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Expérience candidat : une prise de conscience sans actions concrètes ? 

le 14 mars 2024
Expérience candidat : une prise de conscience sans actions concrètes ? 
Marc-Canisius Koffi
Marc-Canisius Koffi

Marc-Canisius Koffi a intégré l’équipe de SmartRecruiters en début d’année 2023 en tant que Vice-Président pour la région Sud de l’Europe, capitalisant sur une expérience solide de 17 années dans le domaine des technologies appliquées aux RH. À ce poste de responsabilité, Marc supervise la gestion et le développement de la région, couvrant la France,  le Benelux, L’Espagne et l’Italie. Enfin, il est passionné par l’impact que les nouvelles technologies peuvent avoir sur les métiers RH, particulièrement dans le domaine du recrutement.

Thomas Chardin

Thomas est expert des Ressources Humaines et du Marketing. Il accompagne depuis plus de 20 ans les DRH et leurs partenaires dans l’intégration du digital dans leur stratégie de marque (employeur, corporate, business). Il est par ailleurs spécialiste des technologies dédiées au management des RH, senior advisor de start-ups RH, conférencier, intervenant au CNAM et à l’Université Paris II Panthéon – Assas.

Dans un monde professionnel en constante évolution, l’expérience candidat émerge comme un pivot central dans la stratégie des entreprises pour attirer et retenir les meilleurs talents. Il est nécessaire de passer d’une approche centrée sur l’entreprise vers une expérience réellement orientée vers les candidats, marquée par la personnalisation, l’utilisation judicieuse des technologies digitales, et une ouverture plus grande vers les candidats dès les premiers stades du recrutement. De la cohérence entre la promesse de l’employeur et l’expérience réelle des candidats à l’intégration des talents non retenus, chaque question pose les jalons d’un futur du recrutement plus inclusif, efficace et humain. Entretien avec Marc-Canisius Koffi, Vice-Président Europe du Sud de Smart Recruiters, et Thomas Chardin, Dirigeant fondateur de Parlons RH, à l’occasion de la sortie du baromètre de l’expérience candidat vue par les recruteurs, réalisé par Smart Recruiters en partenariat avec Parlons RH.

Sur le papier, tout le monde s’accorde à dire qu’il faut se donner les moyens de recruter les meilleurs talents. Sur le terrain, où en sommes-nous vraiment de l’expérience candidat ?

M-C.K : Nous assistons à une vraie prise de conscience sur l’expérience candidat, et c’est un progrès. Toutefois, les entreprises doivent encore travailler à intégrer ces mécanismes dans leurs processus de recrutement pour véritablement optimiser l’attraction et la rétention des talents.

Premièrement, nous pouvons dire qu’une phase de rattrapage du retard est en cours au sein des entreprises. Elles commencent en effet à penser le parcours d’embauche du point de vue du candidat. Historiquement, l’expérience était dominée par le timing et les processus de l’entreprise avec assez peu d’empathie pour les enjeux des candidats. Aujourd’hui, cette prise de conscience s’opère, et nous assistons à une approche plus centrée sur le candidat.

Le second point est plus crucial et concerne la cohérence de la promesse de l’employeur avec le parcours et les contenus proposés. Aujourd’hui, seul 1 répondant sur 4 à notre baromètre se dit totalement sûr de la cohérence de sa promesse employeur avec l’expérience candidat. Le défi réside notamment dans la transition entre une présentation attrayante de l’entreprise sur les plateformes numériques et la réalité parfois austère des systèmes de gestion des candidatures (ATS), qui peuvent décevoir les candidats.

T.C : Il est fascinant de constater qu’il y a une quasi-unanimité parmi les répondants de notre baromètre sur l’importance cruciale du parcours candidat pour l’image et l’attractivité d’une entreprise. Et c’est tant mieux. Cela dit, ce consensus contraste fortement avec le faible pourcentage d’entreprises qui prennent des mesures concrètes pour évaluer et améliorer cette expérience. Seules 30 % ont indiqué mettre en place des procédures formelles pour mesurer l’expérience offerte aux candidats. C’est vraiment faible. Cette approche formelle est pourtant cruciale pour comprendre en profondeur les attentes des candidats, identifier les points de friction dans le processus de recrutement, et mettre en œuvre des améliorations ciblées.

Ces données sont d’ailleurs confortées par le baromètre de Parlons RH sur l’expérience collaborateur en général. Elles convergent et soulignent un défi majeur pour les entreprises : croire en l’importance du parcours candidat ne suffit pas. Il est impératif de passer à l’action, d’adopter une démarche proactive pour mesurer, évaluer, et améliorer en continu l’expérience des candidats dans le processus de recrutement. Dit plus directement, les DRH comme tous les professionnels du recrutement sont croyants mais insuffisamment pratiquants.

