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Progrès social et performance publique : de l’ambition pour la politique RH

le 01 mars 2018
Progrès social et performance publique : de l'ambition pour la politique RH

Quel est le point commun entre l’OIT et le CESE [1] ? Les deux organismes suivent de très près la politique RH menée par la Ville de Suresnes sous l’égide de Béatrice de Lavalette, Adjointe au Maire déléguée aux Ressources humaines et au Dialogue social.

Spontanément, l’on attend plutôt l’innovation technologique, sociale ou organisationnelle du côté des grands groupes privés. Alors, en quoi les dispositifs mis en oeuvre par la Ville de Suresnes se démarquent-ils ? Quelles en sont les retombées ?

Les réponses d’une élue engagée.

 

Le 17 janvier dernier, la Ville de Suresnes [2] a lancé l’appli Le CLiC, qui favorise la reconnaissance des compétences entre pairs. Un nouvel atout pour votre politique RH ?

Comme le montrent diverses études, la reconnaissance au travail est essentielle. Valoriser les collaborateurs agit à la fois sur le bien-être au travail et sur la motivation. [Selon une enquête d’ADP Research Institute® de septembre 2017, seuls 23 % des salariés français se sentent estimés par leur employeur, ndlr]. Si de tels dispositifs innovants existent déjà dans de grands groupes du secteur privé, la Ville de Suresnes réalise une première dans la fonction publique. L’idée vient d’Australie.

Grâce à l’appli, chaque agent peut remercier un collègue en dehors de toute hiérarchie. Cool CLiC, Effi CLiC, Innov CLiC, Lead CLiC, tous sont positifs. Ils complètent la Charte de la reconnaissance et du bien-être au travail incluse dans l’accord Bien-être signé avec nos syndicats. Le simple fait de dire bonjour ou merci, est bénéfique pour l’ambiance de travail.

Chaque agent peut attribuer 4 CLiCs par mois ; au bout de 30 CLiCs reçus, ceux-ci se transforment en cadeau surprise de la collectivité. Si la reconnaissance hiérarchique est capitale, ces feedbacks spontanés et bienveillants ont aussi leur importance. Les personnels sont ainsi valorisés. Et ils découvrent la perception de leur engagement, de leur attitude, dans le regard des autres.

 

Toute politique RH a, dans son spectre, le dialogue social. Pourquoi lui accordez-vous une priorité absolue ?

Le dialogue social est un incroyable levier d’optimisation de la performance publique et du progrès social ! En aucun cas un frein, source de blocages. J’en ai donc fait l’un des quatre axes de ma politique de Ressources Humaines, aux côtés du bien-être et de la qualité de vie au travail, de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et de l’accompagnement du handicap.

Pour moi, le dialogue social n’est pas une option mais une nécessité vertueuse. Il constitue un critère d’évaluation de la performance à l’échelle d’un pays ou d’une organisation, comme l’illustre le Global Competitiveness Report du WEF : 22e en termes de compétitivité, la France arrive 109e pour les relations entre les partenaires sociaux. À titre comparatif, les Pays-Bas se classent 4e sur la compétitivité et 5e pour le dialogue social…

Des syndicats forts et représentatifs sont indispensables ! Le dialogue social est un investissement pour l’avenir qui permet de conclure des accords « gagnant-gagnant ». À Suresnes, tournant le dos aux relations conflictuelles et grèves à répétition, nous avons signé une quinzaine d’accords avec la CGT, la CFDT et FO depuis 2008. Ce que nous prônons, nous le prouvons !

 

Notamment par la Charte de reconnaissance du parcours syndical, que Suresnes a été la première collectivité territoriale à mettre en œuvre en octobre 2009. Sur quelles bases ?

Cette Charte constitue un socle. Elle combat toute discrimination syndicale et s’engage surtout à reconnaître et valoriser le parcours syndical. Celui-ci permet de développer des compétences managériales, des talents oratoires ou de négociation, utiles à l’agent mais aussi à la collectivité publique. Nul ne doit être obligé de choisir entre sa carrière et son engagement syndical ; pourtant, ce dernier a souvent constitué un frein. Des postures conflictuelles en découlent car les gens n’ont plus grand-chose à perdre.

