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Les grands groupes sont-ils vraiment au top de la marque employeur ?

le 18 novembre 2019
Les grands groupes sont-ils vraiment au top de la marque employeur ?

Il est courant de lire dans la presse économique ou spécialisée que la marque employeur a été longtemps l’apanage des grands groupes, en particuliers ceux du CAC 40. Même si aujourd’hui, à l’heure de la pénurie de talents et de la digitalisation généralisée des pratiques RH,  tous les types d’organisation s’interrogent sur leur stratégie d’attraction et de fidélisation et travaillent leur marque employeur, cette vision n’en reste pas moins présente en France. Entre cliché et réalité, il est encore de bon ton de rappeler que ces grands groupes ont plus de moyens que les PME-PMI ou même les ETI. Qu’ils ont plus de ressources pour expérimenter des parcours candidats innovants, pour prendre le risque  de tester des expériences collaborateurs originales ou d’oser plus de créativité dans leur communication… Bref, cette doxa (très parisienne ?) laisserait penser, bien évidemment, que les grands groupes doivent être une source d’inspiration pour qui veut déployer une stratégie de marque employeur structurée et performante.  Mais ces grands groupes sont-ils vraiment exemplaires en matière de marque employeur ?

 

Il n’y a pas que la taille qui compte…

Depuis quelques années de nombreux recruteurs remarquent que les grands groupes n’attirent plus dans les mêmes proportions qu’auparavant. Les raisons sont connues.  La décennie qui s’achève a été marquée par l’émergence de nouveaux modèles d’organisation et de management, sous l’influence des GAFA ou des start-up notamment, par de nouvelles exigences de la part des candidats et des collaborateurs en matière d’équilibre de vie pro/vie perso, par l’évolution du rapport au travail dans l’ensemble de la société, incarnée par les fameux millenials, mais aussi par d’autres tendances sociétales de fond concernant l’alignement des valeurs et des pratiques professionnelles. Dans ce contexte, la notion de « proximité » est devenue un levier de choix et d’engagement puissant. Avec son corollaire, l’utilisation massive dans les messages de recrutement de l’argument de la « taille » de l’entreprise qui serait « humaine ou non ». Mais à partir de quel seuil peut-on considérer qu’une organisation est « à taille humaine » ? La réponse a toujours été très subjective et n’a jamais été aussi subtile. Au final, il n’est pas certain que cette caractéristique soit vraiment un attribut différenciant. L’enjeu d’attractivité ne porte-t-il pas plutôt désormais sur la qualité de la relation : en quoi sommes-nous « une entreprise à relation humaine » ? Une interrogation un peu philosophique, mais dont les réponses, en même temps, peuvent être très concrètes.

 

Devenir « une entreprise à relation humaine », une question de leadership

Autrement dit, si l’on part du postulat que l’expérience collaborateur est au centre d’une démarche de marque employeur, l’enjeu numéro un pour les grands groupes semble se concentrer sur le style de leadership qui appelle souvent à une (r)évolution des pratiques de management et un changement de culture d’entreprise. Sur ce sujet, le chemin est encore long pour devenir exemplaire même si de plus en plus de grands groupes affichent leur désir d’agilité, de transversalité et d’innovation. De l’intention à l’action, l’inertie des grands groupes français dans la mise en œuvre est réelle même si les choses bougent (un peu) : la culture du risque reste particulière. Seule une transformation en profondeur de la vision managériale, au plus haut niveau de l’organisation, peut permettre d’y parvenir.

 

Tout le monde n’a pas la même problématique de marque employeur…  même les grands groupes !

Si l’on revient aux pratiques, quand on se penche sur la notion de « grand groupe », on s’aperçoit très rapidement qu’elle n’est pas toujours appropriée pour guider l’observation et la comparaison. L’hétérogénéité des organisations est telle que le critère classique de la taille n’est pas le meilleur pour analyser les différentes approches des acteurs en matière de marque employeur. Le critère de la diversité permet d’opérer un distinguo plus pertinent : diversité des activités et/ou des produits, diversité des entités, diversité des marques… En effet, à première vue, il n’y pas grand-chose de commun entre la problématique de marque employeur d’un BNP Paribas, caractérisée par l’unicité de marques (corporate, commerciale, employeur) et celle d’un groupe comme BPCE, riche d’une diversité de marques aussi différentes en termes d’histoire et de positionnement que Caisse d’Epargne, Banques Populaires, Natixis ou Banque Palatine.

