Le Strategic Workforce Planning en France : “l’enjeu, c’est la mise en place d’une approche agile orientée business”
Entrepreneuse depuis ses débuts, Carole Menguy a évolué dans le conseil stratégique RH avec HTS Consulting, et consacre désormais son énergie à répondre aux besoins fonctionnels de la fonction RH en tant que CPO de Neobrain.
> Neobrain est un éditeur de logiciels RH. Sa plateforme de management des talents et des compétences optimise les parcours professionnels et facilite le pilotage des transformations.
Versant stratégique de la gestion des emplois et des parcours professionnels, le Strategic Workforce Planning (SWP), ou planification stratégique des effectifs, suscite l’enthousiasme par son ambition de réduire l’incertitude permanente. Cet enjeu constant des organisations trouve dans des solutions logicielles une réponse de plus en plus pertinente. Carole Menguy, Chief Product Officer de Neobrain dresse l’état des lieux et les perspectives du SWP en Europe.
Qu’est-ce qui pousse une entreprise à passer d’une logique de GEPP (gestion des emplois et des parcours professionnels), assez administrative, à une logique stratégique comme le SWP ?
L’exercice de la GEPP, ex-GPEC (gestion prévisionnelle des emplois et des compétences), est associé à un processus long et fastidieux durant lequel RH et référents métiers projettent les effectifs à 3 ans et qualifient l’évolution des métiers. Si l’exercice est intéressant car il permet d’échanger sur les transformations à accompagner, il reste souvent théorique et déconnecté des problématiques opérationnelles. Rares sont les démarches qui aboutissent à des actions réelles. Face à ce constat, certains acteurs se lancent dans une démarche dite de “Strategic Workforce Planning” (planification stratégique des effectifs), c’est-à-dire dans un processus dynamique d’anticipation et de pilotage des impacts business des transformations sur l’emploi. Ce changement est rendu possible par l’arrivée sur le marché de solutions utilisant l’IA pour anticiper et piloter l’évolution des effectifs et des compétences.
Quels sont les enjeux de la SWP en 2022 ?
L’enjeu de 2022 est la mise en place d’une approche SWP agile orientée business. Cela implique trois priorités. D’une part, d’aider concrètement les métiers à mieux anticiper l’impact des stratégies sur l’emploi, et d’autre part, de s’outiller pour simuler rapidement les scénarios d’évolution des effectifs et des compétences. Enfin, l’approche SWP doit désormais être alimentée par un benchmark continue sur l’évolution des métiers et des compétences.
Pour cela, les équipes RH et métiers doivent s’appuyer sur une technologie capable de diminuer le temps qu’elles consacrent à la recherche d’informations et au retraitement des données. Et orienter cette énergie, au profit de l’analyse et de la prise de décision SWP.
Le politologue Philippe Tetlock parle de « superforcasting » et compare le fait de réaliser une prévision à plus de 18 mois à celui de donner des fléchettes à un chimpanzé en espérant qu’il touche une cible. Le chercheur en management et RH John Sullivan affirme de son côté que l’absence de workforce planning a fait perdre des millions aux sociétés, mais qu’aujourd’hui le SWP doit évoluer pour embrasser l’incertitude et porter sur un horizon à maximum 2 ans voire même 1 an ? Que répondez-vous à ces deux experts ?
Ce constat serait intéressant si nous ne parlions pas d’humain. Effectivement, il est devenu impossible de prédire ce que sera notre monde dans 1 ou 2 ans tant nous évoluons dans un environnement complexe et incertain. Dans ce monde mouvant, les métiers et les compétences se transforment de plus en plus rapidement. Il en va de notre responsabilité d’entreprise que d’accompagner les équipes pour qu’elles développent les bonnes compétences et évoluent vers les métiers de demain. Cela prend du temps. Une vision à 1 an ne permet pas d’anticiper les besoins en compétences et de former les personnes pour qu’elles les maîtrisent. Elle est adaptée sur des marchés de l’emploi ultra flexibles où vous pouvez vous séparer de ceux qui ne maîtrisent pas les compétences dont vous avez besoin et embaucher instantanément ceux qui vous conviennent.
Neobrain est l’une des principales « talent marketplaces » en Europe ; quelles synergies voyez-vous entre SWP et internal talent marketplaces ?
L’internal talent marketplace est un espace qui regroupe toutes les opportunités de développement des talents, et qui permet d’opérationnaliser le SWP. Il lui fournit en effet une analyse temps réel des compétences et des carrières des collaborateurs. Ces informations enrichissent la prévision et permettent un pilotage de la stratégie RH dans le SWP.
Le SWP permet d’identifier les plans d’actions RH à mettre en œuvre pour réussir la stratégie business comme des programmes de reskilling / upskilling ou des évolutions dans la politique de mobilité ou de recrutement. Ces plans d’actions sont ensuite mis en œuvre par les équipes RH grâce aux fonctionnalités offertes par l’internal talent marketplace.
Envisager d’implémenter une solution SWP est un projet ambitieux, quels sont les conseils en matière de gestion de programmes et de déploiement ?
Les démarches qui réussissent sont celles qui apportent de la valeur au métier. Il est donc important de commencer par un pilote centré sur un besoin opérationnel comme l’accompagnement de la création des filières, la réorganisation de certaines entités ou la fidélisation des compétences clefs. Cela permet de nommer un sponsor métier qui pourra donner toute sa légitimité au projet et s’assurer de sa valeur opérationnelle. Ensuite, il ne faut pas passer trop de temps à vouloir constituer un historique de données parfait. Les modèles savent travailler avec des données manquantes. Ce qui est important, c’est finalement de lister les évènements susceptibles de créer des biais.
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