Cette Charte m’a été inspirée par celle d’Axa France. Nous avons notamment mis en place des formations d’excellence à Sciences Po et à l’Essec pour les représentants syndicaux (et l’encadrement). Une certification est obtenue sur l’année, permettant de valider les acquis de l’expérience syndicale. Un accompagnement RH se déploie aussi tout au long du parcours syndical de l’agent. Depuis la signature de la Charte, les effectifs des syndicats suresnois augmentent.

 

Parlons des accords. Celui sur l’ouverture de la médiathèque le dimanche prend un écho singulier : le Président de la République vient de se prononcer en faveur d’un accès horaire élargi aux bibliothèques…

Tout-à-fait ! C’est l’une des fiertés de Suresnes [Seuls 130 lieux de lecture sur 16 500 sont ouverts le dimanche, ndlr]. La confiance et le respect mutuel que nous avons instaurés ont créé un terrain favorable à la signature d’un accord dédié reposant sur le volontariat et une rémunération en heures supplémentaires. D’ailleurs, actuellement, le nombre de volontaires dépasse les besoins en personnels le dimanche !

Un autre accord est significatif. Nous avons adopté le régime indemnitaire au mérite, à la hausse et à la baisse. Pourquoi un trentenaire investi et bien évalué gagnerait-il nettement moins que son collègue plus âgé, en raison de l’ancienneté ? Celle-ci est déjà prise en compte dans le traitement indiciaire. La prime – à savoir le régime indemnitaire, qui n’est pas obligatoire dans les collectivités locales – doit être liée au mérite. Elle doit refléter l’engagement, le travail et l’évaluation de chacun.

 

Ne court-on pas le risque de l’arbitraire en cas de relations dégradées entre l’agent et son supérieur hiérarchique ?

40 critères ont été négociés avec les syndicats pour un système juste et équitable. Un recours hiérarchique est possible auprès de son supérieur ou en CAP – Commission administrative paritaire. Sur 1 030 évaluations, il n’y a eu que 18 recours et 6 révisions. 13 % des agents ont vu leur régime indemnitaire augmenter et seulement 5 %, baisser. Alors que leurs traitements sont bloqués, les agents les plus investis peuvent ainsi progresser fortement.

L’ensemble de nos politiques RH, en matière d’égalité professionnelle ou d’accompagnement du handicap également, donnent des résultats extrêmement encourageants [3].

 

Comment évaluez-vous l’efficacité des dispositifs mis en place ?

Nous visons la performance par l’amélioration de la qualité du service public, mais aussi une bonne gestion car nous sommes redevables des finances publiques. L’ouverture de la médiathèque le dimanche ou l’adaptation des horaires de l’aide à domicile aux besoins des personnes âgées, participent d’une meilleure qualité de service.

Le régime indemnitaire au mérite a un fort impact sur la motivation et la performance. Et les accords sur le bien-être au travail (2012 et 2016) sont décisifs : il n’y a pas de performance sans qualité de vie au travail. Des formations sur les RPS, le bien-être au travail, les questions de santé et de sommeil ont été mises en place, dispensées par des RH et des représentants syndicaux.

Côté formation toujours, dans le cadre de l’accord de lutte contre l’absentéisme, nous invitons les managers à être attentifs à leur mode de management, celui-ci se répercutant sur le taux d’absentéisme de leurs équipes [4].

 

Votre veille se nourrit-elle essentiellement de la politique RH des grands groupes du secteur privé ?

Je vais chercher les bonnes idées là où elles se trouvent, sans a priori. Pour notre triptyque Aménagement des espaces – Télétravail – Nouveaux types de management, nous nous inspirons d’Axa France une nouvelle fois, de Danone et de la Sécurité sociale belge, qui est à la pointe de l’innovation RH. Nous allons également visiter la Société Générale, BETC et L’Oréal.

