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Être une fonction « surhumaine », l’ultime défi de la fonction RH

le 06 décembre 2017
Être une fonction « surhumaine », l'ultime défi de la fonction RH

Aller au-delà de la gestion de l’humain dans l’entreprise est l’un des grands défis du DRH, que l’évolution rapide de sa fonction pousse à devenir un moteur de l’innovation et de la digitalisation de l’entreprise. Mais, pour être en mesure de dépasser l’humain, la fonction RH doit d’abord se le réapproprier par des moyens en phase avec l’évolution de la société et de l’entreprise : c’est à ce prix qu’elle retrouvera toute sa place et fera sens dans les organisations de demain. 

Reconquérir l’humain ou disparaître

  • Humain ou technologie, faut-il choisir ?

L’humain, le H de DRH, est-il menacé ? Certains signes montrent qu’il n’est pas au mieux dans la perception qu’ont les collaborateurs de l’entreprise.

Trop proche de la Direction pour les salariés, la DRH suscite chez eux une défiance certaine, ce que confirment régulièrement les études réalisées sur la perception de la DRH au sein des entreprises. Comment le DRH, celui qui annonce les plans sociaux, pourrait-il être humain ?

À ce phénomène, qui n’est pas vraiment neuf, s’est ajouté un autre élément : l’avènement du digital. Que l’on soit ou non favorable à la digitalisation de l’entreprise, le digital n’a jusqu’ici pas contribué à donner de la DRH une image de « gardien des valeurs humaines » au sein des organisations.

Pour les collaborateurs rétifs à la digitalisation ou méfiants vis-à-vis de celle-ci – tordons le cou à un a priori tenace, il ne s’agit pas toujours des seniors – le numérique déshumanise les rapports, empêche un réel dialogue en substituant l’email à l’échange présentiel, place les individus dans des grilles et des cases, remplace la convivialité et l’écoute des collaborateurs par un vernis de personnalisation à bon marché –personnalisation alimentée par la data RH dont dispose l’entreprise.

En ce qui concerne les salariés les plus demandeurs de nouveauté et de performance numériques – pourfendons un autre a priori, miroir du précédent : ce ne sont pas toujours les générations Y et Z, qui ne sont pas faites que de geeks – le DRH ne joue qu’un rôle subalterne. Ils espèrent beaucoup plus d’un SIRH toujours plus perfectionné, à partir duquel ils pourront gérer absolument tout ce qui concerne leur carrière comme ils l’entendent, sans interférences humaines mal venues.

En forçant un peu le trait, on dira que les premiers déplorent que l’humain soit en train de disparaître, et les seconds qu’il n’ait pas complètement disparu.

La notion d’expérience salarié, encore neuve, a ceci d’intéressant qu’elle peut permettre de trouver un équilibre entre ces deux positions extrêmes, et redonner toute sa place à l’humain.

  • Une nouvelle logique

L’expérience salarié désigne l’ensemble des interactions et expériences vécues par un collaborateur au sein de son entreprise, dans les moments clés de son parcours comme dans son quotidien professionnel, ce du recrutement jusqu’à la séparation.

Le concept d’expérience salarié est apparu en écho à la démarche des entreprises visant à optimiser et personnaliser l’expérience client.

Principe de base de l’expérience client, un client satisfait, voire « engagé » s’il est très satisfait, devient un promoteur de l’entreprise, un ambassadeur de sa marque, de ses produits ou services. En d’autres termes, un moteur de business ! Dans un contexte où la qualité de la relation client est réputée stratégique, le salarié portant cette relation sera bien plus performant et générera beaucoup plus de satisfaction s’il est lui-même satisfait dans son travail. Il s’agit donc d’œuvrer à la qualité de l’expérience salarié comme on le fait pour l’expérience client… À cette différence près que l’on ne s’intéresse pas au parcours d’achat de l’intéressé, mais à son parcours RH.

En résumé, la démarche de l’expérience salarié pose le principe que la qualité de la relation qu’entretient une entreprise avec ses collaborateurs impacte positivement la qualité de sa relation client. Dès lors, si on veut susciter l’engagement des équipes auprès des clients en leur demandant d’adopter des postures « attentionnées », « personnalisées », de faire preuve de « proximité et d’écoute », il faut que ces équipes soient managées selon des principes symétriques. C’est la fameuse symétrie des attentions, par la grâce de laquelle les salariés deviennent des clients prioritaires du DRH.

