Volkswagen : la marque employeur à la place du mort

Quand un groupe renommé et estimé sort brutalement de la route, sa marque employeur est inévitablement blessée. Quid de celle de Volkswagen, firme prestigieuse piégée dans un invraisemblable et effrayant scénario de trucage ?
Alors que la presse enchaîne les gros titres sur l’incroyable scandale que traverse l’une des perles de l’industrie allemande, nous aurions largement matière à écrire plusieurs articles sur le rôle et le destin des ressources humaines dans ce type de contexte. Comment un DRH vit-il une telle crise ? Les embauches vont-elles être gelées, et avec quelles conséquences ? Les plans de formation vont-ils s’interrompre ? Les évolutions de carrière connaître un coût d’arrêt ? En résumé, quand seront tombées toutes les têtes qui en ce moment tremblent, quelles seront les conséquences du tsunami pour les milliers de collaborateurs survivants ?
On préférera aujourd’hui se pencher sur un sujet sur lequel on a tout dit depuis 20 ans, dont les plus belles pages imprimées sont derrière nous, mais dont les plus belles pages digitales restent à écrire : la marque employeur. Sans cruauté mais avec lucidité, examinons la façon dont les collaborateurs du groupe et ses autres publics RH peuvent vivre et ressentir une telle catastrophe.
[Tweet « Que doit dire #Volkswagen aux collaborateurs qu’il a rendus complices de cette duperie ? »]
Sommaire
Quand le cours des valeurs… internes s’effondre
« Devenir un groupe « responsable » et reconnu comme tel, constitue un de nos plus grands défis pour les années à venir. » C’est en ces termes que Jacques Rivoal, Président de Volkswagen Group France, accueille les internautes visitant le site institutionnel français du groupe. « La croissance responsable » est le leitmotiv, « derrière lequel apparait en filigrane la nouvelle orientation du Groupe. […] À la lumière des bouleversements économiques, écologiques et sociaux, cette responsabilité incombe à toutes les forces du Groupe, et en premier lieu aux 645 collaborateurs français. »
Certes, depuis le début des années 2000, tous les groupes importants, tous les acteurs majeurs ou leaders sur leur marché s’efforcent, à défaut d’avoir un tigre dans leur moteur, de mettre de la « responsabilité » dans leur marque employeur : impossible de faire autrement quand la pollution de la planète est l’objet de sommets internationaux, quand le chômage de masse affole la moitié des pays du vieux continent, quand les générations X, et plus encore Y et Z, attendent de leur employeur autre chose qu’un esprit de conquête acéré et un goût immodéré du profit à court terme. Mais si chacun parle de développement durable, d’écoresponsabilité et de responsabilité sociale, tous ne le font pas avec la même crédibilité. Volkswagen avait cette crédibilité. Volkswagen l’a perdu en quelques heures.
Toujours sur le site Internet de Volkswagen Group France, le chapitre « Environnement et éthique » réjouira les ricaneurs et navrera les collaborateurs du groupe, quels que soient leur statut, leur fonction et leur niveau d’engagement. « La responsabilité s’exerce en direction de nos différentes parties prenantes et plus largement de la société dans son ensemble. Notre engagement en faveur de l’environnement mais aussi de l’éthique, notamment dans nos actions commerciales, en témoigne chaque jour », est-il solennellement déclaré. Et, plus loin, ces mots qui résonnent aujourd’hui terriblement : « Occuper la première place des constructeurs automobiles en Europe n’est pas seulement la confirmation de l’excellence de nos marques, de la pertinence de notre stratégie et de l’efficacité de nos méthodes : elle nous oblige à aller au-delà de nos responsabilités éthiques et sociales, et en particulier à porter toujours plus loin nos exigences en matière d’environnement ». N’en jetons plus : si la marque Volkswagen s’est excusée, via la voix de son PDG, auprès de ses clients qu’elle a trompés et transformés en pollueurs à leur insu, que devrait dire l’employeur Volkswagen aux collaborateurs qu’il a rendus complices de cette duperie ?
