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Innovation digitale : attention à l’éclatement de la bulle start-up !

le 09 avril 2018
Innovation digitale : attention à l’éclatement de la bulle start-up !

Dans l’inconscient collectif, la RH (idéalisée) et le digital (caricaturé) tendraient plutôt à s’opposer. D’un côté, l’intelligence, l’empathie, la proximité, le face-à-face ; de l’autre, l’artificiel, le binaire, l’automatique, le technologique froid, le réseau désincarné. Tel un oxymore, l’innovation RH, c’est ce qui peut réconcilier ces contraires en mettant le numérique au service de l’humain dans l’entreprise. Le défi est stimulant et a suscité l’intérêt et l’enthousiasme de nombre d’entrepreneurs. Ces dernières années, l’essor du digital s’est donc accompagné d’une frénésie de création de start-up RH. Mais jusqu’où ira-t-on ? Ce mouvement ne risque-t-il pas de produire l’effet inverse de celui escompté : une aversion des DRH pour l’innovation ?

Que cent fleurs RH s’épanouissent

Depuis quelques années, nous assistons à un formidable engouement pour les start-up et l’innovation RH. La France serait devenue une «start-up nation» et la fonction RH le terrain de jeu préféré d’un nombre grandissant de jeunes pousses. Le site de #rmsnews en dénombre ainsi plus de 600 dans la sphère des ressources humaines et du management.
Selon le cabinet de conseil en stratégie dédié aux RH, Akoya Consulting, le nombre d’opérations autour de la HR Tech a bondi de 175 % ces cinq dernières années. En 2016, les investissements mondiaux dans l’innovation RH ont d’ailleurs atteint plus de 2 milliards d’euros, et ce pour la deuxième année consécutive.
Qu’on se le dise donc : l’innovation RH est en plein boom en France comme dans le monde !
Comme en témoigne d’ailleurs l’incroyable succès du Lab RH. Lancé il y a deux ans, il compte plus de 400 start-up RH adhérentes animées par treize collaborateurs (le bureau permanent est composé de six CDI, trois doctorants en CDD, trois free-lance et un stagiaire) qui génèrent, en propre, un chiffre d’affaires de 1,1 million d’euros en 2017. Impressionnant !

Start-up RH : dissection et typologie du concept

Mais de quoi parle-t-on ? Qu’est-ce qu’une start-up RH ?
Pour commencer, la notion si répandue de «start-up» ne répond pas à une définition claire et précise. Il n’existe pas de catégorie « start-up » dans la nomenclature de l’INSEE, comme il en existe pour la PME ou de l’ETI (entreprise de taille intermédiaire). Il n’y a pas non plus de statut juridique de la start-up (comme la SAS ou la SARL, par exemple). Je propose donc de définir une start-up RH comme suit :

  • start : c’est une entreprise récente, créée il y a moins de cinq ans ;
  • up : c’est une entreprise promise à une très forte croissance ;
  • RH : c’est une entreprise qui traite de ce périmètre fonctionnel qui nous est cher, celui des RH, lui aussi mal circonscrit.

On peut répartir les start-up de la HR Tech en quatre grands segments :

  1. le recrutement,
  2. la formation – dans laquelle s’insère une partie de la EdTech (technologie de l’éducation),
  3. la QVT et le bien-être – dont fait partie la HappyTech,
  4. le «talent management» (mobilité, carrières, évaluation, etc.) – Nous pouvons noter la quasi-absence de start-up liées aux activités technico-administratives, pourtant essentielles au bon fonctionnement de la DRH.

Une start-up RH est donc une jeune entreprise innovante dans le secteur des technologies RH, dotée d’un fort potentiel de croissance lié à son modèle de développement économique.

Si l’on excepte le recrutement, les RH sont longtemps restées plutôt à l’écart du mouvement des start-up, tel qu’il est né avec l’essor d’Internet à la fin des années 1990. Le mouvement des start-up RH finira-t-il comme la bulle des «dot-com» en 2001 ?

De la Silicon Valley à la vallée de la Mort

Sur dix start-up RH, on peut dire que six feront faillite, trois vivoteront et pivoteront avant de faire faillite, et une seule survivra à long terme. Une seule !

Les statistiques sont malheureusement assez homogènes et constantes sur le sujet : le taux de survie des start-up ne s’élève qu’à 10%. Pas très surprenant quand on sait que 74 % d’entre elles affichent un excédent brut d’exploitation en perte. Du Capitole à la roche tarpéienne, de la start-up à la start-down, il n’y a qu’un pas, celui d’une maîtrise défaillante de son besoin en fonds de roulement. Le marché RH traverse donc un eldorado qui risque fort de se transformer prochainement en vallée de larmes.
Il va y avoir du sang sur les murs de l’innovation, des pleurs et des grincements de dents.