  • Pour un vrai marketing RH

Prioritaires mais pas uniques, car il en existe d’autres, par exemple les candidats. Les DRH privilégient l’une ou l’autre de ces deux cibles en fonction de leurs enjeux. Les premiers clients des DRH sont les salariés quand l’entreprise est plutôt dans un enjeu de fidélisation et d’engagement, ou une problématique de maîtrise de son turn-over. Ce sont davantage les candidats quand l’organisation cherche à gagner en attractivité pour faire face à une problématique de recrutement et de sourcing.

Le marché de la DRH se limite-t-il à ces deux sous-segments ? Les managers, le COMEX, les partenaires sociaux n’en font-ils pas également partie ? N’y a-t-il pas d’autres cibles à adresser de manière spécifique ? D’autres couples « Ressource Humaine (au sens salarié) – Service RH » plus précis ?

La DRH fait partie des fonctions de l’entreprise qui segmentent le plus : les jeunes, les seniors, les hommes, les femmes, les cadres, les non-cadres, les encadrants, les encadrés, les hauts potentiels, les salariés en situation de handicap, les salariés qui arrivent, ceux qui vont partir, etc. Pourtant, la fonction RH adopte généralement une approche globale et égalitariste du corps social dans l’offre RH qu’elle propose.

Ses critères de segmentation, techniques, juridiques ou administratifs, sont fondés sur ses propres contraintes et besoins gestionnaires, et ne sont en rien des critères de « marketing ». La logique de l’expérience client impose pourtant de créer des sous-ensembles homogènes et distinctifs de personnes ayant des attentes, besoins, comportements voisins. On segmente par le biais d’études ou de recherches de corrélation multicritères, en s’appuyant sur l’information accessible via la Data RH.

À travers la segmentation, l’enjeu est également de passer d’une administration des individus à un management des personnes, et à une personnalisation de la GRH. Le marketing RH apparaît donc comme un outil indispensable pour opérer la conquête – ou la reconquête – de l’humain.

L’indispensable mesure des perceptions

  • La métaphore du costume

Pour développer l’expérience salarié, il apparaît indispensable de se préoccuper des perceptions de celui-ci.

Plus que la qualité des services délivrés, ce qui compte n’est-il pas finalement la perception qu’en ont les clients ? Lorsqu’on achète un costume, l’important pour le tailleur est que son client soit satisfait, qu’il revienne en acheter d’autres, voire qu’il parle de sa maison à des connaissances qui viendront à leur tour en acheter. Le commerçant se moque, au fond, de savoir si son client a parfaitement compris les caractéristiques exactes du produit, comme la composition du tissu. L’essentiel est pour lui la perception qu’aura eue le client de son acte d’achat et sa mémorisation de celui-ci.

Cette image peut s’appliquer au domaine des RH, comme le montrent les deux exemples suivants.

Au sein du « segment salarié », ce qui compte le plus est-il d’avoir une paie juste ou que le salarié ait le sentiment que cette dernière l’est ? Une étude d’ADP réalisée en 2015 montre que 15% des salariés ont totalement confiance ou très confiance en la justesse de leur paie. Que pensent les 85% restant ? De la même façon, l’important est-il que le processus de recrutement respecte les standards opérationnels en la matière, avec une forme d’excellence technicienne, ou que les candidats ciblés en aient une perception positive, même si le processus est plus informel ou iconoclaste ?

  • Prendre en compte l’irrationnel

Ce que nous enseignent ces exemples, c’est que la fonction RH, si elle a toujours été soucieuse de la qualité et de la conformité des services RH rendus, ne se préoccupe pas de mesurer la perception de qualité qu’ont ses clients de ses services. Il lui faut désormais y procéder en adoptant une vraie démarche organisée de mesure et d’évaluation, avec des méthodes, des outils, des actions concrètes.

Développer l’expérience des salariés implique de prendre en compte leurs perceptions des services rendus, car ce que ressent un individu n’est pas virtuel, c’est pour lui la réalité de ce qu’il a vécu.

Quand les robots seront capables de gérer tous les aspects techniques, administratifs et transactionnels de la fonction RH, il sera trop tard pour changer de culture, nous réapproprier ce qui fait le sens de la fonction RH : la relation humaine, le H de DRH, avec sa part d’affect et d’intuition.

