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Travail, humanité, intelligence artificielle : l’évolution parallèle ?

le 18 septembre 2017
Intelligence artificielle Joel de Rosnay

Les progrès de l’IA sonnent-ils le glas de l’emploi humain ? Face à cette crainte, chacun semble se positionner POUR ou CONTRE l’intelligence artificielle. Un schéma trop réducteur pour le Docteur ès Sciences, prospectiviste et auteur à succès Joël de Rosnay(1), qui observe les prémices d’une intelligence naturelle humaine « augmentée » par l’IA et la robotique. Plaidant pour un hyper-humanisme riche de toutes les intelligences interconnectées, il propose une vision constructive des RH et de l’économie de demain. Exploration d’un futur, proche.

 

Des professions intellectuelles assistées de leurs « clones numériques »

 

Les robots et l’IA commencent à investir le champ des professions intermédiaires utilisant de nombreuses données et informations – avocats, notaires, médecins, professeurs, journalistes, brokers… Leur avenir est-il menacé ? 

Les interactions de l’IA et du big data permettent en effet à l’intelligence artificielle de creuser dans le big data pour en extraire les éléments signifiants à une vitesse stupéfiante ! Cela concerne notamment la jurisprudence ou les millions de publications médicales. Néanmoins, s’ils savent utiliser l’intelligence artificielle, en complémentarité voire en symbiose grâce aux objets connectés qu’ils porteront sur eux, ces professionnels pourront consacrer davantage de temps à leurs clients et donner une nouvelle dimension à leurs métiers. Un exemple : l’entreprise américaine BakerHostetler, qui compte 900 avocats, utilise Ross, un dérivé de Watson, l’IA d’IBM. Les 54 juristes de son service Faillites travaillent désormais autrement, avec l’aide de cet assistant intellectuel numérique. Sur certains sujets, Ross fait de la jurisprudence en 5 minutes alors qu’un être humain y aurait passé de longs mois !

 

Intelligence artificielle, capital humain et nouveaux enjeux RH ?

 

Dans le domaine des RH, les start-ups proposent des solutions pour améliorer l’écoute des collaborateurs, coacher leurs carrières, favoriser la mobilité interne… Le sourcing et le recrutement en général recourent aux ATS (Applicant Tracking Systems) voire – prochainement ? – à des robots comme Matilda, capable de cerner la motivation des candidats, leurs forces et faiblesses et même leurs sentiments. Qu’est-ce que cela vous inspire ?

La capacité de l’intelligence artificielle à relier un maximum d’informations, répond aux besoins de la fonction RH, en particulier dans le recrutement. Les candidats ou les collaborateurs en poste peuvent également se faire une idée plus précise de l’emploi qu’ils souhaitent occuper. L’apport de l’IA est d’autant plus conséquent que le spectre de recrutement est aujourd’hui élargi, les professionnels RH recherchant des personnes motivées, même si leur formation n’est pas complètement adaptée au poste ! Cela exclut-il pour autant l’émotion de la rencontre ? En soulageant les services RH des tâches les plus répétitives, l’IA permettra de catalyser le contact humain et le lien social : c’est un point de départ et non d’arrivée.

[Notons qu’en 2017, les ingénieurs ne sont pas capables de reconstituer la suite de calculs innombrables ayant conduit une IA à refuser tel ou tel CV, par exemple].

 

Quelles évolutions envisagez-vous pour la fonction RH digitalisée – et pour les entreprises ?  

Vu la variété des profils de collaborateurs dans l’entreprise, la fonction RH, assistée de l’IA, ne manquera pas d’objectifs ! Favoriser l’émergence d’un salaire en Yield Management par exemple un concept que je développe actuellement auprès des entreprises. Grâce au big data appliqué aux collaborateurs avec leur accord, l’intelligence artificielle pourra extraire la partie qualitative de leur travail, qui sera davantage prise en compte dans la rémunération en plus du salaire « au temps passé ». À tous niveaux, les professionnels RH vont disposer de possibilités d’évaluation démultipliées.

Les modalités d’organisation et de rentabilité de l’entreprise vont se transformer. Dans l’écosystème numérique, on ne vit plus de ses marges : via des forfaits, un maximum d’utilisateurs payent « un peu », tout le temps. L’économie de la rente se généralise, y compris pour les laboratoires pharmaceutiques par exemple, qui vont s’allier à de grandes compagnies d’assurance pour assurer la « maintenance » de la vie du patient.
 