Conception hyperdarwinienne ? Mais n’est-il pas dans la nature de l’entrepreneur d’accepter l’échec pour mieux rebondir ? N’est-ce pas également son destin ? Les start-up, comme toutes les entreprises, sont soumises à la même loi de sélection naturelle, celle, implacable, de l’économie de marché. Regardons plutôt l’impact de cette destruction non créatrice sur la fonction RH elle-même.

L’amour du risque en RH

Si l’impulsion du mouvement digital est d’abord technologique, les transformations à l’œuvre dans nos organisations touchent à nos modèles relationnels, organisationnels, managériaux, à nos manières d’échanger, de collaborer, de coopérer. Parce que la transformation digitale est d’abord une transformation culturelle et humaine, c’est bien aux professionnels des RH qu’il appartient de la porter et de l’accompagner.

Or, depuis quarante ans, on demande principalement à la fonction RH d’être la garante de la licéité du lien de subordination et donc, d’assurer une maîtrise complète du risque social. Les DRH sont «risquophobes » par nature et par histoire.

Pourtant, la transformation digitale impose un bouleversement culturel pour la profession :

  • de gardiens du temple des règles et de l’histoire, les professionnels RH doivent aussi devenir gardiens de phare et donner la direction ;
  • de régulateurs a posteriori des processus, ils doivent devenir moteurs a priori de la communauté de talents.

Le changement de posture est total : d’averse aux risques, il faut devenir «innovatophile», développer une appétence pour le risque et en tirer parti, voire profit.

Pour la fonction RH, l’expérimentation et l’innovation n’apparaissent pas forcément comme des voies rassurantes, mais il n’en est pas d’autre. Les DRH doivent apprendre à les apprivoiser, tester, lancer des initiatives, se tromper et recommencer.

Un risque réel de retour de bâton

Avec cette hécatombe programmée de start-up, l’écosystème RH risque de se figer.

Certains DRH ont répondu à l’injonction du digital en misant tout sur telle ou telle jeune pousse disruptive dont le pitch semblait apporter fraîcheur, énergie et une dose de rêve bienvenue. Au regard des statistiques précédentes, la probabilité est forte (neuf chances sur dix) de voir l’expédition tourner en déroute. Dans ce contexte, quel professionnel RH (re)prendrait le risque de s’engager dans une nouvelle aventure start-up RH en y (ré)engageant toute son organisation ? Chat échaudé craint l’eau tiède ! Et la belle dynamique d’innovation RH récemment commencée risque fort de se heurter à la réalité du marché.

Les arbres ne montent pas jusqu’au ciel et le gâteau de la HR Tech n’est pas infini. Pac-CXP Group estime d’ailleurs le marché français total du software et des services applicatifs ressources humaines à 2,2 milliards d’euros en 2017 (en imaginant 500 start-up RH réalisant 3 millions d’euros de chiffres d’affaires chacune pour survivre, il ne resterait aux grands éditeurs historiques que 700 millions d’euros de parts de gâteau à se partager. Impensable, au moins à moyen terme).

Au-delà des concours de pitch et des plus beaux storytellings, il convient de mettre en place une vraie démarche de sélection, objective, technique et fonctionnelle des start-up RH. Il ne s’agit pas de s’équiper des outils technologiques les plus clinquants, mais bien de conduire – et même de devancer – la transformation culturelle de l’entreprise, tant dans ses dimensions organisationnelles qu’humaines. Et ça, ça prend du temps…

Le succès d’une transformation digitale RH tient bien en trois lettres : «DRH». Le H pour l’humain, bien entendu, qui doit rester la finalité de la fonction RH ; le R pour la relation et la qualité du lien social ; le D, enfin, pour la direction, celle qui donne son sens à l’action. Ce D, c’est aussi celui de la dynamique, mais celle-ci ne se décrète pas, même par un consultant averti du marché. À chacun d’entre nous, au sein de son entreprise, de l’initier, de la faire grandir, de la mettre en œuvre, de la partager, d’en être l’infatigable moteur. Innovation digitale et innovation RH doivent participer in fine du même combat : replacer l’humain au centre de l’avenir.

NDLR : cet article a été diffusé initialement dans la revue Personnel N°584 de Janvier 2018 de l’ANDRH. Nous vous invitons à consulter les actualités en ligne de la revue ici



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