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« L’expérience collaborateur représente l’avenir de la marque employeur »

le 09 janvier 2019
Portrait de Bertrand Duperrin et de Thomas Chardin

Lors de cet interview croisé, Thomas Chardin, expert des Ressources Humaines et du Marketing, et Bertrand Duperrin, expert dans le conseil en Ressources Humaine, répondent à trois questions à propos de l’expérience collaborateur.  

« Lorsqu’on leur parle d’expérience collaborateur, les DRH ont conscience qu’il s’agit de quelque chose d’important, mais… »

Le 1er baromètre de l’expérience collaborateur montre que les professionnels RH connaissent bien cette notion et sont même 71 % à la juger stratégique. Pourtant, l’expérience collaborateur n’est mise en place que dans une minorité d’entreprises (27 %). Comment expliquez-vous ce paradoxe ?

Thomas Chardin : Je vois deux éléments d’explication à ce paradoxe.

Le premier tient à la multiplicité des chantiers RH auxquels doivent faire face les DRH. Aux sujets très concrets liés par exemple à une nouvelle obligation légale, comme le RGPD ou la retenue à la source, s’ajoutent de nombreux sujets de fond : en pleine mutation, la fonction RH doit accompagner la transformation digitale de l’organisation, assurer la sienne propre, recruter et former avec de nouvelles méthodes, se saisir de questions comme la QVT ou la marque employeur, tout en justifiant parallèlement du ROI des actions entreprises.

Tous ces sujets sont présentés comme plus ou moins prioritaires, or beaucoup d’entre eux sont étroitement imbriqués, interagissent. À titre d’exemple, il faut former pour assurer la bonne digitalisation de l’entreprise, mais il faut aussi digitaliser pour mieux former. Lorsqu’on leur parle d’expérience collaborateur, les DRH ont conscience qu’il s’agit de quelque chose d’important, mais estiment sans doute avoir d’autres priorités. Pourtant, s’il existe un sujet étroitement lié à presque tous les enjeux et activités RH majeurs – recrutement, management, formation, QVT, marque employeur… – c’est bien l’expérience collaborateur !

Le second élément est d’ordre culturel. La plupart des DRH français n’ont pas encore acquis une culture marketing. L’expérience collaborateur ne peut être appréhendée dans toute son ampleur et traitée de façon efficace sans ce nouveau mindset.

Bertrand Duperrin : Je rejoins ce que dit Thomas : la fonction RH est en général sous « staffée », fait face au poids des chantiers réglementaires et il lui manque une culture marketing ainsi qu’une culture des données qui lui permettraient de passer un cap. Sans parler d’une encore trop faible appétence pour la technologie.

Je mettrais également en avant une autre raison : la largeur du périmètre du chantier expérience collaborateur. Si les RH sont légitimes à le prendre en main il est impossible d’avancer sans impliquer au moins l’IT, l’informatique et les directions métier. Pas facile de rassembler tout ce petit monde autour d’un objectif commun s’il n’y a pas un mandat clair au nom d’un objectif stratégique. Sans parler de la dimension budgétaire : d’accord pour travailler ensemble, mais qui finance ? Si l’expérience collaborateur n’a pas un budget propre, il faut alors aller piocher chez l’ensemble des parties prenantes.

Tout cela explique qu’effectivement on peine à se mettre en ordre de marche.

« Travailler la marque employeur est moins une affaire de communication que d’amélioration réelle de l’expérience de travail »

Qu’ont à gagner les entreprises à mettre en place une démarche d’expérience collaborateur ?

B. D. : Les bénéfices attendus dépendront principalement du périmètre que l’on donnera au chantier, et donc de la vision de l’expérience collaborateur dans une entreprise donnée. Pour certains, on sera dans une version améliorée du bien-être au travail, pour d’autres dans une vision marketing, pour d’autres enfin dans une approche très opérationnelle.

De mon point de vue, l’expérience collaborateur regroupe tout cela, mais l’essentiel est dans l’opérationnel. L’essentiel de l’expérience, c’est-à-dire de ce que le collaborateur vit au travail, se passe, justement, quand il travaille. Autrement dit, en termes de « points de contact », on va parler process métier, outils et personnes. Nier la prédominance de cette dimension reviendrait à ne s’occuper du collaborateur que quand il est sur son lieu de travail mais pas en situation de travail. C’est un peu comme construire un spa à côté d’une salle de torture ! Une playstation dans la salle de repos, c’est sympathique, mais ce que demande prioritairement le collaborateur c’est qu’on s’occupe des irritants du quotidien qui le ralentissent ou l’empêchent de faire son travail efficacement.

