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« Diversité et inclusion ne sont plus l’apanage de directions généreuses »

le 19 février 2025
« Diversité et inclusion ne sont plus l’apanage de directions généreuses »
Patrice Guézou
Patrice Guézou

Directeur de l’offre de conseil « Développement du capital humain », Sémaphores

Les politiques de diversité et d’inclusion s’imposent à l’entreprise légalement, éthiquement et économiquement, explique Patrice Guézou, du cabinet de conseil Sémaphores (Groupe Alpha). Et toute la sphère RH est impliquée.

Comment les entreprises françaises ont-elles évolué ces dernières années en matière d’inclusion et de diversité ?

Une fois n’est pas coutume, commençons par nous réjouir. Les entreprises progressent en matière de respect et de valorisation de la diversité, ainsi que de mise en œuvre de démarches d’inclusion. C’est la conséquence des législations successives, contraignantes, mais aussi du contexte économique, socioculturel, démographique, qui conduit les acteurs publics et privés à mettre en place des démarches proactives.

Quelques illustrations de cette tendance : le taux de chômage des personnes en situation de handicap a, selon l’INSEE, chuté de 17 % à 12 % entre 2015 et 2022. L’inclusion est de plus en plus un sujet de négociation collective et se traduit par de nombreux accords tant au niveau des branches professionnelles qu’au niveau des entreprises… De plus en plus, celles-ci prennent conscience du fait que les politiques de diversité améliorent leur performance ainsi que leur notation extra-financière. Pour autant, nous ne pouvons pas nous satisfaire des résultats atteints. Les défis restent nombreux et tous les acteurs doivent rester mobilisés.

Comment définit-on aujourd’hui l’inclusion et la diversité dans l’entreprise ?

La diversité fait référence à la variété des différences qui distinguent les individus. Il s’agit d’un concept très large qui inclut non seulement les caractéristiques visibles comme le sexe et la couleur de peau, mais aussi des éléments invisibles tels que le handicap (invisible dans 80 % des cas), les croyances ou les convictions politiques. À noter que la diversité ne dispose pas d’une définition légale en France. Seule la notion de discrimination est définie : c’est une inégalité de traitement fondée sur un critère prohibé par la loi (sexe, âge, état de santé…) et dans un domaine cité par la loi (accès à un service, embauche…).

L’inclusion, quant à elle, renvoie à la manière dont les individus, avec leurs caractéristiques individuelles et leurs compétences, sont pris en compte et participent de manière non discriminatoire à la vie de leur organisation. Ils ne sont donc pas seulement intégrés, sommés de se fondre dans le collectif, mais accueillis et valorisés selon leurs caractéristiques individuelles propres. 

Quels sont les principaux défis en la matière ?

De nombreux écarts demeurent, injustifiés et injustifiables. Nous ne pouvons pas les citer tous. Le taux de chômage des personnes en situation de handicap est ainsi de 12 %, contre 7 % pour la population générale (chiffres DARES). La discrimination à l’embauche du fait du handicap reste le premier critère de saisine du défenseur des droits, devant l’origine et l’état de santé.

L’égalité femmes-hommes est un autre défi. Les femmes gagnent encore 24 % de moins que les hommes en moyenne. L’essentiel de l’écart s’explique par le fait que les femmes travaillent plus souvent à temps partiel et dans des métiers moins bien payés que les hommes. À temps de travail et poste équivalents, l’écart de salaire reste de 4 % (Observatoire des Inégalités). Autre exemple de discrimination : si 77 % des employés considèrent que leur employeur est « LGBT+ friendly », un tiers des employés LGBT+ déclarent avoir été victime d’une agression sur leur lieu de travail (Baromètre LGBT+ 2024 de l’Autre Cercle). Il reste donc encore beaucoup à faire. 

Que doivent faire les entreprises selon vous ?

Pour commencer, elles vont devoir agir pour tenir compte du vieillissement de la population. Prenons un exemple. En raison des inégalités d’accès au soin, des différences sociales d’hygiène de vie, de la pénibilité du travail, les situations de handicap se développent avec l’âge : seules 15 % des personnes pâtissent d’un handicap de naissance. 85 % le développent au cours de leur vie. Par ailleurs, 8 à 11 millions de personnes en France soutiennent un proche en situation de handicap, en perte d’autonomie ou porteur d’une maladie chronique ou invalidante (selon le ministère des Solidarités). Cet accompagnement directement assumé par les familles ira en s’accentuant et ne manquera pas de rejaillir sur le travail et son organisation.

