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Raison d’être, raison d’y être, raison d’en être®

le 16 janvier 2020
La raison d'être en entreprise vue par Jean Watin Augouard

Définir la raison d’être de l’entreprise, l’un des pivots de la loi Pacte, suffit-il à lui donner vie ? N’appelle-t-elle pas une raison d’y être et surtout d’en être des salariés qui l’animent et contribuent à sa pérennité ?

 

Genèse de la raison d’être de l’entreprise

« On ne motive pas les hommes par des discours mais en respectant leurs aspirations profondes ». Quatre ans après Mai 68, Antoine Riboud alertait la fine fleur du patronat français réunie aux Assises nationales du Centre national du patronat Français (CNPF), le 25 octobre 1972 à Marseille. Il entendait conjuguer « croissance et qualité de vie » dans le prolongement de son « double projet économique et social » promu dès 1968 chez BSN (futur Danone en 1994).

La même année, le rapport Meadows, The Limits To Growth, prônait la décroissance. Visionnaire, le P.D.G. de BSN posait les bases de la future responsabilité sociétale des entreprises (RSE) qui ajoutera la dimension environnementale au diptyque. La quête de sens va irriguer, innerver progressivement la société. Le temps de l’incubation sera long qui rendra enfin caduque le mantra de Milton Friedmann selon lequel « la responsabilité sociétale de l’entreprise est d’accroître ses profits pour ses actionnaires », « the business of business is business »[1].

 

Changement de paradigme

« L’entreprise doit changer le monde », prévient Jean-Marc Borello, président du groupe SOS, car « elle est le meilleur outil d’émancipation individuelle et d’amélioration collective » [2]. Pascal Demurger, directeur général de la Maif, élargit l’horizon de l’entreprise à sa dimension politique. [3] Il légitime, par sa réflexion, le nouveau pacte social inscrit dans la loi Pacte (Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises, 2019). Rappelons que par la modification de deux articles du Code civil et du Code de commerce, le statut de l’entreprise est radicalement transformé. Pour la première fois, on lui demande de penser sa place et son rôle dans la société ! Désormais, elle doit prendre en compte dans sa stratégie son « intérêt élargi », peut définir sa « raison d’être » ou sa finalité, voir, si elle le souhaite, devenir entreprise « à mission ». C’en est fini de l’action néfaste des actionnaires « activistes » qui, par leur harcèlement financier, spéculaient sur les profits et contrariaient leurs usages autres qu’actionnarials.

Paraphrasant Michel Crozier [4], prévenons que la raison d’être de l’entreprise ne se décide pas par décret. Non plus que sa mission. Une chose est de la définir, une autre de la déployer. Elle s’origine dans la vocation du fondateur/trice qui l’inscrit dans sa singularité et s’accomplit dans la durée par le travail des successeurs, salariés. Sa force réside dans sa plasticité, sa faculté d’être en résonnance avec les temps d’aujourd’hui et de demain [5]. Et d’être toujours incarnée à tous les niveaux, fonctions de l’entreprise car il n’est de raison d’être de celle-ci sans raison d’y être des salariés, par leur compétence et surtout d’en être, par leur en-gagement, étymologiquement « l’action de mettre en gage », ici l’adhésion à un projet, qui s’exprime par la motivation, la fierté, la fidélité, la loyauté, la sincérité, la résilience…

Tous les salariés ne sont pas égaux devant l’engagement. Certains n’ont pas le choix de leur métier qu’ils subissent. D’autres sont dans la peur, la survie : ils ont un emploi mais ne le lâchent pas même s’il est aux antipodes de leur raison d’être (ou vocation) car ce n’est pas le moment de le quitter, aux prises qu’ils sont avec des contraintes financières, ils ne veulent pas risquer… Il en est qui ne demandent rien, sont bien dans leur zone de confort ; ils sont satisfaits. Quand la satisfaction est de l’ordre du passif, la motivation, elle, relève de l’actif. D’autres encore sont alignés avec leur métier, ils sont motivés voir engagés quand leur raison d’être coïncide, est en congruence avec celle de l’entreprise.

Ici, engagement vaut adhésion aux valeurs et objectifs de l’entreprise mais ne vaut pas allégeance, soumission, dévotion, voire asservissement. Enfin, il est des salariés en questionnement sur leur raison d’être qui les conduits à constater que leur travail ne correspond plus à ce qu’ils souhaitent, souffrent d’un manque de reconnaissance, de confiance, de congruence entre la raison d’être de l’entreprise, ses valeurs et les leurs. La raison d’être de l’entreprise ne peut rien face au risque de désengagement de ses salariés. Aussi bien l’entreprise se doit de devenir chercheuse d’âmes plus tôt que de têtes. Il en va de sa pérennité assurée par le vivre et agir ensemble pour une cause commune [6].

 

L’entreprise du 5e type

La raison d’en être est au cœur de la révolution entrepreneuriale de l’entreprise. L’ère 1.0 (mécanisation) a été celle des machines hydrauliques et de la vapeur. L’ère 2.0 (production de masse) est née avec l’énergie électrique et l’ère 3.0, avec l’ordinateur (automation et informatique). L’ère 4.0 est celle de l’interconnexion généralisée des machines, des méthodes de gestion et des objets, celle de l’automatisation encore plus poussée des processus sur fond d’intelligence artificielle [7]. A quand l’ère 5.0, celle de l’interconnexion avec et par les hommes au sein de l’entreprise du 5e type ?

 

[1] New York Times Magazine, 13 septembre 1970.

[2] L’entreprise doit changer le monde, débats publics, p.49, 2019.

[3] Pascal Demurger, L’entreprise du XXIème siècle sera politique ou ne sera plus, L’aube, 2019.

[4] On ne change pas la société par décret, Grasset, 1979.

[5] Danone : « One Planet, one Health »;  Nestlé : “good food good life” ; Bonduelle : “la nature, notre futur” ; Michelin : “offrir à chacun une meilleure façon d’avancer…

[6] De quoi la marque employeur est-elle le nom ? MagRH, n°7 septembre 2019

[7] ABB_ROBOTICS_JNER_2019.

 



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