Dans cette perspective, j’attends trois choses de la mise en place d’une démarche d’expérience collaborateur : de l’engagement, de la performance opérationnelle et, in fine, une amélioration de la marque employeur. Je dis « in fine », car à l’heure des réseaux la marque employeur n’appartient plus à l’entreprise, mais au collaborateur. Travailler la marque employeur est moins une affaire de communication que d’amélioration réelle de l’expérience de travail, ce qui prend du temps.

T. C. : Les impacts positifs sont nombreux. J’en vois un, essentiel, sur la marque employeur. Je pense que l’expérience collaborateur représente l’avenir de la marque employeur, qui n’a jamais vraiment livré tout son potentiel à l’entreprise. Les DRH commencent à réaliser – enfin ! – que la marque employeur ne se limite pas à l’attraction des talents, même si cela reste déterminant. Certes, elle est pour les candidats et les autres publics externes de l’entreprise une vitrine de ce qui se vit au quotidien dans les murs de l’organisation. Mais l’intérieur de la boutique doit être à la hauteur de la vitrine ! C’est là qu’intervient l’expérience collaborateur.

Avec le digital et les réseaux sociaux, le temps des promesses non tenues parce que non vérifiables est révolu. La recherche de congruence est donc essentielle entre marque employeur et expérience collaborateur. La première indique une destination ; la seconde est le vécu quotidien sur lequel l’organisation doit travailler en permanence pour éviter les dissonances et décalages néfastes. L’expérience collaborateur devient ainsi un levier de fidélisation des salariés, de loyauté, d’engagement, et donc aussi de performance RH.

« L’expérience collaborateur est centrale au fonctionnement de l’entreprise »

Selon le baromètre, c’est la DRH qui est la plus légitime pour porter la responsabilité de l’expérience collaborateur (91 % des répondants). Alors comment les DRH doivent-ils s’emparer du sujet pour le mettre en place ?

T. C. : Pourquoi un collaborateur resterait-il dans l’entreprise ? Pourquoi s’engagerait-il ? Les DRH doivent s’emparer de l’expérience collaborateur pour mettre en adéquation les perceptions et ressentis du salarié avec tout ce que promeut et promet la marque employeur. Cela n’est possible qu’en mettant en place une vraie démarche de marketing RH : détermination d’un marché cible, segmentation, constitution d’une offre RH ad hoc, communication, mesure des perceptions, analyse des résultats.

C’est l’approche la plus porteuse de cohérence pour l’organisation. C’est aussi la plus indiquée pour replacer réellement l’humain au cœur de l’entreprise, ce qui représente un enjeu majeur pour le monde du travail d’aujourd’hui. Alors que la QVT relève de la RSE, et est ainsi souvent traitée comme un sujet « autonome » par le responsable RSE, l’expérience collaborateur est centrale au fonctionnement de l’entreprise. C’est ce qui la rend incontournable. Comme le montre le baromètre, le discours sur l’expérience collaborateur est là : le moment est venu pour les organisations, et les DRH, de passer aux actes.

B. D. : C’est effectivement la DRH qui est la plus légitime pour s’emparer du sujet, mais en aucun cas seule. Elle a vocation à être le chef de file d’un chantier transversal qui implique toutes les fonctions support et les directions métier.

Mais je ne pense pas qu’on puisse s’autosaisir du sujet sans un mandat clair de la direction : la capacité à mobiliser ne serait pas suffisante et les moyens ne suivraient pas. Il n’existe pas de configuration type, tout dépend de la culture d’une entreprise donnée et de sa configuration. On a vu des entreprises nommer des « Chief People Officers » voire des « Employee and Client Experience Directors ». Tant que le mandat et les moyens sont là, il y a plusieurs schémas possibles, l’essentiel étant d’avoir le leadership et la légitimité. Peu importe qui est le chef de file car il s’agit, répétons-le, d’un chantier qui concerne tout le monde.

Pour en savoir plus sur l’expérience collaborateur

A propos des interviewés

Thomas Chardin
Expert des Ressources Humaines et du Marketing, Thomas Chardin accompagne depuis plus de 20 ans les DRH et leurs partenaires dans l’intégration du digital dans leur stratégie de marque (employeur, corporate, business). Il est le dirigeant-fondateur de l’agence Parlons RH.

Bertrand Duperrin
Expert dans le conseil en Ressources Humaines, Bertrand Duperrin a acquis au cours de sa carrière une compréhension profonde des dimensions organisationnelles et technologiques de la transformation digitale. Il est aujourd’hui Head of Employee and Client Experience chez Emakina.



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