Outre le vieillissement, les conditions de socialisation et l’intensification de l’individualisation génèrent une nouvelle relation à l’entreprise et au travail, de nouvelles contraintes, avec des conséquences importantes sur la santé mentale.

Les enjeux des politiques de diversité, équité et inclusion sont donc nombreux et recouvrent une grande variété de situations. L’entreprise, par l’aventure collective qu’elle incarne, s’y trouve forcément confrontée et se doit de trouver les leviers pour agir, dans le respect de sa raison d’être et de ses moyens. Ce n’est évidemment pas tâche aisée, notamment pour les plus petites d’entre elles.

Sur quels instruments de mesure les entreprises peuvent-elles s’appuyer ?

Sur des critères RH, connus et maîtrisés tout d’abord. Par exemple, le pourcentage de personnes en situation de handicap dans l’entreprise, la répartition des personnels par métier et par niveau hiérarchique selon leur genre, leur âge, leur sexe. La législation ou une analyse comparée sectorielle, de type Social Score©, peuvent leur permettre de se situer. Au-delà de ces critères objectifs, les entreprises s’appuient aussi sur des sondages ou des enquêtes d’opinion pour saisir l’état d’esprit mais aussi le ressenti des salariés dans leur relation aux dimensions structurantes de leur vie au travail : le respect, l’écoute, l’attention, la compréhension de leurs attentes et défis… Enfin et de plus en plus, les critères ESG, pour Environnementaux Sociaux et de Gouvernance, au travers de la directive européenne CSRD, vont s’imposer aux entreprises de toutes tailles. Elles devront rendre compte de leurs actions et de leurs résultats en matière de diversité, équité, inclusion.

Quel plan d’action mettre en œuvre ?

Les entreprises, selon leur taille, leur implantation, leurs secteurs d’activité, ne sont pas toutes égales face aux enjeux de diversité, d’égalité et d’inclusion. Mais il existe dans tous les cas des leviers pour agir, et pour passer d’une logique de contrainte et d’obligation à une logique d’opportunité et de proactivité.

La conviction du dirigeant et de son équipe de management est une condition première. La sensibilisation, la formation, l’information, les témoignages d’autres entreprises et entrepreneurs permettent ensuite d’acculturer l’organisation à ces enjeux. L’étape suivante est la production de lignes directrices adaptées à l’entreprise en matière de diversité, équité et inclusion, en se fondant sur un audit et une analyse des données-clés. Il est ensuite possible de produire et de présenter un document d’orientation aux partenaires sociaux en vue d’un accord négocié. L’objectif reste de créer un environnement concerté, encadré et suivi dans la durée. Un accord de ce type, renouvelé et enrichi au fil des années, permettra de poser les bases d’une culture de management réellement inclusive. Toutes les pratiques RH sont affectées : le recrutement, l’intégration, l’accompagnement tout au long de la vie professionnelle, la formation, l’écoute du corps social de l’entreprise, le management et l’encadrement de l’action et de l’éthique des managers. Avec, toujours, le souci de porter la plus grande attention aux personnes concernées elles-mêmes. La prise en compte de la diversité ne pourra qu’aller croissant : le contexte démographique, le vieillissement de la population et la raréfaction de la main-d’œuvre active vont contraindre les organisations à s’ouvrir à une grande variété de profils et à promouvoir une plus grande agilité en matière de trajectoires professionnelles intra ou inter-entreprises.

Les politiques en faveur de la diversité, de l’égalité et de l’inclusion ne sont plus l’apanage de directions généreuses : elles sont le levier de transformation des pratiques de management et de gestion des ressources humaines. Elles écrivent le commun des nouveaux collectifs de travail au sein des organisations.

> Retrouvez aussi notre dossier complet, alimenté au fil des publications. Il regroupera à terme tous les articles du Cahier de tendances.

Crédit photo : Frédéric Placend



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