5e Rencontres du Dialogue social : la confiance et l’expérimentation comme piliers ?
Comment interpréter l’évolution du dialogue social en France et en Europe ? Peut-il influer sur la recomposition du travail et de l’emploi ? Deux thématiques explorées par une trentaine de DRH, représentants syndicaux et experts des relations sociales lors des 5e Rencontres du Dialogue social des secteurs public et privé organisées par la ville de Suresnes (1), sous l’égide de l’OIT (Organisation Internationale du Travail). Alors, comme l’a scandé Béatrice de Lavalette, adjointe au maire de Suresnes, déléguée aux ressources humaines et au dialogue social, celui-ci booste-t-il la performance publique et privée ? Son impact a-t-il à voir avec le bien-être au travail et le progrès social ?
Sommaire
Un dialogue social basé sur la confiance mutuelle
Dès l’ouverture des Rencontres par le ministre de l’Éducation, Jean-Michel Blanquer, le cap est fixé : la défiance qui caractérise les relations entre institutions ou entreprises et citoyens / collaborateurs, est le principal écueil auquel se heurte le dialogue social. Pour le revivifier, il faut rétablir le respect et la confiance tout en se posant la question du sens du travail. « L’école du contrat social » selon les termes du ministre, est le lieu d’apprentissage des partenaires sociaux de demain.
Des partenaires sociaux plus autonomes dans le reste de l’Europe
En France, seuls 11 % des salariés des secteurs public et privé sont syndiqués ; à l’échelle européenne, ils sont en moyenne 23 %. Mais comment s’articule le dialogue social dans les autres pays ? En Suède, le système social tripartite a été redéfini au profit d’une codétermination et d’un désengagement étatique, les partenaires sociaux concluant souvent seuls des accords-cadres relatifs à l’ensemble des aspects de la relation salariale (à l’exception des salaires, négociés essentiellement au niveau local). En Allemagne, le principe de « collaboration en confiance » est inscrit dans la loi. Avocat et ex-DRH, Ralf Gottwald rappelle que les partenaires sociaux y agissent de façon responsable car ils assument les conséquences du déclenchement hasardeux d’une grève, par exemple. Le dialogue social apparaît donc comme intrinsèquement lié à la culture, à l’histoire et aux pratiques d’un pays donné.
Comment œuvrer pour un climat social apaisé ?
Perçu comme chaotique, le dialogue social hexagonal est riche de réussites ! Plusieurs leviers tels la formation ou l’association de tous les acteurs de l’entreprise jusqu’à la ligne managériale, interviennent alors. Première collectivité territoriale à avoir signé une charte de reconnaissance du parcours syndical (Suresnes ayant été rejointe par la région Ile-de-France), la ville propose des formations certifiantes conjointes à ses délégués syndicaux et à ses cadres, organisées par Sciences-Po. Autre succès lié à la concertation, l’ouverture de la médiathèque le dimanche, les représentants syndicaux CGT (notamment) ayant tenu compte de la volonté des personnels, malgré l’opposition farouche de leur syndicat au niveau national (2).
Un dialogue social constructif existe aussi dans des secteurs d’activité soumis à la compétition internationale. Dans le cas de Naval Group (groupe français spécialisé dans l’industrie navale de défense et les énergies marines renouvelables), des résultats insuffisants ont donné lieu à un plan de performance émanant de la direction. À l’initiative de la CFDT, un nouvel axe a été ajouté, relatif à l’écoute des collaborateurs et à la négociation d’un accord sur la QVT. Résultat : un accord majoritaire dédié a été signé par la CDFT, la CFE-CGC et l’UNSA tandis que des expérimentations ont été lancées pour favoriser la prise en compte de l’intelligence collective et la transition vers un mode de management plus collaboratif. Notons qu’un taux de syndicalisation de 30 à 40 % accorde une réelle légitimité aux délégués syndicaux de Naval Group.
Autre thématique où le dialogue social se déploie, l’expérimentation de nouvelles formes d’organisation du travail, qu’il s’agisse de télétravail ou d’espaces de travail plus collaboratifs, chez Axa France ou à la mairie de Suresnes.
Qualité du dialogue social et bien-être au travail
Réalisé par Jean-Luc Vergne (président de JLV Conseil, ex-DRH des groupes Sanofi, PSA Peugeot Citroën, BPCE entre autres) et Carole Couvert (vice-présidente du CESE – Conseil Économique Social et Environnemental, présidente d’honneur de la CFE-CGC), le décryptage de l’année sociale 2017 a mis en exergue des éléments encourageants comme la diminution du nombre de saisines des Prud’hommes, la méthode de consultation régulière des partenaires sociaux durant l’élaboration des ordonnances ou l’engagement des DRH en faveur de la QVT, qui vise à créer un cercle vertueux dans l’entreprise.