La diversité des activités, des métiers et des marques est donc un paramètre fondamental, d’autant plus qu’il complexifie grandement toute démarche « marque employeur ».  En effet, les défis sont multiples : comment formuler une proposition de valeur employeur (EVP) unique et commune à l’ensemble des activités ou métiers sans tomber dans des messages tièdes d’une banalité affligeante ? Comment concilier expérience candidat fluide et multiplicité des acteurs ou des points d’entrée dans un groupe ? Comment proposer une expérience de marque employeur homogène, respectueuse de la diversité des identités et des métiers ? Comment aligner la marque employeur groupe avec l’expérience collaborateur qui s’ancre naturellement au plus petit échelon de l’organisation, dans l’environnement professionnel de proximité, au niveau de sa filiale, voire de son service ? Comment articuler les différentes marques : corporate, commerciale, employeur ?

Autant de questions que se posent régulièrement les responsables RH et/ou communication qui pilotent les chantiers « marque employeur » au sein de ces organisations diversifiées et multimarques. A juste titre. Les contraintes sont nombreuses et ne sont pas neutres. En effet, en matière de marque employeur la visibilité, la lisibilité et la crédibilité dépendent directement des réponses apportées. Se pose alors en amont la question du choix du modèle.


Une expérience « marque employeur » souvent compliquée

Existe-t-il un modèle dominant de marque employeur pour ce type d’organisation ? Quels sont les modèles de déploiement d’une marque employeur pour un groupe composé de différentes entités avec des marques fortes ? Quels sont les paramètres à considérer ?

Pour y répondre, l’approche la plus pragmatique consiste à se mettre dans la peau d’un candidat et à observer de l’extérieur les pratiques des grands groupes français multimarques régulièrement cités dans les classements des meilleurs employeurs. Cette démarche « Ux Centric » permet très concrètement de voir le type de parcours candidat proposé tant au niveau « groupe » qu’entreprises leur appartenant à travers les sites web, les comptes sociaux (pages LinkedIn unique ou non), les outils de gestion de candidature (ATS), mais aussi de voir si le discours de marque employeur est homogène ou non, si une proposition de valeur employeur groupe est réellement mise en avant et exprimée à travers une signature RH unique ou encore des contenus valorisant une politique RH commune.

L’exercice est très instructif : il en ressort une forte hétérogénéité dans la mise en œuvre des stratégies de marque employeur. Néanmoins, au risque de simplifier l’analyse, trois modèles différents de déploiement semblent émergés : centralisé, décentralisé ou mixte.

Dans le premier cas, nous avons une marque employeur groupe unique et forte qui se positionne comme marque ombrelle couvrant l’ensemble des entreprises du groupe et ses différentes marques commerciales. C’est le cas par exemple de Kering qui exprime des principes et des engagements communs définis et formalisés au niveau du groupe même si les entités opérationnelles (les Maisons) semblent gérer leur RH de manière autonome (messages recrutement différents).

Dans le modèle décentralisé, il existe autant de marques employeurs (distinctes) que d’entreprises, donc de marques corporate ou commerciales. Si un candidat s’intéresse par exemple au Groupe Mulliez, un rapide tour d’horizon de ses différentes présences en ligne lui permettra de comprendre très rapidement que chaque entité gère son recrutement de manière autonome avec des messages différents, des signatures RH distinctes en fonction des entreprises, et qu’il y a très peu de point commun entre les discours de marques employeurs qui sont spécifiques à chaque activité.

Enfin, le modèle mixte fait coexister une marque employeur Groupe et des marques employeurs déclinées ou spécifiques pour les différentes entreprises. Ce modèle semble adopté par le plus grand nombre de groupes multimarques (comme LVMH, Bouygues ou ACCOR…) pour lesquels la marque employeur groupe est plurielle et fédère les activités proches en termes de métiers ou de segments de marché, en revanche les entités au positionnement produit très spécifique (Colas pour Bouygues ou Raflles propriétaire du Royal Monceau pour ACCOR) développent leur propre marque employeur avec une large autonomie d’image.

 

En conclusion, on ressent une véritable difficulté à déployer une stratégie de marque employeur claire et lisible dans ces grands groupes. On s’aperçoit que les argumentaires des différents émetteurs internes s’empilent plus qu’ils ne se complètent, que les outils et les points de contact se démultiplient sans beaucoup de cohérence, que la clarté du discours se perd dans des jeux sémantiques aussi subtils que politiques et… qu’au final, le candidat est assez loin des préoccupations très « corporate centric » de ses grands acteurs de l’emploi.  Que ce soit la complémentarité et la cohérence entre les différents types de marques (marque corporate, marque commerciale, marque employeur) ou la simplification de l’expérience de « marque employeur » proposée aux candidats, les enjeux n’ont jamais été aussi prégnants et complexes. Passionnant.

 

Retrouvez les autres contributions d’expert(e)s sur notre blog :

[DOSSIER] DRH : pleins phares sur la marque employeur

ou directement sur le site du Mag RH.

 



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