tribunes

DRH : l’altérité comme alternative

le 30 juin 2022
DRH-altérité

Le développement de l’altérité doit être LA mission du DRH : constituer une diversité de talents, mais aussi cultiver sa propre rareté.

50 ans d’altéritude

Dans quatre mois, j’aurai 50 ans.

Quand on approche du demi-siècle, on s’interroge toujours un peu sur la vie en général, et sur la sienne en particulier. On fait le point sur son passé pour mieux construire son avenir et ne pas se laisser dépasser. On médite sur ce que la vie a bien voulu nous apporter comme petits et grands bonheurs – et comme malheurs aussi, parfois. 

Moi, j’ai eu de la chance : je ne suis pas né seul. Oui, j’ai un frère jumeau. Ça veut dire que je n’ai pas encore 50 ans, mais que lui, cela fait plus de 50 ans que je le côtoie. En plus, c’est un jumeau monozygote : nous sommes issus exactement de la même cellule qui s’est divisée en deux pour donner naissance aux deux mêmes zigotos. Génétiquement, nous sommes des clones, des êtres semblables.

D’ailleurs, j’ai été bercé toute mon enfance par cette affirmation des adultes que je croisais, à la fois émerveillés et un peu apeurés par le constat : « qu’est-ce que vous vous ressemblez, c’est fou ! ». Et cette question récurrente qui venait juste après : « mais qu’est-ce qui vous différencie vraiment ? ». Et pour finir, l’inévitable « Si ce n’est toi, c’est donc ton frère. » 

Accepter l’autre, accepter le même

C’est là que cela devient intéressant. Dites à un jumeau qu’il ressemble à son frère, et réciproquement, et l’un et l’autre feront tout pour se différencier. Dites-leur qu’ils sont différents, et ils auront à cœur de vous montrer à quel point ils sont semblables. C’est ce que le psychologue René Zazzo appelle le « paradoxe des jumeaux ».

J’ai donc eu cette chance d’apprendre très tôt, c’est-à-dire avant même ma naissance, ce qu’était l’altérité. L’altérité demande de remplacer la peur instinctive de l’autre – une peur qu’on peut légitimement ressentir quand on partage le même placenta avec un inconnu, vous en conviendrez – par une forme de curiosité, une attention, une écoute, ou plus simplement, par le simple fait de donner une place à l’autre, tout en sachant rester à la sienne.

L’altérité, c’est la reconnaissance de l’autre dans ce qui nous distingue et dans ce qui nous rassemble – dans le cas de mon frère,  notre ADN commun.

Dans l’entreprise, dans votre entreprise, acceptez-vous vraiment les différences ? Mais avez-vous aussi vraiment identifié « cet essentiel qui nous rassemble » ? 

L’altérité, mission sacrée du DRH

Le développement de l’altérité doit être LA mission du DRH. Celle de constituer une diversité de talents, riche de leur pluralité de points de vues, d’expertises, de potentiels, et en même temps de les fédérer autour d’une vision collective partagée, d’un projet commun, d’un destin poursuivi ensemble, qui nous rassemble, qui nous ressemble, qui nous unit. 

En 2022, nous devrions faire nôtre ce mantra : « des différences naît la richesse et des ressemblances naît le projet ». Et je crois, comme Albert Jacquard, que « le monde où l’on se reproduit est un monde où l’on s’ennuie. » Et je n’ai pas envie de m’ennuyer.

Vous pouvez choisir d’embaucher une armée de vrais clones, sans saveur, sans aspérité ni singularité. Nul ne vous reprochera de jouer cette carte d’une sécurité souvent scellée par un diplôme bien identifié. Par homéostasie sécurisante, on recrute des copies certifiées conformes. Comment le chef pourrait-il m’en vouloir d’embaucher des personnes qui ont le même diplôme que lui ?

Pour ma part, vous l’avez compris, je vous invite plutôt à cultiver le sens de l’altérité, des diversités, comme levier d’efficacité pour votre entreprise.

Les différences et les ressemblances sont les deux faces d’une même pièce : l’efficience. À condition de les jouer de concert.

De quoi l’altérité n’est-il pas le nom ?

