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Quel SIRH pour les entreprises en 2030 ? Entretien avec Gil Couyère

le 11 janvier 2021
Quel SIRH pour les entreprises en 2030 ? Entretien avec Gil Couyère

Spécialiste des ressources humaines, Gil Couyère a notamment été responsable du Développement RH au sein du groupe Orangina Schweppes et créé une société de recrutement à distance. À la tête de NOVRH depuis 2012, il s’est livré pour nous au jeu de la prospective dans le domaine du SIRH. Quelles sont les tendances appelées à se développer ? À quoi le SIRH de 2030 ressemblera-t-il ? Plongée dans l’avenir en compagnie d’un expert avisé.

 

Avant d’entrer dans le vif du sujet, comment vivez-vous, en tant qu’éditeur et dirigeant, cette période de crise sanitaire ?

Comme tout patron, je suis conscient de l’impact sur le business de cette crise sans précédent. Pourtant, malgré le contexte anxiogène qu’elle crée, je pense que certains aspects liés à cette situation sont bénéfiques.

Si je prends le cas de NOVRH, l’adaptabilité et l’agilité dont nos équipes ont fait preuve est impressionnante. Alors que le télétravail n’était que ponctuel dans notre structure, nos 70 collaborateurs l’ont adopté du jour au lendemain. Dès le premier jour ou presque, nous étions à 100% de productivité.

Cette crise a profondément changé nos modes de management et de communication interne, elle en a accéléré l’évolution. Les outils de visioconférence nous permettent de tenir tous les jours un daily CoDir de quelques minutes, plusieurs échanges de ce type sont organisés par les managers avec leurs équipes… Au final, tous les sujets peuvent être abordés librement et efficacement. Quand la technologie fonctionne, l’acculturation est possible.

 

Avez-vous constaté le même phénomène chez vos clients ?

En partie, mais de façon très hétérogène d’un secteur d’activité à l’autre.

Notre clientèle est assez représentative de l’économie nationale, 70% de nos clients se situant sur Paris et 30% en région. Ceux qui pouvaient passer en télétravail se sont très vite adaptés. Pour ceux dont l’activité ne le permet pas, c’est évidemment plus compliqué. Certains se retrouvent avec 90% de leurs effectifs en chômage partiel. Leur problématique centrale est le maintien de l’activité, la préservation de leur santé financière.

Pour les DRH, cette crise a fait émerger plusieurs enjeux : en paie, celui de l’adaptation administrative aux mesures mises en œuvre, en mars, avril et mai ; puis l’établissement de la paie au plus juste pour les entreprises ne pouvant passer en télétravail, et l’adoption des outils de travail à distance pour celles le pouvant.

 

Vous évoquez les secteurs d’activité : l’approche sectorielle du marché devient-elle incontournable ?

Le marché est aujourd’hui segmenté par fonctionnalités, avec des éditeurs proposant un périmètre fonctionnel plus ou moins large, et par taille d’entreprises. Les grands pans fonctionnels sont la partie GA/paie, la partie GTA et la partie développement RH/Talents, cette dernière comprenant le recrutement, la formation, etc.

Un éditeur « pense » obligatoirement son marché de façon globale, pour en adresser la plus large partie possible. C’est ce que font les grands acteurs généralistes. Mais, en étudiant le marché, on se rend compte que certains secteurs d’activité ont des besoins spécifiques communs. C’est là que les fonctionnalités font la différence.

À titre d’exemple, le secteur médicosocial a une problématique importante qui est la gestion de ses financeurs. Cette question nécessite le développement de fonctionnalités spécifiques qu’un éditeur généraliste ne va pas forcément vouloir envisager, parce que cela va créer une « verrue » dans son logiciel difficile à maintenir. Il préfèrera investir dans le développement d’une fonctionnalité intéressant une cible plus large.

 

Est-ce à dire que l’avenir appartient à un ensemble de spécialistes ? D’autre part, le marché n’étant pas extensible à l’infini, peut-on être multispécialiste ?

Il y aura toujours un besoin fort de généralistes pour les secteurs n’ayant pas de besoins spécifiques. Ces généralistes vont se répartir le marché avec de petits éditeurs spécialistes, et d’autres plus importants qui seront multispécialistes.

C’est vers le troisième modèle que tend NOVRH. Le médicosocial, déjà cité, ou l’habitat social, qui a des problématiques de gestion des charges récupérables pour les gardiens d’immeubles, font partie des secteurs spécifiques que nous adressons. L’enseignement supérieur et l’événementiel, avec la gestion des vacataires, offrent d’autres exemples. Notre modèle est ainsi en train de muer : d’acteur généraliste avec la volonté de proposer une solution adaptée, nous devenons un multispécialiste.

Il faut comprendre que les PME de moins de 250 salariés sont en général prêtes à s’adapter aux process proposés par le SIRH. En revanche, le mid-market que nous adressons – comprendre les entreprises d’en moyenne 1000 salariés – attendent que le SIRH s’adapte à leurs process, à leur culture.

 

Sur ce marché en transformation, comment les éditeurs généralistes pourront-ils se démarquer, se distinguer les uns des autres ?

Les éditeurs généralistes apportent des évolutions fonctionnelles liées aux besoins, évolutions dont la pertinence et la qualité peuvent créer la différence. Mais si l’on se projette en 2030, je pense que le SIRH deviendra gratuit.

