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“L’IA générative peut rendre sa vraie place aux RH… ou les faire disparaître”

le 16 mai 2025
IA générative : rendre sa place aux RH... ou les faire disparaître
Guillaume Vigneron
Guillaume Vigneron

Guillaume Vigneron est un entrepreneur français spécialisé dans l’IA Générative dans le domaine RH. Il est le fondateur et le CEO de La Super Agence, spécialisée dans la formation et l’accompagnement IA RH, et de Superia.tech, une solution SaaS pour créer votre culture book grâce à l’IA.

Depuis deux ans, l’IA générative s’invite dans les RH. Et même plus que cela. Elle bouscule désormais les pratiques RH, et notamment celles liées aux phases amont : marque employeur, sourcing, évaluation, recrutement, onboarding… En quelques mois, elle est passée d’un sujet de curiosité à un enjeu de transformation. Cette technologie remet-elle en cause les fondamentaux du métier RH, ou au contraire les renforce-t-elle ? Risque-t-elle d’accélérer la déshumanisation des processus RH ? Faut-il la considérer comme un simple outil de modernisation, ou comme un levier stratégique que les DRH doivent impérativement saisir pour rester dans la course ? Entretien avec Guillaume Vigneron1, co-fondateur et CEO de La Super Agence.

1. Comment définiriez-vous l’IA générative appliquée aux RH, notamment dans la phase amont ?

J’aimerais commencer par une petite clarification sur ce qu’on entend par IA générative en RH, parce que c’est important de poser les bases : on parle bien d’une technologie qui collecte des données structurées, comme du texte ou du son, pour produire du contenu original. C’est différent de l’IA prédictive qu’on utilise depuis longtemps dans les ressources humaines. Ici, l’idée, c’est vraiment de créer quelque chose de nouveau.

Ce qui m’intéresse davantage aujourd’hui, c’est qu’on peut aller beaucoup plus loin sur toutes les étapes en amont, depuis la marque employeur jusqu’à l’intégration effective des collaborateurs. Initialement, on pensait utiliser l’IA générative uniquement pour la marque employeur, mais on constate qu’il est possible aussi de l’appliquer à la définition même de la culture d’entreprise. On sait depuis longtemps, notamment grâce à Didier Pitelet, que marque employeur et culture d’entreprise sont intimement liées. Pourtant, je trouve qu’on sous-estime encore largement le potentiel de l’IA pour aider à formaliser et enrichir cette culture interne.

Un autre point important, et paradoxalement pas assez exploré, c’est l’aide au sourcing. Aujourd’hui, c’est une tâche extrêmement chronophage pour les recruteurs. Avec des agents intelligents, parce qu’on est vraiment entrés dans l’ère de l’agentique, l’IA peut scanner le web à une vitesse incroyable et repérer des profils rares auxquels un humain seul n’aurait peut-être jamais pensé. C’est impressionnant, et ça peut changer la donne dans les phases de présélection.

Enfin, sur l’onboarding, là aussi, c’est hyper pertinent. Quand un collaborateur arrive, il y a énormément de documentation à assimiler : chartes internes, règlementations, fonctionnement pratique de l’entreprise… Et honnêtement, sur la gestion documentaire, l’IA est imbattable. À mon avis, il y a un vrai chantier à mener là-dessus, et ça pourrait considérablement faciliter l’intégration des nouveaux collaborateurs.

2. Vous évoquez les phases amont, mais vous n’avez pas parlé de l’assessment et du recrutement ?

C’est vrai, mais je ne les oublie pas ! Concernant l’évaluation des compétences, l’arrivée massive de l’IA pose des problèmes complexes. Aujourd’hui, par exemple, n’importe quel candidat peut prendre une capture d’écran d’un test d’évaluation en ligne et utiliser l’IA pour y répondre. Ça remet totalement en cause la pertinence de ces tests. Et puis on doit aussi commencer à réfléchir à l’évaluation d’ une nouvelle compétence : celle de savoir utiliser l’IA générative elle-même. Actuellement, 99% des étudiants l’utilisent quotidiennement. Comment demain va-t-on réellement mesurer cette compétence-là ? La question reste complètement ouverte.

Là où je vois le moins d’intérêt pour l’IA générative, c’est justement au moment du recrutement pur, de la prise de décision finale. Premièrement, parce que l’AI Act européen considère ces usages comme très risqués, donc c’est compliqué légalement. Et surtout parce que le recrutement reste fondamentalement une activité humaine. Ça ne fait aucun sens, à mes yeux, de recruter une personne simplement sur une décision d’IA.

3. Selon votre expérience, l’IA générative remet-elle en cause les fondamentaux RH ou les complète-t-elle dans ces étapes précises ?

Je ne pense pas que l’IA générative remette en cause les fondamentaux des RH, au contraire. Pour moi, elle les remet au centre du jeu. Attention tout de même : j’observe actuellement que beaucoup de projets IA commencent à émerger, mais souvent de façon un peu isolée, sans vraiment intégrer les collaborateurs ou même sans consulter les partenaires sociaux. Conséquence directe ? Le risque de tomber dans le piège d’une technologie imposée d’en haut, qui pourrait effectivement nuire à la fonction RH.

Et si on pousse le raisonnement à l’extrême : est-ce que l’IA pourrait carrément démolir la RH ? Oui, c’est tout à fait possible, si les entreprises commencent à automatiser à outrance sans réflexion stratégique. Oui, les menaces existent : elles ne viennent pas directement de l’IA, mais plutôt des décisions que les gens prennent derrière.

