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« Le dialogue social est une des clés d’une transformation réussie »

le 05 février 2025
«Le dialogue social est une des clés d’une transformation réussie»
Guillaume Allais
Guillaume Allais

Directeur Général d’Alixio Group

Covid, salaires, IA… la négociation sociale a fait la preuve de sa vitalité et de son efficacité, estime Guillaume Allais. Pour le directeur général d’Alixio Group, grand acteur du conseil dans le domaine des RH, le dialogue social est un outil indispensable d’accompagnement du changement.

Quel rôle joue le dialogue social dans la transformation des entreprises en 2024 ?

Le dialogue social joue un rôle très important, et la crise sanitaire en a fait la preuve. Beaucoup de décisions ont dû être prises rapidement pour faire face aux contraintes des deux confinements, notamment en matière de télétravail. Cela s’est passé sans heurts dans la quasi-totalité des cas grâce aux efforts des entreprises et des partenaires sociaux.

La période post-Covid a ensuite été marquée par beaucoup de réorganisations, de transformations, de restructurations, parfois avec des réductions d’emplois. Globalement, les changements se sont passés correctement dans la majorité des cas, en grande partie grâce à la négociation entre partenaires sociaux et aux accords d’entreprises qui en ont découlé.

À nouveau, face à l’inflation, le dialogue social et les négociations sur les rémunérations et les avantages ont joué leur rôle et ont aplani les difficultés aussi efficacement que possible. Quant à la question des retraites, elle s’est certes traduite par d’importants mouvements sociaux, mais au sein des entreprises, la réforme a été plutôt bien appliquée. En 4 ans, les entreprises ont traversé au moins 4 chocs, mondiaux ou nationaux, qui affectaient les équilibres et les fonctionnements. À chaque fois, le dialogue social a joué pleinement son rôle.

Cependant, nous assistons à l’intensification d’un phénomène inquiétant au sein des entreprises : un certain épuisement des équipes face au changement, en dépit d’un dialogue social actif. Et, on le sait, même les changements technologiques les plus complexes dépendent de cette acceptation organisationnelle et humaine : c’est ce que nous appelons le capital de transformation des organisations et des individus. C’est un concept essentiel, et le dialogue social doit en tenir compte, afin de s’assurer que les réorganisations soient non seulement bien gérées mais aussi bien comprises et intégrées par les entreprises et par les collaborateurs.

Y a-t-il une typologie des différentes façons dont le dialogue social s’intègre dans les stratégies RH ?

Il y a d’abord le dialogue social, qui s’inscrit dans une perspective juridique, d’application de la norme. Il vise surtout à se mettre en conformité avec le droit social et la jurisprudence. Puis le dialogue économique et social, qui permet, lui, à l’employeur de parler de prospective économique, de transformation et de stratégie avec les représentants des salariés. C’est un échange qui vise à bâtir la confiance et à évoquer ensemble le futur de l’entreprise, à préparer les transformations, en particulier quand elles s’annoncent difficiles.

Il faut que les entreprises aillent plus loin et n’hésitent pas à bâtir des stratégies sociales. Une stratégie d’emploi, de compétence, d’intégration des changements technologiques ou financiers qui puisse s’articuler avec le dialogue social et s’en nourrir pour anticiper les transformations et les rendre acceptables et positives pour toutes les parties prenantes.

Le digital et l’IA ont-ils un impact sur la façon dont le dialogue social se déroule ?

Si l’on parle du digital en tant que moyen, le confinement a profondément modifié les modalités techniques du dialogue social, de la même façon qu’il a affecté l’organisation de l’entreprise, avec par exemple le recours massif à la visioconférence. Sur le digital comme objet de négociation, on peut mentionner les accords de mise en œuvre du télétravail. L’IA va s’imposer comme l’un des vrais sujets du dialogue économique, social et sociétal dans les entreprises dans les prochaines années. Nous en sommes au tout début. Les premières actions positives que nous constatons ont trait à l’acculturation aux sujets IA du management comme des élus. L’objectif est de permettre un dialogue le plus constructif et le plus concret possible. Nous encourageons toutes les entreprises à engager ce processus.

