché mondial du digital learning a doublé en quatre ans, et la majorité des apprenants a goûté au fruit défendu de la formation digitale. Les solutions à venir seront de plus en plus opérationnelles et issues du terrain. Les professionnels RH vont affronter un redoutable embarras du choix.
La réalité virtuelle, oxymore engageant
La réalité virtuelle et les métavers pourraient bien tenir les promesses de Gascon du digital learning. Dans la classe virtuelle, personne n’a vraiment l’impression d’être dans une salle de classe. On ne sait pas vraiment qui est là. Une mosaïque de visages et de cases noires nous contemple comme un mur de téléviseurs. Le formateur dispute le reste de l’écran à ses supports pédagogiques, chacun engagé dans une lutte épique pour l’espace vital et l’attention des apprenants.
Bien sûr, le talent des formateurs supplée le plus souvent aux limitations du format. Mais la réalité virtuelle résout en grande partie un problème majeur des formations digitales : l’engagement. Passer de l’autre côté de l’écran change la perspective. Même sans casque RV : le simple fait d’apparaître à l’écran sous forme d’avatar permet d’embrasser la scène tout entière et de s’y situer. Les métavers, enfants de la réalité virtuelle et des réseaux, téléportent apprenants, intervenants et supports d’apprentissage dans un lieu unique de rencontre et d’interaction. Nous n’y sommes pas encore. Des écoles se sont lancées, mais il faudra encore un peu de temps pour qu’une offre « entreprises » émerge. Mais nous y allons, pour sûr, et très vite.
Mobile learning, le compagnon formation
Les voitures volantes, nous les attendons toujours. Mais les télévisions de poche, nous les avons. Loin d’être perçues comme un privilège, elles sont utilisées dans une optique d’insertion. C’est l’équipement digital le plus répandu.
Le petit écran-clavier du smartphone n’ouvre pas une fenêtre sur le savoir aussi confortable que le PC. Mais il le fait de partout. À l’heure du travail hybride, c’est un atout. Mais c’en est un surtout pour les travailleurs de terrain, ceux qui ne sont ni au bureau ni chez eux. Le mobile learning leur apporte des contenus dédiés, courts et contextualisés, quand ils en ont besoin, au moment de passer à l’action et donc de mettre en pratique et de répéter l’élément appris. Personne n’acquerra un métier de A à Z sur le microécran. Mais le mobile learning assurera de plus en plus la longue traîne de l’apprentissage par la translation de la formation en situation. C’est un élément de l’ingénierie pédagogique qui se rendra vite indispensable.
Le mentorat, ou les vertus du pas de côté
Avec le mentorat, le monde de l’entreprise, comme souvent, redécouvre l’eau tiède, mais en y ajoutant quelques aromates de process qui font toute la différence. La force de la relation mentorale réside dans l’alliance de trois éléments :
- l’absence d’enjeu hiérarchique ;
- la présence d’une asymétrie d’expérience ;
- des échanges réguliers.
Le mentoré fait un pas de côté sur le chemin de son apprentissage, auprès d’une figure référente mais non paternelle.
La formule est pertinente aussi bien dans l’onboarding, l’évolution professionnelle que dans l’accompagnement de crise. Les entrepreneurs pratiquent le mentorat entre eux, les associations le promeuvent dans les quartiers. Le mentor peut être passeur culturel, ouvreur d’horizon, confident miroir… Dans le contexte formation, il est surtout celui qui révèle tout ce que le formateur ne dira jamais. Le mentorat est loin d’avoir épuisé ses ressources humaines.
L’externalisation de la formation, une exception française ?
Quand les Américains parlent d’externaliser la formation, ils pensent achat de prestations pédagogiques (versus former en interne) ou déploiement de LMS (versus… pas de LMS). En France, nous avons le plan de développement des compétences, les formations obligatoires, l’entretien professionnel, la convention de formation… Le labyrinthe est moins tortueux qu’à l’époque de la vénérable « 2483 », mais il reste des tâches ingrates à gérer ! Le responsable formation peut-il être à la fois au four des formalités et au moulin de la stratégie des compétences ?
L’externalisation de la gestion de la formation s’est développée depuis une quinzaine d’années, sur des périmètres d’action variables. Elle permet d’introduire de l’expertise dans un domaine très technique et chronophage. Il y a un peu à gagner dans une bonne gestion des contraintes, et beaucoup à perdre dans une mauvaise. Gageons que l’externalisation va continuer à croître, sous différentes formes, pour libérer les mains de l’ingénieur pédagogique en chef.
Retrouvez cet article et bien plus encore dans notre Cahier de tendances RH ! À travers des portraits de DRH, des interviews d’experts, ou encore des chiffres clés, on décrypte les 10 tendances RH qui rythmeront l’année 2023.
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