Gestion de carrières : comment relancer la relation entreprise-salarié ?
La crise sanitaire a joué un rôle d’accélérateur sans précédent dans la relation entre l’entreprise et le salarié. Hier, les concepts de loyauté et de continuité de carrière en interne prévalaient. Aujourd’hui, les idées de pause, de transition, de nouveau projet professionnel sont signes d’intelligence et de réflexion stratégique sur son engagement. La relation entre l’employeur et le salarié est alors interrogée, et entraine des questions sur la manière de gérer l’employabilité, les besoins réciproques et les carrières.
Sommaire
L’idée de fidélité est-elle perdue dans l’entreprise ? Comment la rendre de nouveau désirable en recréant une proximité avec les salariés ?
Sens au travail, bullshit jobs, future of work… Une distance est-elle en train de se créer entre l’organisation et les salariés ? C’est ce qui ressort de la dernière étude “Et si on réinventait la gestion des carrières” démontrant que la crise sanitaire a fait bouger les lignes et les mentalités. Alors qu’il y a 20 ans, faire une “pause” dans sa carrière était considérée comme suspect, les individus n’hésitent plus à questionner leur contribution et le sens de leur travail, à créer une rupture professionnelle et à entamer une transition parfois radicale pour trouver des réponses à leurs questions : “Quel sens donner à ma carrière ?” “Quel impact sociétal de mon entreprise ?” « Quelles sont les contributions de mon travail pour la planète ?”
L’évolution du contrat psychologique
Le Contrat Psychologique (CP) est défini comme l’ensemble des croyances et représentations individuelles relatives à la relation à l’emploi. Soucieux d’allier des valeurs et des convictions personnelles dans leur carrière, les individus sont aujourd’hui prêts à endosser des carrières moins verticales, à accepter des emplois parfois moins bien rémunérés mais qui font “sens”. Cette quête d’indépendance, cette volonté de chercher à se rendre “utile”, entraînent les individus dans une nouvelle relation à l’emploi et à l’employeur, à travers une approche certainement plus transactionnelle que relationnelle, c’est-à-dire plus ponctuelle, avec peu de projections et peu d’ancrage dans le temps.
La distance éloigne
La généralisation du télétravail provoquée par la crise du Covid 19 a amplifié la distance géographique avec l’entreprise. En travaillant à domicile, les principes de communication se recomposent, la proximité entre salarié et employeur s’effile et la compréhension des besoins réciproques se complexifie. Pourtant, pour évoluer, l’organisation a un véritable besoin de fidéliser les salariés qui ont déjà de l’expérience à ses côtés ainsi qu’une connaissance de ses métiers et de ses codes. De leur côté, les salariés ont également besoin de stabilité et de sécurité pour se projeter (investir dans une maison, fonder une famille, etc.). Pour envisager l’avenir ensemble, salariés et employeurs doivent appréhender cette distance et tendre vers une connaissance mutuelle des besoins.
Une vision court-termiste
Dans un monde instable et incertain où les enjeux économiques s’inscrivent face à des urgences continues, il est de plus en plus difficile de se projeter. Par réflexe, les individus et l’entreprise se concentrent sur leurs propres besoins. Les salariés gèrent alors eux-mêmes leur carrière (par exemple, en postulant dans une autre entreprise et en retenant exclusivement leurs aspirations ou contraintes) tandis que l’entreprise, pressée par un besoin de résultats immédiats, concentre son attention sur la rentabilité de l’activité. Les conséquences sont de plus en plus visibles : la distance et l’incompréhension entre les deux parties se renforcent.
Prendre le temps de créer des intérêts réciproques
Les deux parties sont “fautives” de cette situation qui entretient une méconnaissance mutuelle des besoins de chacun. Les entreprises n’expliquent pas suffisamment leur stratégie ni ce vers quoi elles tendent et les individus, au-delà de leurs conditions salariales (rémunération, horaires aménagés, etc.) n’expriment pas suffisamment ce à quoi ils aspirent, en termes de projection et d’évolution de carrière.