Et nous sommes fiers de retenir l’attention à notre tour ! Plusieurs ministres de la Fonction publique nous ont consultés. L’OIT parle à notre égard « d’un exemple de dialogue social concret, réussi et transposable » et appelle ses pays membres à s’en inspirer.

Chaque année, de grands acteurs des secteurs public et privé participent aux Rencontres du Dialogue social que nous organisons.

 

Certaines fédérations syndicales (CGT départementale et CGT Fonction publique) associent pourtant le dialogue social suresnois à une « imposture ». Comment l’expliquez-vous ?

Il faudrait interroger nos syndicats locaux mais il y a un fossé entre les acteurs de terrain et certaines centrales dont les postures restent idéologiques. Ainsi, malgré l’opposition de la CGT nationale au travail le dimanche, la section locale a signé l’accord sur l’ouverture de la médiathèque : elle a pris en compte l’intérêt des agents, sur place, et celui d’élargir l’accès à la culture pour tous. Adopter ce type de postures lui réussit plutôt bien puisque la CGT est majoritaire à Suresnes avec près de 60 % aux dernières élections professionnelles.

Il faut reconnaître que le dialogue social est souvent stigmatisé en France. Pour sortir de cette logique délétère, un vrai travail de pédagogie doit être mené auprès des employeurs et de l’encadrement, un travail de formation et de communication interne.

 

Comment voyez-vous l’avenir de la politique RH et des relations sociales en France ?

Selon le rapport du CESE Repérer, prévenir et lutter contre les discriminations syndicales en juillet 2017, 73 % des salariés français souhaitent un dialogue social constructif, 5% un dialogue social conflictuel et 8% un dialogue social revendicatif. Aucun acteur ne pourra éternellement l’ignorer. Dans les entreprises et les collectivités, les modes de management évoluent et de plus en plus d’accords sont signés.

En tant que Vice-Présidente de la région Île-de-France, je vais entamer une mission d’études dans plusieurs pays européens – en Suède, au Danemark, en Allemagne, en Italie et en Espagne – pour évaluer les résultats économiques et sociaux obtenus selon le type de dialogue social. Le nôtre doit se transformer : le progrès économique comme le progrès social sont à ce prix et l’on ne peut se passer d’aucun des deux. D’où la nécessité de doter la politique RH d’ambition !

 

[1] OIT, Organisation internationale du travail, unique agence « tripartite » de l’ONU. CESE, Conseil économique, social et environnemental.

[2] Christian Dupuy est le Maire LR de Suresnes, Béatrice de Lavalette appartenant à l’UDI.

[3] Suresnes et Rennes sont les seules villes françaises à avoir le label Égalité certifié par l’AFNOR (renouvelé en juillet 2017). Côté handicap, la Ville est passée d’un taux d’emploi des personnes en situation de handicap de 4,5 à 7,49 %. Le projet Objectif Emploi propose par ailleurs un dispositif innovant de parrainage de jeunes en situation de handicap par des salariés des secteurs privé et public, 50 % de cette population étant sans emploi.

[4] En février 2018, Suresnes devient la première collectivité publique à proposer une mutuelle quasi gratuite à ses agents. Pour ceux touchant moins de 2 000€, la participation de la Ville sera de 42€.



Leparq2018-03-21 12:49:12
On attendait que Béatrice evoque le lab RH le plus sympa de la planète : decidRH...dont elle est membre et s'inspire de ma pluralité de ses membres.
Lydie LACROIX2018-03-23 09:53:06
Bonjour Christophe, Merci pour ce commentaire. L'article portant précisément sur les nouvelles approches de la politique RH explorées à Suresnes, il est probable que Mme de Lavalette n'ait pu balayer la totalité de son spectre de veille et de réflexion. Au plaisir d'évoquer decidRH dans le cadre d'un prochain article ☺

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