Entendons-nous bien :

L’altérité, ce n’est pas l’altruisme. L’altérité, c’est prendre conscience à la fois des différences et des similitudes. Elle doit être vécue de façon réciproque, contrairement à l’altruisme qui n’attend rien de l’autre. Le contrat de travail n’est-il pas synallagmatique ?

L’altérité, ce n’est pas non plus la tolérance, qui est l’acceptation de l’autre sans chercher forcément à développer la relation. La tolérance a d’ailleurs une connotation de condescendance. “La tolérance est une simple indulgence pour ce qu’on ne peut pas empêcher” (Carl Dubuc).

L’altérité n’est pas enfin l’empathie, qui consiste à se mettre à la place de l’autre. L’altérité, c’est prendre conscience à la fois des différences et des similitudes dans une dynamique d’échange, chacun à sa place.

L’altérité c’est agir. C’est unifier, « c’est nouer même les diversités particulières, non les effacer pour un ordre vain » comme l’écrivait si bien Antoine de Saint-Exupéry.

Être soi sous le regard de l’autre

Alors, comment faire pour développer cette altérité indispensable à nos entreprises du XXIe siècle ? 

Chers amis DRH, en ayant l’audace d’être soi, en affirmant votre propre différence RH.

Camus nous le disait à merveille : « Être différent n’est ni une bonne ni une mauvaise chose, cela signifie simplement que vous êtes suffisamment courageux pour être vous-même ».

L’audace d’être soi passe par deux actions concomitantes :

  1. Se détacher du regard des autres ;
  2. Affirmer sa vocation profonde.

Pour ce qui est du premier point, il nous renvoie à « l’enfer, c’est les autres ! ». Cela ne signifie pas que les relations avec autrui sont toujours infernales. Ce que Sartre exprimait dans cette formule, pour moi, c’est que « les autres » sont des miroirs déformants de nous-mêmes, et que la dépendance au jugement d’autrui nous conduit droit en enfer. En RH, il faut absolument s’affranchir des regards extérieurs pour passer à l’action.

Quant à l’affirmation de sa vocation, de son identité profonde, ce n’est pas simple, j’en conviens parfaitement. Mais l’enjeu même de l’audace, c’est d’éprouver la nature de la volonté. 

Or, dans le monde RH, les standards sont encore trop souvent des étendards. L’affirmation de la diversité, si elle est officiellement encouragée, n’en est pas moins opérationnellement risquée à déployer.

Les professionnels RH que vous êtes doivent passer de « risquophobes » à « innovatophiles », devenir des entrepreneurs de vous-mêmes pour porter haut les couleurs de votre belle fonction. 

Jouer sa différence RH

Dans mon amicale injonction à l’affirmation de votre mission, c’est ainsi votre for intérieur RH qui est convoqué, votre moi de DRH. 

Quel projet profondément ambitieux que d’être soi dans une société où les règles qui nous étreignent sont déguisées en choix qui nous éteignent. Quel défi permanent que de porter la flamme de nos convictions sans encourir le risque constant de nous brûler les ailes. Mais n’est-il pas d’ailleurs préférable de se brûler que de se consumer, de se choisir plutôt que de s’abandonner, de s’engager plutôt que de démissionner, de se réinventer plutôt que de se résigner ? 

Chers amis DRH, il y a plus de beauté à perdre en étant soi qu’à gagner en se perdant. Alors, ne faisons pas de compromis avec notre vocation originelle, originale, unique même. Soyons intransigeants avec ceux qui voudraient la délaisser, la lisser, la normaliser, la digitaliser, au lieu de nous encourager à la sublimer.

Chers amis DRH, cultivez votre rareté, écoutez votre vérité, celle de nos différences RH, pour mieux les partager. 

La différence RH c’est l’âme de l’entreprise. Unique comme un parfum, personnelle comme un caractère, authentique comme une signature. Une entreprise sans âme est une entreprise sans armes.

Alors, engagez-vous, sans réserve ni effroi, dans l’immense aventure d’être soi.

Cette tribune est issue de ma Keynote lors de l’événement Disrupt RH organisé par Golden Bees en partenariat avec Parlons RH, et fortement inspirée par une magnifique chronique “Droit de citer » de Saphia Wesphael.

Crédit Photo : Thomas Chardin



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