Je crois que 2024 doit être l’année de l’expérience candidat. On doit entrer dans l’âge du faire. Cela nécessite un engagement solide et une volonté de transformer la culture et les processus internes pour qu’enfin la promesse de la marque employeur se reflète véritablement dans chaque étape du parcours candidat et, plus important encore, dans le ressenti personnel de chaque candidat.

La révolution de l’expérience candidat n’en est qu’à ses débuts. Comment s’inspire-t-elle de la révolution digitale ?

M-C.K : La révolution de l’expérience candidat est indissociable de la révolution digitale. On constate que 72 % des entreprises dotées d’un espace recrutement permettent les candidatures via smartphone*. L’essor des applications a établi de nouveaux standards dans la présentation de l’information, l’interaction régulière et personnalisée, ainsi que la simplicité et la praticité des actions. Ces éléments issus du monde consumériste sont désormais attendus par les candidats, rendant leur adoption critique pour les entreprises.

Il faut voir cela comme un défi et une opportunité. Les entreprises sont, certes, contraintes de suivre ces tendances pour répondre aux attentes des candidats, mais chemin faisant elles capturent de précieuses données pour enrichir leurs stratégies de recrutement. Les sources d’inspiration les plus courantes sont les plateformes populaires comme TikTok, LinkedIn, WhatsApp et Instagram, pour le moment…

78 % des entreprises interrogées ont déclaré être dotées d’un espace web dédié au recrutement. Ces espaces répondent-ils vraiment aux attentes des candidats ?

T.C : Oui, pour la majorité d’entre-eux. Mais comme sur l’ensemble du marché RH qui est marqué par une forme d’extrême disparité, on trouve une très forte hétérogénéité de pratiques. On a tout de même des pratiques différentes, selon les types d’organisation. Par exemple, les grandes entreprises et les ETI permettent généralement de rechercher les postes disponibles et de candidater sur smartphone. C’est moins le cas pour les PME et les TPE. Ces dernières donnent en revanche la possibilité de postuler sans créer de compte.

Ces espaces offrent une vision bien élaborée et générale sur l’image de l’entreprise en tant qu’employeur, mais cette présentation s’écarte souvent des préoccupations directes des candidats. L’employeur recruteur est encore trop intéressé par une personne pour qu’elle candidate et pas assez intéressante pour elle. Il manque souvent des propos simples, étayés et prouvés sur les raisons de postuler (pourquoi nous rejoindre), les détails et la durée du processus de recrutement, la rémunération et les éventuels avantages s’y associant, la personnalisation dynamique du contenu, et les interactions directes et sans modération avec des futurs collègues potentiels.

On constate dans le baromètre que 58 % des entreprises n’orientent pas les candidats non retenus vers d’autres postes. Pourquoi et comment améliorer l’expérience des candidats non sélectionnés ?

M-C.K : Historiquement, dans une période de non-pénurie, les candidats non sélectionnés n’étaient pas considérés – on peut le comprendre – comme une priorité. Aujourd’hui, le contexte a radicalement changé. Avec la pénurie actuelle de main-d’œuvre, chaque candidat actif, passif, retenu ou non retenu, devient précieux. Ce sont tous des potentiels collaborateurs à recruter, fidéliser, voire des ambassadeurs ou des détracteurs en puissance de la marque employeur.

Pour améliorer l’expérience des candidats non sélectionnés, l’essentiel est de créer puis de maintenir une relation avec eux. Aujourd’hui, nous en sommes loin car seulement 11 % des entreprises proposent aux candidats de les intégrer à une communauté en les abonnant à une newsletter* par exemple. Pourtant, l’utilisation de technologies de type CRM (Candidate Relationship Management) permet de diffuser des contenus personnalisés aux candidats non retenus afin de maximiser les chances de les voir postuler à nouveau si une opportunité se présente.

Un autre aspect important est la gestion d’une base de données communément appelée vivier de talents. Les données recueillies avec le consentement des candidats peuvent être exploitées, pour identifier les profils les mieux adaptés aux besoins, surtout dans les domaines où la pénurie se fait sentir. La technique de “matching” à base d’intelligence artificielle facilite grandement cette démarche.

L’entreprise est-elle une forteresse trop bien gardée ?