En effet, ce n’est plus la solution que le client va acheter, mais la donnée. Pas sa donnée propre, qui lui appartient, mais les données relatives à son secteur d’activité. Ce qui intéresse un DRH, ce n’est pas de savoir que son taux d’absentéisme est de 3% ; c’est de savoir où ces 3% le situent par rapport au secteur d’activité de l’entreprise. Idem pour les rémunérations. La DRH pourra ainsi s’informer en temps réel, et non en s’appuyant sur quelques études ponctuelles, pour se positionner sur tout un ensemble de sujets.

On passe ici de l’HR Analytics « basique » à l’exploitation du big data.

 

Le client ne va-t-il pas aussi acheter de nouvelles fonctionnalités pour exploiter ses propres données ?

De nombreuses fonctionnalités vont assurément apparaître dans les décennies à venir. Sans pouvoir vous les décrire précisément, il y aura sans aucun doute beaucoup de collaboratif et d’Analytics.

Cependant, la principale différence que je visualise pour 2030 est une prépondérance du prévisionnel. Nous sommes aujourd’hui dans une logique de traitement du présent et d’analyse du passé. En 2030, c’est la prévision (de l’avenir) qui va primer.

Je suis convaincu qu’il est déjà possible, par exemple, en fonction d’éléments comme les vacances scolaires et les indices grippaux, de prévoir le taux d’absentéisme sur une période à venir avec une justesse de 98%. Le turnover pourra lui aussi être prévu, en fonction de l’évolution du business et de certains éléments du contexte économique. Certains facteurs permettront également de déterminer un flux de candidatures, et d’ajuster la stratégie de recrutement.

Tout l’enjeu du big data réside dans la mise en corrélation d’un ensemble de facteurs permettant à l’entreprise de prévoir et d’anticiper dans de nombreux domaines.

 

Il y a dix ans, voire vingt, la paie se faisait à peu de choses près comme aujourd’hui. Les équipes paie et RH sont presque identiques à ce qu’elles étaient alors. Pourquoi, d’ici 10 ans, l’évolution serait-elle plus rapide ?

Observons d’abord que, contrairement à d’autres sujets RH, la paie est extrêmement encadrée sur le plan réglementaire : c’est la raison pour laquelle il est plus compliqué de mettre en place des innovations que dans des domaines comme la formation professionnelle ou la gestion des talents. La dynamique d’innovation peut donc sembler en sommeil en ce qui concerne la paie, mais tous les voyants sont au vert pour qu’elle se réveille.

De fait, les 4 ou 5 dernières années ont montré la volonté des DRH d’entrer dans une dimension analytique. Elles ont gagné en maturité et veulent se projeter, analyser l’avenir. Elles parlent de plus en plus de chiffres, et cette évolution est importante : le concept de business partner est apparu il y a un quart de siècle, mais il est enfin mis en application.  

D’autre part, d’un point de vue technologique, les possibilités sont là.

 

Le modèle salarié est aujourd’hui prédominant en France, mais de nombreux experts estiment qu’il va baisser au profit des travailleurs indépendants. Cela peut-il avoir une incidence sur le marché de la paie et des SIRH ?

Il est certain que nous entrons de plus en plus dans une logique d’indépendance des collaborateurs. En cinq ou six ans, les free-lance et experts externes ont augmenté dans les effectifs des entreprises de toute taille. Ce phénomène va se développer, car il répond à la fois à la quête d’agilité des entreprises et au désir de « liberté » d’un certain nombre de collaborateurs, qui préfèrent avoir plusieurs employeurs.

Le changement généré est sensible pour la DRH, qui entre dans une approche non plus hiérarchique, mais de coordination et d’animation de réseau.

Cependant, en ce qui concerne la paie, l’impact reste limité. Il y a bien sûr des ajustements techniques à faire, par exemple pour sécuriser l’accès au SIRH par des indépendants. Nous avons déjà des clients qui, sur 1 000 collaborateurs, intègrent 300 ou 400 vacataires dans leur SIRH : c’est le cas de certaines grandes écoles. Pour autant, ces populations font véritablement partie de l’équipe. S’adapter à cette donne exigera de développer certaines fonctionnalités pour gérer des honoraires.

 

En synthèse, quelles innovations fortes caractériseront le SIRH en 2030 ?

Je retiendrais 3 axes forts d’innovation se dégageant des points que nous avons évoqués.

Premier axe, la verticalisation des solutions via la spécialisation d’une partie des éditeurs. Le marché va se scinder entre éditeurs généralistes, petits éditeurs spécialistes et multispécialistes.

Deuxième axe, l’aspect data centric. La valeur se déplace du contenant, le SIRH, au contenu, la data. Ce point devrait nous conduire à la gratuité du SIRH en tant que tel, la capacité de compiler et restituer la data faisant la différence. N’oublions pas que la paie est une grande source de données pour l’entreprise et qu’elle n’est que très peu exploitée.

Troisième axe, ce que l’on peut appeler le « SIRH étendu » : le fait de ne pas adresser que le lien de subordination, mais aussi le lien social lié au développement du free-lancing et de nouveaux modes de collaboration indépendants. Il s’agit là d’une évolution naturelle qu’il faut accompagner, mais pas d’une révolution.

 

Un mot de conclusion ?

La crise sanitaire que nous traversons le montre : la technologie permet de s’adapter. L’étape suivante est de prévoir. Les nombreuses évolutions qui vont impacter le marché des SIRH dans les dix années à venir seront toutes liées à la nécessité pour l’entreprise de prévoir plus et mieux pour anticiper… Et ainsi envisager l’avenir de façon plus rationnelle, plus confiante et plus dynamique.



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