Cela dit, il y a quand même des fondamentaux que l’IA, pour l’instant, ne peut pas remplacer. Tout ce qui touche aux conflits, aux situations sensibles, à la médiation, au harcèlement ou à la prévention des risques psychosociaux, ça reste profondément humain. L’accompagnement du changement, la dimension éthique et sociale, ça exige encore aujourd’hui une véritable intelligence émotionnelle et humaine. Par exemple, en Europe, l’AI Act interdit explicitement d’utiliser l’IA pour détecter des micro-expressions faciales. Donc, si une personne te dit « tout va bien » mais qu’elle est clairement au bord du burn-out, seul un humain peut réellement percevoir ça.

Pour rester fidèle à la vision plus humaniste des RH qu’est la mienne, je crois vraiment que l’IA ne remplace pas les fondamentaux. Au contraire, elle peut les renforcer, à condition de remettre l’humain au cœur de chaque décision. Sinon, effectivement, on prend un vrai risque de perdre ce qui fait l’essence même des ressources humaines.

4. Quels sont les risques concrets de déshumanisation dans l’usage de l’IA pour l’assessment et le recrutement ? Et comment les éviter ?

Je voudrais quand même nuancer la crainte récurrente autour de cette fameuse « déshumanisation ». Qu’est-ce que ça veut dire concrètement ? Aujourd’hui, on parle beaucoup de ce risque lié à l’IA, mais est-ce qu’on est vraiment si doués que ça, nous, les humains, pour humaniser les relations ? Quand on voit les taux de burn-out actuels, ce sont bien des humains qui les provoquent. Ce sont des managers ou des DRH qui prennent parfois des décisions totalement déshumanisées, alors qu’aucune machine n’intervient à ce moment-là.

Prenons l’exemple très concret du recrutement, avec une critique récurrente concernant les biais algorithmiques. Soyons honnêtes : les biais humains sont largement pires. Un exemple simple, documenté depuis longtemps : l’effet de halo lié à l’apparence physique. Deux candidats aux compétences égales, mais si l’un paraît plus séduisant, le recruteur va naturellement, même inconsciemment, pencher vers lui. La machine, elle, ne fait jamais ce genre de distinction. Donc, la déshumanisation par l’IA, oui, mais soyons lucides : elle existe déjà largement sans elle.

Pour l’assessment, la situation est encore plus complexe. On entre dans une logique absurde où, finalement, c’est presque de l’IA contre de l’IA. Un candidat utilise l’IA pour réussir un test en ligne, et en face, on met une autre IA pour détecter la fraude. C’est une boucle sans fin. Personnellement, je suis convaincu que la meilleure façon d’évaluer quelqu’un reste une discussion en face-à-face.

Donc, oui, garder l’humain dans le processus de recrutement et d’assessment est indispensable. Mais pas tant à cause d’une supposée déshumanisation liée à l’IA. Plutôt parce que, concrètement, dans ces moments précis, rien ne remplace le jugement direct d’une personne face à une autre. Voilà, à mon avis, une nuance qu’il est essentiel d’apporter au débat actuel.

5. L’IA générative est-elle aujourd’hui un levier prioritaire pour les DRH, ou un outil parmi d’autres dans la modernisation des processus ?

Sans aucune hésitation, l’IA générative doit être aujourd’hui un levier prioritaire pour les DRH. Pourquoi ? Parce qu’elle porte en elle une transformation bien plus profonde et rapide que ce qu’a pu être la révolution numérique. D’ailleurs, si la révolution numérique était principalement portée par les DSI, cette fois, avec l’IA générative, c’est clairement aux DRH de prendre les commandes.

Ce qui est intéressant avec l’IA générative, c’est qu’elle est fondamentalement accessible aux profils littéraires, très présents dans les RH. Pour bien utiliser l’IA, il faut surtout savoir rédiger de bons prompts et comprendre comment ils influencent l’organisation, le management, ou les relations de travail. Donc, pour un DRH, même sans grande culture digitale, l’IA est parfaitement accessible et peut avoir un impact considérable.

Évidemment, tous les métiers vont être touchés par l’IA générative, mais les RH sont vraiment en première ligne. En revanche, ce levier ne va pas s’activer tout seul : il ne suffit pas de regarder l’IA comme si elle allait tout régler automatiquement. Il faut prendre le taureau par les cornes, et faire les choix stratégiques qui s’imposent.

6. À terme, pensez-vous que l’IA va repositionner la fonction RH comme un acteur encore plus stratégique

Clairement, moi je milite activement pour que l’IA permette enfin de positionner la fonction RH comme un acteur stratégique. Personnellement, c’est même mon objectif professionnel en accompagnant les RH dans leur transition vers l’IA générative : que cette technologie redonne enfin à la fonction RH sa juste place stratégique dans l’entreprise.

En revanche, si la fonction RH ne se mobilise pas très vite, elle va tout simplement de régresser. On parle souvent dans d’autres secteurs du « coût de l’inaction ». En matière d’IA, ce coût est gigantesque et il augmente chaque jour, car la technologie progresse à une vitesse sidérante. On voit chaque semaine apparaître des innovations majeures. 

Le vrai danger, c’est qu’à un moment donné, un CEO ou un conseil d’administration décide tout simplement que les agents IA feront mieux le boulot que les équipes RH, y compris sur des tâches ultra sensibles comme la santé mentale.

Donc, oui, l’IA générative offre une opportunité unique de rendre enfin la fonction RH véritablement stratégique. Mais j’alerte sur un point : si la fonction RH ne se mobilise pas immédiatement et massivement, elle risque purement et simplement de disparaître, remplacée par des IA très performantes et extrêmement spécialisées.

  1. Spécialiste des étapes en amont du parcours collaborateur, Guillaume Vigneron accompagne aujourd’hui les directions RH – mais aussi d’autres métiers – dans l’intégration de l’IA générative à travers des formations, des études d’impact et des missions de cadrage opérationnel ↩︎

Crédit photo : Shutterstock / Roman Samborskyi



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