« La transparence des salaires est un levier d’égalité et de confiance »
DRH de PageGroup (cabinets de recrutement spécialisé Page Personnel, Michael Page, Page Executive, Page Outsourcing), Stéphanie Lecerf est également Présidente de l’association A Compétence Egale qui fédère les entreprises, managers, RH et recruteur.euse.s qui s’engagent contre les discriminations et pour la promotion de la diversité dans le recrutement et dans l’emploi depuis 2006.
La directive européenne sur la transparence des salaires, adoptée en mars dernier, impose aux entreprises de nouvelles obligations, avec une transposition en droit français prévue d’ici juin 2026. Son but est simple : instaurer davantage de transparence pour assurer une équité salariale. Comment cette transparence peut-elle transformer la culture d’entreprise et renforcer la confiance ? Quelles stratégies pour valoriser la performance tout en respectant ces nouvelles obligations ? Entretien avec Stéphanie Lecerf, DRH chez PageGroup, qui revient pour Parlons RH sur les résultats marquant de leur étude « Transparence des salaires : les entreprises sont-elles prêtes pour 2026 ?« .
La directive européenne sur la transparence des salaires doit être transposée en France d’ici juin 2026. Que prévoit-elle ?
La directive impose plusieurs mesures pour renforcer la transparence salariale dans les entreprises. L’objectif ? Obliger les employeurs à justifier toute différence de salaire sur des postes identiques, similaires, ou de valeur égale, en se basant sur des critères objectifs.
Dès 100 salariés, dans le public comme dans le privé, les entreprises devront communiquer davantage. Avant un entretien, elles devront divulguer la fourchette salariale pour le poste proposé. Chaque année, elles devront aussi informer les employés de leur droit à connaître la moyenne des salaires dans leur catégorie, ventilée par genre.
En plus, des obligations de communication et des études salariales devront être réalisées pour garantir la transparence. Des sanctions sont prévues en cas de non-respect, et un accompagnement est prévu pour aider les entreprises dans cette démarche.
Selon votre étude, une entreprise sur deux n’a pas connaissance, ou une mauvaise connaissance, de cette directive. Quels défis principaux les entreprises devront-elles surmonter pour se conformer à cette nouvelle réglementation ?
D’un côté, ce chiffre est étonnant, car l’impact de la transparence des salaires sera majeur, alors même que ce sujet reste encore tabou en France. De l’autre, cela s’explique, car cette directive n’a été adoptée qu’au niveau européen. C’est lors de sa transposition en droit national que les entreprises découvriront ses détails concrets. À ce jour, seule la Suède l’a intégrée dans son droit local, et les autres pays, dont la France, ont jusqu’à 2026 pour s’y conformer.
Les entreprises devront relever des défis importants. D’abord, elles devront adapter leurs politiques de transparence et de communication autour des salaires, mais aussi leurs processus de promotion et d’augmentation. Notre recommandation est simple : anticiper dès maintenant. La première étape est de conduire des études salariales basées sur des critères objectifs comme l’expérience, le niveau de diplôme et la responsabilité. Certaines entreprises s’y attellent déjà pour identifier les écarts potentiels.
Ensuite, il est crucial de revoir l’architecture des emplois, en veillant à ce qu’elle soit claire et structurée. Nous conseillons également de sensibiliser les équipes RH, de lancer des formations, et de réviser les politiques de recrutement, de gestion des performances, et de rémunération. Tout cela, avec un regard constant sur les enjeux de diversité, d’équité et d’inclusion.
Dans quelle mesure la transparence des salaires peut-elle transformer la culture d’une organisation ?
La transparence des rémunérations devient un pilier central pour attirer, retenir et développer les talents. Elle instaure la confiance et renforce la reconnaissance des collaborateurs. Des études montrent que lorsque les entreprises jouent la transparence sur les salaires, cela booste leur marque employeur, la confiance des employés et leur engagement.