Dans le même ordre d’idées, l’Observatoire Capital humain de Deloitte a présenté les résultats de son baromètre de la qualité de vie au travail et du dialogue social. Alors que 74 % des entreprises (de tous secteurs d’activités et de toutes tailles) ont mis en place une politique de QVT, 41 % d’entre elles ont déjà signé un accord sur les thématiques suivantes :
- L’équilibre vie personnelle / vie professionnelle ;
- Le travail à distance ;
- La parentalité et l’égalité Femme / Homme ;
- La sensibilisation et la formation aux RPS (risques psychosociaux).
Le déplacement du curseur du dialogue social des seuls RPS à la QVT en général est perçu très favorablement, d’autant qu’il permet d’aborder la pénibilité, le maintien dans l’emploi des seniors ou l’usure professionnelle.
Un dialogue social statique face à la « transformation permanente » de l’économie ?
Accompagner la révolution du travail ou, plus exactement, la « transformation permanente » de l’économie traditionnelle ou de partage (selon la formule de Jean-François Pilliard, ancien vice-président du MEDEF en charge du Pôle social et personnalité qualifiée au CESE), semble crucial. Alors que 85 % des emplois de 2030 n’existent sans doute pas aujourd’hui et que les nouveaux modes d’organisation de la production favorisent le travail indépendant ou collaboratif, les partenaires sociaux peuvent-ils continuer à « fabriquer la norme sociale » ? C’est tout l’enjeu d’un dialogue social revivifié, comme l’a souligné Louis Gallois, président du conseil de surveillance de PSA Peugeot Citroën et coprésident du think tank La fabrique de l’Industrie. Louis Gallois a ainsi appelé à un engagement élargi des syndicats : « Défenseurs des salariés, ceux-ci doivent devenir parties prenantes de l’intérêt de l’entreprise » – dans une forme de codétermination à la française. Pour sa part, Antoine Foucher, le directeur de cabinet de la ministre du Travail, a enjoint entrepreneurs et managers, salariés et syndicats à se saisir de la liberté que leur offrent les ordonnances de « créer leur propre norme au lieu de la subir ».
La tentation de contourner le dialogue social
Face à l’ubérisation potentielle de nombreux secteurs d’activités (la plateforme de mise en relation devenant l’unique donneur d’ordres, prescripteur des tarifs et du référencement des professionnels), la présidente de la section du travail et de l’emploi du CESE, Sylvie Brunet, estime qu’il appartient aux syndicats de co-garantir « la fonction socialisante du travail au-delà du salariat, comme les y autorise l’article L411-1 du Code du travail ». Ils se sont déjà emparés du sujet en conseillant certains travailleurs de plateformes. L’émergence forte de l’économie collaborative, qui induit « la multiplicité et l’imbrication des acteurs concourant à la production d’un bien ou d’un service sans lien hiérarchique défini », va également rendre nécessaire un nouveau type de dialogue social territorial pour assurer « l’égalité de traitement de ces personnes ». Considérer que le développement de l’économie de partage « donne l’occasion de déréguler le dialogue social serait une grave erreur », conclut Jean-François Pilliard.
Si le dialogue social peut s’ériger en rempart contre tous les types de totalitarismes comme l’atteste l’exemple de la Tunisie (lauréate du Prix Nobel de la Paix 2015 pour son dialogue national et mise à l’honneur lors de ces Rencontres), il n’est constructif qu’à la condition de s’appuyer sur le respect, la confiance, le sens et l’expérimentation.
Placée sous le signe du dialogue social par l’OIT, l’année 2018 verra-t-elle les partenaires sociaux français privilégier l’intérêt commun ? De leurs concessions mutuelles lors des phases de négociations pourraient résulter des avancées tant collectives qu’individuelles.
(1) – 5e Rencontres du Dialogue social des secteurs public et privé, à l’initiative de la ville de Suresnes, sous l’égide de l’OIT et en partenariat avec le club décidRH.
(2) – Il existe une divergence d’analyse notable entre les représentants syndicaux CGT suresnois et les fédérations CGT des Hauts-de-Seine et des Services publics pour lesquelles le dialogue social mené à Suresnes relève d’une « imposture ».
Crédit photo : DR
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