La fierté, joyau d’une marque employeur forte
Car la problématique essentielle d’une marque employeur, quelle qu’elle soit, réside souvent bien là : dans ce décalage entre les valeurs prônées à l’extérieur pour attirer les meilleurs collaborateurs et le vécu de ces valeurs (comme une réalité ou pas) par les collaborateurs en poste. Volkswagen jouissait du rare et précieux privilège de ne pas connaître ce « gap » entre la perception interne et externe de sa marque employeur. Ce qui est souvent vrai pour le secteur automobile l’était plus encore pour Volkswagen et l’automobile allemande dans son ensemble : l’image du groupe et de ses produits, immaculée, générait un fort sentiment de fierté à tous les échelons de l’entreprise. Voire un peu d’arrogance ? Peut-être, si l’on s’attache à ces mots de la partie « Carrière » du site de Vollkswagen Group France : dans la présentation du processus de recrutement, il est ainsi indiqué aux candidats adressant leur CV « Si vous avez la chance d’être retenu(e), vous serez invité(e) à passer des entretiens au siège social du Groupe ».
Oui, Volkswagen pouvait s’autoriser à dire que voir sa candidature simplement sélectionnée était déjà une chance. Arrogance, peut-être pas exactement, mais orgueil sans aucun doute et fierté, oui, mille fois oui. Et c’est là que se situe le plus gros dommage pour le groupe en termes de marque employeur.
Qui se souvient de la crise traversée par Mercedes dans les années 90 lors du lancement de la Mercedes classe A ? Un accident lors des essais de presse avait propagé la rumeur selon laquelle cette voiture ne tenait pas la route. La crise avait été fort bien gérée, les affiches ne montrant plus par la suite que la voiture slalomant entre des plots, comme lors de l’essai presse fatidique. Entre temps, tout de même, un ingénieur impliqué dans la conception du véhicule s’était suicidé. C’est que dans l’automobile, symbole industriel jouissant d’un statut à part dans les pays développés, la fierté de contribuer au rayonnement mondial d’une grande marque nationale est si forte qu’elle fait partie de l’identité des collaborateurs, y compris dans leur vie privée. Les risques psychosociaux, déjà élevés dans ce secteur où la pression peut être forte (voir les cas de suicides chez Renault ou Peugeot ces dix dernières années), ne risquent-ils pas de grimper en flèche chez des collaborateurs se sentant a minima tristes, stressés pour certains quant à la préservation de leur emploi, mais surtout, pour tous, humiliés ? Une humiliation qui, avec les plaisanteries virales féroces semées sur les réseaux sociaux, va retourner chaque jour, pour longtemps encore, le couteau dans la chair des collaborateurs de Volkswagen.
Un mot, enfin, sur les publics externes de la marque employeur de Volkswagen, au premier rang desquels les jeunes diplômés des grandes écoles que le groupe devra bien continuer d’attirer et de fidéliser dans l’avenir. Désormais dotés d’un apriori défavorable vis-à-vis du groupe, ils vont être plus que jamais demandeurs de transparence et de preuves plutôt que de beaux discours. Les promesses employeur, pour avoir sur eux un impact positif, devront être prouvées avant qu’ils se décident à rejoindre le constructeur allemand. La reconquête de sa marque employeur passera donc inévitablement, pour Volkswagen, par une restauration de la confiance avec les collaborateurs en poste : c’est la condition sine qua non pour que ces derniers se fassent à nouveau les ambassadeurs de la marque auprès de leurs potentiels futurs collègues.
La confiance ne se décrète pas. Denrée rare dans notre époque volatile et souvent cynique, elle se construit sur des années, parfois des décennies, et peut se détruire en quelques heures. Ce qui est vrai pour Volkswagen vis-à-vis de ses clients l’est aussi vis-à-vis de ses collaborateurs. La marque employeur du groupe, c’est une évidence, sortira fortement endommagée par cette calamiteuse affaire de fraude aux mesures de pollution. Elle ne pourra se reconstruire que lentement, en faisant vivre et se déployer d’autres valeurs en interne, qui ne rayonneront que plus tard en externe pour attirer de nouveaux talents : la solidarité dans l’épreuve et l’humilité face à ses erreurs devront en faire partie.
Crédits photos : ©jojoo64 / Fotolia.com
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