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L’urgence lente ou l’art de brandir l’alerte sans jamais changer le rythme

le 26 mai 2025
L'urgence lente, ou brandir l’alerte sans jamais changer le rythme

Dans les discours, tout est affaire d’urgence. Urgence climatique, urgence démocratique, urgence démographique, urgence numérique, urgence sanitaire, urgence salutaire, urgence sociale, urgence managériale, urgence à transformer les compétences, à faire évoluer les modes de travail, à recruter autrement, à innover plus vite.

Mais dans les faits ?

Les entreprises, comme les institutions publiques, pratiquent une forme de lenteur méthodique, parfois confortable, souvent inconsciente.
Une lenteur que l’on repeint aux couleurs du volontarisme, mais qui reste… de la lenteur.

L’illusion de l’urgence

Selon le rapport Creating People Advantage 2023 du BCG, 72 % des professionnels RH identifient les défis liés aux talents et les pénuries de compétences comme le principal obstacle business actuel. Pourtant, seuls 30 % d’entre eux estiment que leur fonction RH utilise efficacement les données pour anticiper ces défis. La planification stratégique des effectifs reste, quant à elle, sous-exploitée, se classant au 18e rang sur 32 en termes de capacités actuelles.

On parle de bien-être, de diversité, de sobriété, de RSE, d’engagement environnemental, mais entre les grands engagements corporate et l’intégration réelle dans les pratiques RH (moyens humains, budget, formation, implication du management, actions, pilotage), l’alignement reste souvent flou, partiel, ou symbolique.

Les maux sont bien là. Les mots aussi. On déclare l’urgence, mais on ne change pas de méthode, ni de temporalité.

Le paradoxe RH du « vite-lent »

En RH, le paradoxe est partout.

La fonction RH est gestionnaire de paradoxe, en équilibre instable pris sous le feu d’injonctions paradoxales entre l’économique et le social, la dictature de l’immédiateté et la nécessité du temps long, entre le marteau de la direction et l’enclume des salariés.

  • On parle d’instantanéité, « d’expérience collaborateur fluide », mais on onboarde souvent à la traîne : badge d’accès le 2e jour, ordinateur le 5e, formation le 10e. Dans un monde où 20 % des nouveaux collaborateurs envisagent de partir dès le premier mois, ça pique ;
  • On déclare vouloir mettre fin aux silos, mais la DRH découvre souvent les projets SIRH après la DSI.

Ce n’est pas qu’on ne veut pas aller vite.
C’est qu’on ne s’en donne ni les moyens, ni la culture.
On brandit la transformation, le changement, mais on respecte l’ordre établi.

L’urgence requiert l’audace

L’audace, c’est de se saisir d’un sujet en lien avec sa mission première et de le défendre. Cela comporte une prise de risque qui est intrinsèque à la prise d’initiative. 

Etre audacieux, c’est nécessairement faire rupture, sortir du rang, se rendre visible par l’effort qu’on produit. C’est aussi résister à une orientation qu’on trouve inhumaine, injuste, inutile ou inefficace. C’est refuser une situation dans laquelle on se sent en dissonance cognitive au regard de sa mission. Etre audacieux pour un DRH, c’est alors refuser la procédure d’invisibilité dans laquelle les autres veulent, consciemment ou inconsciemment, vous contraindre à rester. L’audace, c’est de ne pas être ce que les autres attendent exactement que l’on soit, y compris dans la temporalité qu’ils nous imposent.

Une lenteur structurelle… ou stratégique ?

Faut-il y voir de l’inertie ? De la prudence ? Ou une forme de stratégie d’évitement ?
Dans l’entreprise comme ailleurs, à force de tout décréter « urgent », plus rien ne l’est vraiment. L’urgence devient un écran de fumée.

On repousse sous prétexte de bien faire. On consulte, on itère, on temporise. Mais dans un monde en permacrise, la lenteur est aussi un luxe que l’on ne peut plus toujours se permettre.

Et maintenant ?

La solution ne tient pas seulement dans la vitesse d’exécution.

Elle réside dans une meilleure synchronisation entre discours et action.
Agir moins sur le déclaratif, plus sur les signaux faibles.
Moins de comités de pilotage, plus de pilotes.
Moins d’urgences déclarées, plus de décisions assumées.
Car à trop pratiquer l’urgence lente, on fabrique du décrochage. Décrochage du corps social.
Décrochage des professionnels RH.
Décrochage de l’entreprise qui ne fait plus société.
A une époque, il était interdit d’interdire.
Aujourd’hui, l’urgence devient urgente.

Crédit photo : Image générée par l’IA générative Grok



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