CPF : comment les médias ont créé l’événement ?
Ils étaient tous prêts, ils étaient tous là, les médias grand public, le 5 janvier 2015, et même certains dès la veille, pour faire du compte personnel de formation (CPF) un sujet de première actualité. Mais comment créer l’événement à propos de l’entrée en vigueur d’un dispositif de financement de la formation. Et surtout de quelle manière se différencier de ses consœurs et confrères ? Leçon de créativité journalistique.
Sommaire
Placer des expressions chocs
Un “chamboulement” pour Delphine Bancaud dans 20 minutes, une “journée capitale” pour La Tribune, “une première” pour Dominique Perez dans L’Express, un “changement de paradigme” pour Derek Perrotte dans Les Echos… C’est un festival, auquel Le Parisien ne prend pas part, en parlant sobrement de “mise en service” du CPF.
Faire simple sur un dispositif complexe
En cinq intertitres de cinq paragraphes courts, le quotidien Métro réussit l’exploit de dresser les grandes lignes du compte personnel de formation. L’essentiel est dit :
- pour les salariés et les chômeurs,
- 150 heures de formation,
- heures de droit individuel à la formation (DIF) conservées pendant six ans,
- un catalogue des formations,
- pendant et en dehors des heures de travail.
Flirter avec la ligne jaune de l’info
Pour France 2, les stages cuisine “pour se faire plaisir (…) c’est fini” avec le CPF. Explications illustrées par des images de travailleurs en bleu de travail dans une usine : “désormais les cours seront choisis dans une liste établie par la branche professionnelle, des formations qui doivent être qualifiantes et répondre aux besoins du marché du travail”.
C’est oublier que le secteur de l’hôtellerie et de la restauration est un marché pénurique, et que les formations accessibles via le CPF seront, pour une partie, distinctes d’une branche à l’autre. Ce point, Philippe Duport dans sa chronique pour France Info, ne l’omet pas, indiquant que “150 heures suffisent pour apprendre à travailler dans la restauration collective”. Mais par contre, à l’inverse de ce que pourrait laisser croire la chronique, il n’y a pas que les formations menant à des diplômes qui sont accessibles via le CPF.
Parler de gros sous
Au journal de 20 heures de TF1, c’est en rappelant que “la formation professionnelle coûte très cher, 32 milliards d’euros par an et qu’elle n’est pas très efficace” qu’Anne-Claire Coudray lance le sujet diffusé le 4 janvier sur le remplacement du DIF par le CPF. Le Parisien évoque les projections qui indiquent que “si le CPF était utilisé par 5% des salariés, son coût serait de 5 à 6 milliards d’euros”.
Diffuser un sondage exclusif
Delphine Bancaud dans 20 minutes dévoile en exclusivité les chiffres du sondage Opinions Way réalisé pour l’Afpa : 76 % des actifs, et parmi eux 87 % des demandeurs d’emploi, n’ont jamais utilisé leur DIF. 51 % des sondés n’ont à ce jour jamais entendu parler du CPF… ou si l’on regarde le verre à moitié plein, 49% en ont déjà entendu parler.
Délivrer des conseils de pro
Dans L’Express, le sujet du compte personnel de formation est suivi et commenté à la loupe depuis de longs mois. Le D-Day est l’occasion de capitaliser sur cette expertise pour se positionner en conseiller avisé. Et l’on apprend que les premières heures 100 % CPF ne seront pas comptabilisées avant mars 2016, mais que des abondements seront possibles pour aller au-delà des 150 heures prévues par le plafond. On apprend également que la première liste de formations accessibles via le CPF va s’étoffer en 2015.