T.C : L’expérience montre que partager sa culture d’entreprise, ses principes fondamentaux et son quotidien à travers les récits de ses salariés offre des avantages significatifs. L’authenticité des propos est souvent un gage de confiance pour les candidats. Il est pourtant surprenant de constater que, dans 92 % des cas, les candidats doivent attendre d’avoir soumis formellement leur candidature pour entrer en contact avec de potentiels futurs collègues*. Pire, dans 44 % des entreprises, cette rencontre ne se produit qu’après une embauche officielle. Il y a encore un peu de chemin à parcourir sur cet axe.

Cette prudence semble motivée par diverses raisons, comme la crainte d’investir du temps auprès de candidats qui ne rejoindront finalement pas l’équipe. Ou encore des préoccupations liées à la confidentialité et la réticence à laisser trop de personnes contribuer au processus de recrutement, comme autant d’interférences dans un processus que l’entreprise maîtrisait parfaitement.  On ne peut gagner la guerre des talents en utilisant les armes du passé et en continuant à recruter comme au siècle précédent.

Ces difficultés ne doivent pas empêcher les entreprises d’explorer des approches plus modernes, plus ouvertes et plus inclusives, y compris de leurs propres collaborateurs dans le processus de recrutement. En permettant aux candidats de s’immerger plus tôt dans l’environnement de travail et de rencontrer leurs potentiels futurs collègues, les entreprises non seulement améliorent l’expérience des candidats, mais également s’assurent d’un meilleur alignement des valeurs entre les salariés et l’organisation. Cela diminue le turn-over ultérieur. Et rappelons que la baisse du taux de turn-over est le premier levier d’efficacité du recrutement. 

Comment envisagez-vous l’expérience candidat dans les années à venir ?

M-C.K : Elle continuera d’évoluer vers des pratiques de recrutement qui auront tendance à équilibrer ou plutôt à privilégier les attentes des candidats par rapport à celles de l’entreprise. Cette évolution s’inscrit dans un contexte de pénurie de talents et de changements démographiques profonds dans les économies occidentales. Pour rester compétitives, les entreprises devront adopter une approche de design thinking, en se mettant à la place des candidats pour concevoir des parcours qui répondent mieux à leurs attentes.

La personnalisation des contenus aura aussi un rôle clé dans l’amélioration de l’expérience candidat. Les entreprises pourront ainsi capturer les centres d’intérêt des candidats pour leur communiquer des informations plus pertinentes, au bon moment et dans le format le plus adapté, s’inspirant des pratiques du e-commerce.

Par ailleurs, une approche plus globale et circulaire de l’expérience candidat est anticipée, faisant de chaque moment du quotidien une occasion de s’adresser aux candidats. Par exemple, seules 8 % des entreprises permettent aux candidats de contacter des collaborateurs en interne avant la candidature*. J’imagine, dans un futur proche, une interaction plus naturelle et plus rapide entre les candidats et une grande diversité d’interlocuteurs de l’entreprise, pourquoi pas hors des locaux et des canaux habituels.

T.C : Rappelons en premier lieu qu’une expérience candidat réussie repose sur 3 axes indissociables : la culture, celle de la prise en compte des perceptions des collaborateurs, les processus métier, quelles sont les étapes du parcours collaborateur, les solutions digitales utilisées pour structurer et partager ce processus. Chaque axe ne saurait être dissocié du précédent. En France, les entreprises doivent à mon avis progresser sur chaque axe.

Dans les années à venir, il est crucial de s’attaquer à des freins souvent sous-estimés pour humaniser le recrutement. D’abord, tuer l’exigence de la lettre de motivation. Cela allège le fardeau de la candidature pour les candidats et permet surtout une évaluation centrée sur des critères plus pertinents. Ensuite, garantir la précision des informations sur le contenu des postes permet aux candidats de mieux s’identifier aux opportunités adéquates, enrichissant ainsi l’adéquation entre les aspirations des candidats et les besoins de l’entreprise.

La transparence du processus de recrutement est également fondamentale. Offrir une vue claire sur les étapes à suivre peut réduire l’anxiété des candidats, les rendant plus confiants. Améliorer la qualité de l’expérience utilisateur sur les plateformes de recrutement rend chaque interaction plus intuitive et engageante, tandis que faciliter le contact direct avec l’entreprise permet un échange plus authentique et un soutien personnalisé.

En abordant ces aspects, l’objectif est de transformer l’expérience candidat en une démarche plus transparente, accessible et centrée sur l’humain, essentielle pour attirer et fidéliser dès aujourd’hui les talents de demain.

*Baromètre de l’expérience candidat, Smart Recruiters en partenariat avec Parlons RH (2024)

Crédit photo : Shutterstock / Branislav Nenin



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