Frérot, ton management est giga cringe

« C’est cringe ». « C’est un PNJ ». « C’est carré ». Si ces expressions vous laissent perplexe, peut-être est-ce le signe qu’un fossé linguistique est en train de se creuser entre générations au travail. Les Alpha arrivant à petits pas sur le marché de l’emploi, développent déjà leur propre lexique. A l’instar de la Gen Z avant eux, leur langage est le résultat d’un véritable gloubi-boulga d’influences fabriqué en temps réel sur TikTok, dans des streams Twitch ou sur Discord. Mais derrière ce dialecte hybride, plus qu’une évolution linguistique se cache une vision de l’autorité qui se transforme. Et pendant que certains managers s’agrippent aux anciens modèles, une nouvelle génération impose, sans même s’en rendre compte, ses propres règles du jeu.
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Quand le pouvoir parlait un langage d’initiés
Il fut un temps où l’autorité se mesurait au nombre de syllabes et à la complexité du jargon employé dans une phrase. Où les cadres sup’ jonglaient avec des expressions 100% novlangue comme « synergies opérationnelles », « key learnings » ou « roadmap structurante », afin d’asseoir leur légitimité et de marquer leur appartenance à un cercle fermé de quelques privilégiés. Un vocabulaire sérieux, technique, parfois abscons, mais qui avait une fonction claire : marquer la distance. Un bon manager parlait comme un manager. Surtout pas comme ses collaborateurs.
Ça, c’était avant. Avant que la génération Z ne décrète que la crédibilité ne se joue plus sur le titre ou le champ lexical, mais sur la transparence, la pertinence et l’impact. Avant que nous n’entrions dans une ère où tout contenu est soumis au couperet impitoyable : validé ou scrollé. Avant que des TikTokeurs de 17 ans ne rassemblent des millions de personnes par leur seule capacité à tenir un discours clair et percutant. Avant que Greta Thunberg, avec un simple « How dare you ? », ne ringardise en trois mots des discours institutionnels trop longs, trop politiciens et trop indigestes.
Pour faire mouche auprès des jeunes générations, un message doit donc être rapide, direct, efficace. Un manager connecté, inspirant et engageant.
Autrement dit, un mail long, froid et formel ? « Cringe ».
Une réunion d’une heure à la place d’un Slack ou d’un vocal de 30 secondes ? « Gros flop ».
Un process de validation en 5 étapes pour un post LinkedIn ? « Trop de drama ».
Un manager distant, rigide et mou du genou ? « PNJ » (comprenez « Personnage Non-Joueur » de jeu vidéo, hors sujet et sans utilité).
C’est là que le langage devient un potentiel point de rupture. D’un côté, l’entreprise, encore engluée dans des courriels alambiqués et des réunions façon loto des banalités ou concours de monologues autocentrés. De l’autre, des jeunes qui ont grandi avec des formats courts, des mèmes qui expliquent mieux un concept que 10 rapports d’experts, et des punchlines qui résonnent plus qu’un plan stratégique en 92 slides. L’autorité ne s’impose plus, elle se prouve. Et si elle parle trop longuement pour ne rien dire ou s’exerce sans motif valable… elle est juste « pas quali », « dead », « claquée au sol ».
Le boss qui veut « parler djeuns » (et qui se vautre)
Face à cette mutation, il y a le manager qui tente une approche un chouïa kamikaze : parler la langue des nouvelles générations pour prouver qu’il est connecté. On le repère facilement. C’est celui qui lance un « c’est carré ? » en fin de réunion avec l’air d’avoir potassé « le langage de la Gen Z pour les nuls » trois minutes avant. Ou qui ponctue un mail d’un « PTDR, what a challenge ! », pensant établir une connivence avec ses équipes. Gênance assurée.
Le problème n’est pas tant d’utiliser ces expressions que de ne pas les maîtriser. Une langue n’est pas qu’un empilage de mots, c’est un code culturel, une façon de penser. Dire « giga stylé » avec le sérieux et l’intonation d’un dirigeant qui pense que Tik Tok est une danse électro pour ados, c’est s’exposer à une double peine : rater sa tentative de rapprochement et envoyer un signal d’inauthenticité avérée.
Le respect, ça se gagne… et ça se parle
Les Z et Alpha ne rejettent pas l’autorité en soi. Ils rejettent l’autorité qui ne se justifie pas. Celle qui demande du respect sans donner de raison de l’accorder. Celle qui parle pour remplir l’espace, sans jamais vraiment écouter. Celle qui lâche des phrases fake façon « nous sommes une grande famille » alors que son mantra inavoué (mais loin d’être secret) tient en quatre mots « Diviser pour mieux régner ».
En revanche, un manager qui sait se faire comprendre, va droit au but, ne surjoue pas une posture mais incarne un vrai leadership et fédère les équipes ? Lui capte l’attention car le pouvoir ne se décrète plus. Il se gagne.
Alors, plutôt que de forcer des « j’ai juré, c’est sus » ou des « wesh la mif » en réunion, mieux vaut sans doute veiller à parler avec impact, écouter avec sincérité et mériter chaque minute d’attention accordée.
Crédit photo : Image générée par l’IA (et retravaillée)