Soulever les questions qui fâchent
Première flèche lancée par Nathalie Birchem dans La Croix, la probable insuffisance des 150 heures de CPF pour “accéder à des formations qualifiantes qui demandent plutôt 400 heures”. Le pavé dans la mare, c’est Le Parisien qui l’écrit noir sur blanc. Pour accumuler des droits CPF, les demandeurs d’emploi “devront retrouver un travail”. L’acquisition d’heures CPF ne se déclenche pas avec la création du compte en ligne. C’est le travail salarié qui alimente les compteurs. Derek Perrote dans Les Echos questionne également les failles d’un dispositif “[jugé séduisant sur le papier] par l’essentiel des acteurs du secteur”.
N’oublier aucune personne concernée…
Après le paragraphe sur le “nouveau compte portable pour le salarié”, Derek Perrote dans Les Echos n’oublie tout naturellement pas de détailler les impacts pour l’entreprise côté employeurs. BFM Business vise aussi juste en s’intéressant à ceux qui ont plusieurs employeurs, comme les salariés intérimaires et pour lesquels le dispositif va faciliter l’accès administratif à la formation.
… ou impliquer tout le monde, voire trop
À l’inverse, certains articles prennent quelques libertés avec la lettre du dispositif. On peut lire “chaque Français” ici, ou encore “les actifs” là. Alors que l’acquisition d’heures ne peut avoir lieu avant 16 ans et que les travailleurs non-salariés ainsi que les fonctionnaires sont hors dispositif. Ce qui n’empêche cependant pas ces derniers de se créer un compte, grâce à leur numéro de sécurité sociale, sur le site moncompteformation.gouv.fr qui restera, jusqu’à nouvel ordre, entièrement vide.
Faire vivre l’actu en direct
Mais c’est la presse professionnelle, sur son terrain de prédilection, qui coiffe au poteau ses confrères de la presse généraliste avec des formats “live” pour l’occasion. Dès le 5 janvier 2015, Manuel Jardinaud pour Liaisons sociales magazines et Cécile Maillard dans L’Usine Nouvelle, racontent avec force détails comment ils se sont connectés et ont réussi la toute première étape : créer leur propre compte personnel de formation.
Quel sera le média qui va maintenant faire vivre la toute première formation suivie via le compte personnel de formation ? Le défi est lancé.
Retrouvez l’ensemble des sources citées dans ce billet :
- “Compte personnel de formation : comment je me suis connecté”, 5 janvier 2015, Manuel Jardinaud, Liaisons sociales magazines
- “J’ai testé pour vous : créer mon compte personnel de formation”, 5 janvier 2015, Cécile Maillard, L’Usine Nouvelle
- “Mise en service du compte personnel de formation, qui remplace le DIF”, 5 janvier 2015, Le Parisien
- “Le DIF remplace le CPF : qu’est-ce que ça change pour vous ?”, 5 janvier 2015, Métro
- “Le compte personnel de formation entre en vigueur”, 5 janvier 2015, Derek Perotte, Les Echos
- “Le compte personnel de formation arrive : 5 conseils pour en profiter”, 5 janvier 2015, Dominique Perez, L’Express
- “Le compte personnel de formation va-t-il révolutionner la carrière des Français ?”, 5 janvier 2015, Delphine Bancaud, 20 minutes
- “Formation professionnelle : le compte personnel en service”, 5 janvier 2015, La Tribune
- “Lancement du compte personnel de formation”, 5 janvier 2015, Nathalie Birchem, La Croix
- “Le compte personnel de formation expliqué en 2 minutes”, 4 janvier 2015, TF1 (Vidéo).
- “Le compte personnel de formation est lancé”, 5 janvier 2015, C. Méral, France 2 (Vidéo)
- “Mon compte personnel formation : comment ça marche ?”, 5 janvier 2015, Julie Guesdon, France bleu
- “Formation professionnelle : mode d’emploi”, 6 janvier 2015, Philippe Duport, France Info (Audio)
- “Le compte personnel de formation entre en service”, 5 janvier 2015, Y.D, BFM Business (Vidéo).
Crédit photo : © Frédéric Massard – Fotolia
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