Dans les prochaines années, l’impact de l’IA sur l’emploi va conduire à mettre en avant des sujets aussi divers que la création de nouveaux métiers, l’éventuel remplacement de postes par la technologie ou encore la transformation des emplois par l’intelligence artificielle. On imagine aujourd’hui que c’est cette dernière catégorie qui sera la plus importante. Certaines études parlent de 60 % des emplois qui seraient transformés par l’IA…

Chacun imagine bien que cette dernière transformation pose plus largement la question de l’acceptabilité du travail : comment ne pas perdre le sens du travail, de mes compétences et mes savoir-faire, si une IA remplace mon expertise ?

Les entreprises doivent avancer très vite sur la transformation digitale, avec des technologies disruptives. Et souvent, elles se focalisent sur l’aspect technologique sans prendre suffisamment en compte l’aspect humain. Une transformation n’est pas réussie tant qu’elle n’est pas acceptée par les collaborateurs concernés. Cette transition est l’un des enjeux RH majeurs des années à venir. Et le dialogue social sera essentiel pour la réussir.

Comment se porte la négociation collective, à ses différents niveaux ?

Elle se porte plutôt bien. À l’échelle nationale, un accord a été signé sur le partage de la valeur, qui représente une évolution profonde du mode de pensée du côté patronal. C’est une réussite importante, sur un sujet important, celui des salaires et du pouvoir d’achat. Du côté des branches, trop peu de mouvements sont lancés. Il faut prendre exemple sur la métallurgie, qui a réalisé un travail de long terme sur la convention collective. Il s’agit de passer d’un modèle traditionnel de carrière unique dans le secteur aux carrières ouvertes et individualisées d’aujourd’hui. D’autres branches se posent également la question d’adapter la philosophie de leur convention collective. Il faut avancer !

Et dans les entreprises ?

Après la crise du Covid, de nombreuses entreprises ont négocié des accords. En 2024, l’inflation a conduit à un regain de négociation et de signature d’accords, notamment autour de l’intéressement et de la participation. Un nouveau sujet prend de l’ampleur : il s’agit des questions de qualité de vie et de conditions de travail (QVCT), qu’elles soient liées ou non à la pratique massive du télétravail.

Une nouvelle série d’accords se dessine également pour relier emploi, compétences, mobilité et formation, dans une optique d’anticipation du changement. Alors qu’elles manquent de visibilité à court terme concernant l’environnement, la technologie ou le contexte politique, les entreprises doivent prendre des décisions importantes pour le long terme et s’ajuster en permanence. Comment organise-t-on le développement des compétences futures des salariés au plan individuel et collectif, les futures skills ? Comment éviter les pénuries de compétences sur des métiers-clés, une tendance qui va s’amplifier ? Il ne s’agit pas seulement d’experts mais aussi d’ouvriers spécialisés et de techniciens… Pour faire face à des difficultés devenues structurelles, les entreprises vont devoir négocier. C’est l’un des enjeux RH dans les 5 ans à venir. D’ailleurs, ces questions seront intimement liées au sujet de l’impact de l’IA sur les métiers et les compétences.

Quel est pour vous l’avenir du dialogue social ?

Le dialogue social est indispensable pour affronter les changements à venir. Il doit continuer à évoluer. Une nouvelle génération de dirigeants et de DRH arrive ; parallèlement, un renouvellement de génération parmi les négociateurs syndicaux s’imposera. Il faudra accompagner les entreprises et les branches pour que les thèmes de ce dialogue social soient les bons et qu’elles prennent le bon angle. Il faut surtout montrer qu’il n’est pas seulement une obligation, mais aussi l’une des clés d’une transformation réussie des entreprises, au profit des collaborateurs. C’est en élargissant à cette notion de stratégie sociale, en allant plus en profondeur et sur des sujets aujourd’hui peut-être négligés que le dialogue social pourra se renforcer.

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Crédit photo : JBVNEWS



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