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L’intelligence augmentée : un cap dans l’évolution humaine

 

Selon vous, si l’homme fait le choix de la symbiose avec l’IA, il sera doté non seulement de son intelligence naturelle, mais d’une intelligence « augmentée » individuelle et collaborative. De quoi s’agit-il ?

Avec l’interconnexion de l’ensemble des êtres humains et de l’IA, notre intelligence individuelle comme collective va disposer de facultés exponentielles d’apprentissage et d’adaptation. Libéré des activités réalisées par l’intelligence artificielle, le cerveau humain va débloquer des « cases » inhibées par l’obligation de compétition : l’empathie, la générosité, la solidarité… Notre cerveau est loin d’avoir atteint son fonctionnement optimal ! De telles perspectives réduisent l’appréhension liée à une IA bientôt dotée d’imagination et d’anticipation autonomes telle que Google DeepMind.

 

Notre cerveau aurait d’ailleurs déjà évolué ?

Grâce à l’IRM fonctionnel un outil de résonance magnétique qui permet de voir « s’allumer » dans le cerveau les zones sollicitées , on constate que les Millennials ont une capacité d’intégration, de vision systémique ou globale, nettement supérieure à celle de leurs aînés. Cela résulte probablement de la nécessité de développer des stratégies pour gagner dans les jeux vidéo et de leur navigation permanente dans une arborescence complexe. Leurs capacités créatives sont accrues.

 

En remplaçant 30 % de ses collaborateurs par de l’IA, la firme japonaise Fukoku Mutual Life Insurance Co ne parie pas sur l’intelligence humaine augmentée ! Celle-ci n’en est-elle qu’à ses prémices ? Et quelle sera la prochaine étape pour le travail, ou plutôt l’emploi – et l’humanité en tant que groupe constitué ?

Ce mouvement est en effet en cours et les décideurs économiques ou politiques raisonnent toujours de façon binaire pour l’instant. Mais l’hyper-humanisme, qui découle de l’intelligence humaine augmentée, ne relève pas d’une simple adjonction d’outils : c’est un changement d’humanité ! La suite de notre évolution…

Face au déclin de l’emploi salarié au profit du travail indépendant, de nouvelles communautés collaboratives vont jouer un rôle majeur dans l’économie [comme AirBnB ou Uber, entre autres]. L’émergence de la blockchain va également transformer les processus de transactions financières, de cessions immobilières ou de distribution d’énergie, en supprimant les intermédiaires et les monopoles verticaux : à Brooklyn, des particuliers peuvent déjà acheter ou vendre de l’électricité directement, en toute sécurité !

 

Certains reprochent à Stephen Hawking, Elon Musk ou Bill Gates leurs propos alarmistes sur l’IA car elle ne relève pas de leur champ d’expertise. De la même façon, votre propre analyse ne repose-t-elle pas exclusivement sur une approche systémique et biologique ?  D’où, peut-être, une confiance excessive dans l’évolution et la force du vivant ?

Selon moi, ces génies dans leurs domaines respectifs manquent précisément de culture systémique et biologique ! Ils ne tiennent pas compte de l’interdépendance de nombreux paramètres et envisagent les progrès de l’intelligence artificielle et des robots comme exponentiels, en supposant les progrès du cerveau humain, linéaires.

Pourquoi une grande partie de l’humanité va-t-elle bénéficier des progrès de l’IA et de la robotique ? Parce que l’observation montre que la quasi-totalité de l’humanité a bénéficié du téléphone mobile, entre autres ! Pourtant, personne n’y croyait, en raison du décalage entre les ressources des différentes populations et d’une approche analytique, séquentielle du monde. À l’inverse, en adoptant une vision systémique comme celle d’Edgar Morin ou la mienne, on voit les tendances se réaliser, les convergences se faire, et l’on saisit la dynamique du changement. Changer d’ère ne signifie pas disparaître !

 

(1) Voir la biographie complète de Joël de Rosnay. Parmi ses ouvrages, citons Le Macroscope (Seuil, 1975, Prix de l’Académie des Sciences Morales et Politiques), L’homme symbiotique, Regards sur le troisième millénaire (Seuil, 1995), Je cherche à comprendre, Les codes cachés de la nature (Éd. Les Liens Qui Libèrent, 2016).

 

Crédit photo : DR

 

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