Le triple défi de l’expérience salarié

Il existe deux façons d’aborder le concept d’expérience salarié. La première est de le considérer comme un outil d’image, un gadget de communication. La seconde est de lui donner toute sa dimension pour aider la DRH à réinvestir le champ de l’humain. Pour parvenir à ce dernier objectif, il est nécessaire de traiter le digital sous trois aspects :

  • utilitariste : une vision rationnelle du digital

L’utilitarisme pose comme principe que ce qui est utile est bon, et que l' »utilité » peut être déterminée de manière rationnelle. Adopter une approche utilitariste de l’expérience salarié impose de piloter l’innovation digitale dans l’entreprise en s’assurant que l’optimisation ou le gain visé sera partagé par le plus grand nombre de personnes possibles.

De même qu’il est possible avec le digital de s’assurer du bien-être du client avant, pendant et après son acte d’achat, de nombreux outils numériques peuvent contribuer de façon décisive au bien-être des salariés tout au long de leur parcours dans l’entreprise.

Couvrant l’ensemble des processus de gestion des recrutements, des formations et des carrières, les SIRH doivent proposer davantage de services au collaborateur. Certains SIRH permettent ainsi à celui-ci d’accéder à son dossier personnel, de mettre à jour son profil, d’exprimer un souhait de mobilité ou de formation, de répondre à une annonce interne…  Les salariés deviennent ainsi acteurs de la gestion de leurs parcours et de leur évolution professionnelle.

Les Intranets et RSE, de leur côté, n’ont d’intérêt que s’ils répondent à une réelle attente des salariés en termes de partage et de collaboratif, et si l’organisation interne leur permet de consacrer du temps à développer des projets communs sur ces supports.

Parallèlement au développement de nouveaux modes de travail comme le nomadisme ou le télétravail, le bureau digital, ou digital workplace, se met progressivement en place. Les objets connectés, tels que les sièges scannant en permanence la pression subie par votre dos, peuvent indéniablement améliorer le quotidien du salarié. Quant à la domotique, elle pourrait bientôt se généraliser dans l’univers de travail, élargissent le service rendu au salarié tout en contribuant à son bien-être et à sa santé.

Attendue et pleine de promesses, la digitalisation RH ne demeure cependant qu’une des composantes de l’expérience salarié, qui est perçue comme un tout par les intéressés.

  • sensoriel : quand les sens donnent du sens

L’intelligence émotionnelle apparaît parmi les 10 compétences recherchées en 2020 alors qu’elle était absente de tout référentiel en 2015. (source 2017: rapport du Forum Économique Mondial, intitulé « L’avenir de l’emploi »). Le DRH doit réfléchir aux moyens d’orienter la transformation digitale dans le sens cette entreprise de demain laissant plus de place à l’irrationnel, aux perceptions et aux émotions humaines. Pourquoi ne pas le faire en appréhendant le digital, mais aussi plus globalement la communication interne, de façon à toucher les cinq sens de l’homme ?

1. La vue

Partager davantage, voir pour comprendre et savoir : certains outils digitaux, comme Skype, permettent aujourd’hui de se voir à distance, remplaçant avantageusement une conférence téléphonique. De leur côté, les RSE rendent possible le partage de certains documents, ce qui donne une meilleure visibilité sur le travail des autres services. Présenté de plus en plus souvent de façon dématérialisée, le BSI (bilan social individuel) permet au collaborateur de porter un regard global et complet sur sa rémunération et les avantages dont il a bénéficié.

2. L’écoute

L’écoute active est un concept créé dans les années 70 et mis depuis au service du management. Le principe est d’écouter les collaborateurs avec bienveillance, dans le non-jugement, de comprendre leurs enjeux pour trouver avec eux une solution qui convienne à toutes les parties, tout en restant affirmé sur les besoins des collaborateurs et ceux de l’entreprise.

Adopter le mode « écoute active » implique évidemment de traiter les informations que l’on récolte. S’il est parfois possible à un manager de mettre des actions en œuvre (accorder un budget, valider des congés…), il peut aussi ne pas avoir de marge de manœuvre. Cependant, la posture d’écoute active permet d’instaurer la confiance, elle démontre volonté d’ouverture et d’écoute.