Être capable de justifier et de communiquer objectivement les écarts de salaire, notamment entre genres, aide à dissiper les zones d’ombre. Sans communication, des soupçons d’inégalités peuvent surgir, même là où il n’y en a pas. À l’inverse, il est difficile de savoir si l’on est évalué de façon juste.
En somme, la transparence crée une relation de confiance, renforce l’engagement des collaborateurs et valorise l’image de l’entreprise. Une communication claire sur ce sujet est donc indispensable, et elle va dans le bon sens pour la culture d’entreprise.
Près de 7 salariés sur 10 sont prêts à demander le salaire médian de leurs collègues. Quelles résistances les entreprises pourraient-elles rencontrer lors de la mise en place de cette transparence ?
Chaque salarié veut savoir où il se situe par rapport aux autres, mais peu sont prêts à divulguer leur salaire ouvertement. Les entreprises devront donc préserver strictement l’anonymat et éviter toute communication individuelle sur les salaires. C’est d’autant plus important dans les petites structures ou services où peu de personnes occupent les mêmes postes ; là, une transparence soudaine pourrait susciter de l’inquiétude.
La clé sera une communication attentive et générale. Encore une fois, la transparence favorise la confiance et apaise les tensions, en limitant les idées reçues.
Les entreprises devront aussi être claires sur leurs critères pour les promotions et les augmentations. Certaines le font déjà lors des négociations annuelles, mais d’autres devront structurer davantage ces pratiques pour se conformer aux nouvelles attentes.
Vous mentionnez que 34 % des entreprises voient un risque dans le lissage des rémunérations, au détriment de la méritocratie. Comment les entreprises peuvent-elles équilibrer transparence et valorisation des performances individuelles ?
Les entreprises attendent avec impatience la transposition de la directive en France pour savoir si elles pourront continuer à valoriser la performance individuelle. Je peux vous l’affirmer dès maintenant, la réponse est oui. L’équilibre repose sur des critères d’évaluation clairs et objectifs, que les employeurs devront être capables de justifier. Les différences de salaire, en effet, se construisent au fil d’une carrière, pas seulement sur un ou deux ans.
Nous encourageons les entreprises à préserver l’évaluation de la performance, car lisser les rémunérations sans distinction de mérite risque de générer de la frustration. Les collaborateurs doivent se sentir reconnus pour leurs efforts. En fixant des critères d’évaluation concrets et stables dans le temps, les entreprises peuvent récompenser les performances sans nuire à la transparence.
40 % des candidats ne postulent pas à des offres sans indication salariale. Selon vous, quel impact la publication des fourchettes de salaire pourrait-elle avoir sur la qualité des candidatures et le processus de recrutement ?
Afficher les fourchettes de salaire dans les offres d’emploi peut transformer positivement le processus de recrutement. Les entreprises ont deux options : publier cette fourchette directement dans l’annonce ou l’indiquer avant le premier entretien. Nombreuses sont celles qui penchent pour la première option, car des études montrent que cela favorise une hausse des candidatures, tout en renforçant la confiance des candidats potentiels. En rendant ces informations disponibles, la communication autour des opportunités d’emploi devient plus fluide et transparente, facilitant la compréhension des attentes du poste.
Cette transparence attire des candidats mieux alignés avec le profil recherché. En effet, de nombreux talents, dans le doute, renoncent à postuler. Indiquer le salaire leur permet de se positionner plus précisément. Cela limite aussi la frustration pour ceux dont les attentes salariales pourraient ne pas correspondre aux possibilités du poste. En clarifiant dès le départ les conditions de rémunération, l’entreprise réduit les malentendus et améliore la qualité des candidatures.
En fin de compte, cette évolution, bien que motivée par des objectifs d’égalité femmes-hommes, profite à l’ensemble des collaborateurs et des candidats. La transparence des salaires, en plus d’être un levier d’égalité, renforce la confiance et favorise des relations de travail plus claires. Tout le monde y gagne : employeurs, candidats, et salariés.
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