Pour y remédier, entreprises et salariés doivent prendre le temps de comprendre les intérêts de chacun et de s’assurer d’avoir une connaissance fine de leurs ressources réciproques :
- En tant qu’employeur, connaître les aspirations profondes des salariés pour construire leur plan de carrière à long-terme, en interne (montée en compétences, apprentissage de nouveaux besoins métiers, etc.).
- En tant que salarié, obtenir une vision précise du projet de l’entreprise (de ses clients, de son environnement, de sa stratégie, de ses règles du jeu, etc.) afin d’évoluer positivement, avec elle, sur le long terme.
Optimiser la gestion des carrières nécessite ainsi de créer et de définir des intérêts réciproques dans le but de se projeter ensemble.
Bâtir une stratégie d’entreprise, une nécessité
Aujourd’hui, l’absence de stratégies fait défaut à la relation entre l’entreprise et les individus.
Sans stratégie, il n’y a pas de vision à long terme et par conséquent, peu d’intérêts en commun. Les éléments qui relèvent du court-terme (tactiques, politiques, etc.) sont actuellement privilégiés pour répondre à des logiques défensives orientés coût ou compétences techniques.
Pour favoriser une vision à long terme et tendre vers des stratégies offensives, les entreprises doivent insister sur des axes clés comme la gestion des carrières. Dans quelle logique gérer les carrières ? Comment générer des comportements vertueux dans mes équipes ? Comment favoriser l’adaptation des compétences uniques dans une logique de don contre don ? etc.
Les RH gèrent les carrières, non les managers
Il revient fréquemment aux managers de devoir accompagner la gestion de carrière des membres de leur équipe. Pourtant, de par leur rôle et leurs responsabilités au quotidien, ils entretiennent le plus souvent une vision à court-terme de la stratégie de l’entreprise. Il revient donc aux RH, porteuses du cap et dépositaires d’une vision plus globale des besoins, d’accompagner les salariés pour les inciter à exprimer davantage leurs attentes (à moyen et long terme) pour concevoir ensemble un plan de carrière. Les managers, déjà surchargés, peuvent apporter un appui aux RH, pour mieux soutenir la gestion des carrières, sans en être les responsables directs de mission.
Les RH, garde-fous de fausses croyances
En l’absence de visibilité et dans un contexte où de nombreux métiers sont voués à disparaître d’ici quelques années et d’autres à émerger, les chances que les salariés interprètent mal les informations et se persuadent de fausses croyances sont élevées (comme celle de penser que l’entreprise ne veut plus d’eux). Les RH ont pour rôle de limiter ces croyances pour éviter des départs de l’entreprise.
Certes, le futur est incertain mais si les RH cadrent davantage le discours de l’entreprise avec des éléments qui clarifient son positionnement (où on veut aller, comment on veut y aller), les salariés se sentiront plus en sécurité pour se projeter.
Se projeter grâce aux compétences comportementales
Dans ce sens, la manière d’appréhender les compétences est également amenée à évoluer.
Raisonner à travers des compétences exclusivement techniques restreint les capacités de l’entreprise et de l’individu à se projeter ensemble.
Alors qu’elles ont une durée de vie courte, les compétences de savoir être, plus transverses, sont plus pérennes. Pour cette raison, les RH doivent veiller à intégrer ces compétences dans le processus de recherche de la performance. Elles permettent à l’entreprise d’imaginer un futur, en transmettant aux collaborateurs ce qu’elle attend d’eux pour répondre à l’ambition : sortir du cadre prescrit des tâches, autonomie, apprentissage, flexibilité, coopération, inventivité, etc.
En ayant acquis de l’expérience, une maîtrise de ses codes, une connaissance approfondie de ses clients et de son environnement, les salariés en place dans l’entreprise sont plus que précieux. Un nouveau regard RH doit être porté pour renouer ensemble avec une relation de proximité et parvenir à des projections communes. Appréhender la gestion des carrières à travers une vision long-termiste est hautement stratégique pour le développement et la pérennité de l’entreprise. Cette dernière serait largement perdante si elle faisait le choix de les remplacer par des recrutements externes, qui ne deviendraient performants qu’à partir de la deuxième ou troisième année.
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