3. Le toucher

Servons-nous de ce sens pour évoquer un point moins anecdotique qu’il ne paraît : la poignée de main. Certes, chaque entreprise a sa culture et il n’existe pas de règle ou d’usage meilleur qu’un autre pour se saluer le matin en arrivant au bureau et le soir en le quittant. Dans certains métiers ou secteurs, la poignée de main est systématiquement de mise, dans d’autres, les collaborateurs se font la bise. Mais, tous milieux professionnels confondus, le salut sans aucun contact physique est une tendance montante, un peu comme l’est le tutoiement. La proximité, la convivialité, la chaleur passent-elles obligatoirement par un contact physique ? Sans doute pas. Mais rien n’interdit de se poser la question : qu’est-ce que je transmets à l’autre dans ma façon de le saluer le matin ?

4. Le goût et l’odorat

Être des collègues de travail est une chose, être une communauté de talents soudée en est une autre. Le développement du digital ne doit pas faire oublier ce qui, de tout temps, a permis aux employés des entreprises de partager plus qu’un métier : un déjeuner d’équipe, un apéritif pour fêter tel ou tel événement personnel heureux, une soirée pour célébrer un succès collectif, la découverte du beaujolais nouveau entre collègues pour égayer une grise fin d’après-midi de novembre, peu importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse de… la convivialité.

  • psychologique : la QVT dans l’organisation

Si l’entreprise se préoccupe de la psychologie du client, sa connaissance de la psychologie des collaborateurs est limitée. Trop de managers considèrent encore qu’une forte attention ou empathie envers les salariés serait un signe de faiblesse, de renoncement au changement. Pourtant, c’est lorsqu’on souhaite faire évoluer les comportements qu’il faut examiner les ressorts psychologiques des personnes.

Le travail managérial impose d’expliquer le sens et le but d’une décision, de comprendre sur quel terrain existant cette décision va s’ancrer et de créer les conditions d’une mise en œuvre efficace. Si un salarié ne trouve pas d’utilité directe à une innovation digitale, si l’usage d’une nouvelle application le ralentit dans son travail sans faciliter celui-ci, il accueillera défavorablement le souffle du changement.

La plupart des salariés sont spontanément engagés, mais cet engagement a besoin d’un climat propice pour perdurer et grandir. Un management par trop vertical, des changements de processus nombreux sur lesquels un salarié n’a pas été consulté en amont peuvent peser sur sa motivation. C’est la porte d’entrée vers les RPS (risques psychosociaux), le découragement, l’absentéisme. Comme le soulignent régulièrement les médecins spécialistes des RPS, la qualité de vie au travail des salariés est indissociable de la notion de « sécurité psychologique ». Sans entrer dans le détail des moyens, il convient de toujours veiller dans l’organisation du travail, le management et la conduite du changement à ne pas détruire cette sécurité psychologique des salariés, mais au contraire à la préserver et la renforcer.

L’avenir de la fonction RH est aujourd’hui entre ses mains. À l’heure où la puissance des robots semble sans limites, au point que certains envisagent la fin du travail dans vingt ans, il est logique de penser que seuls les métiers à même d’incarner une humanité et de réenchanter les liens sociaux seront préservés. Dans l’entreprise ultra digitalisée de demain, tel sera le sens et la raison d’être de la fonction RH. Au DRH, en incarnant celle-ci, d’en faire la plus humaine des fonctions surhumaines.

Cet article est une contribution de Parlons RH à l’ouvrage collectif Pour une fonction RH inspirante dirigé par Michel Barabel. Se voulant une réponse au phénomène du RH bashing, ce livre propose de nouveaux axes de légitimité pour positionner la fonction RH et donne à voir ces DRH qui créent de la valeur. 

Crédit photo : Shutterstock/ S_L



Nathalie LEMESLE2017-12-29 20:40:44
le DRH est effectivement celui qui demain mobilise les ressources créatives , qu ´elles soient humaines ou technologiques , elles interagissent et se complètent , qu elles soient à l intérieur ou à l'extérieur de l entreprise , qu elles soient de durée indéterminée ou ponctuelle, elles se mobilisent sur un projet . Moment passionnant d'innovation pour la fonction RH.
Thomas CHARDIN2017-12-30 09:40:45
Merci Nathalie pour votre commentaire et votre enthousiasme. L'avenir RH ne manque pas d'idées ;-)

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