Manage-moi ou je te quitte !
Déjà enterré le management ? Pas si sûr. Bousculé par contre, c’est certain. Fini le management « à la papa ». L’encadrement doit faire la preuve de sa valeur ajoutée et en premier lieu auprès de ses équipes. Loin de prôner la disparition du management, la nouvelle génération des Millennials en réclame plutôt davantage. Mais encore doit-il faire sens, sans quoi ils se mettent facilement en quête d’un manager à leur mesure. Partage d’expériences et de bonnes pratiques sur le développement des talents par Isabelle Calvez (Carrefour France), Sonia Bonnet (Orange) et David Yana (Google France) lors de la 6e convention annuelle de la formation et du développement des talents organisée le 15 octobre 2015 par le groupe RH& M.
Par ce cri du cœur « manage-moi ou je te quitte », c’est bel et bien une injonction positive que les Millenials, cette population née entre 1980 et 2000 décrite dans cet article de ZDNet, formulent à l’égard de leurs managers. Considérer les nouvelles recrues comme instables, car semblant ne pas s’investir dans l’entreprise relève d’une analyse bien trop rapide. Le fait de changer de travail, comme on zappe d’une vidéo à l’autre, est motivé par une recherche profonde de sens qui bouscule les modèles de management en place, la gestion des talents et le bien-être au travail.
« On manage aujourd’hui par ce qui anime les personnes (…) le management sera collaboratif ou ne sera pas ». Patrick Margron, responsable du pôle développement RH @Veolia.
« Le management par objectifs est bel et bien caduc, attaque sans détour Patrick Margron, responsable du pôle développement RH du groupe Veolia Environnement. On manage aujourd’hui par ce qui anime les personnes. Un collaborateur ne quitte pas une entreprise de son propre gré parce qu’il n’a pas atteint ses objectifs. Il quitte avant tout un manager et la relation qu’il a avec ce dernier. Dans le contexte de transformation rapide des modèles économiques comme des organisations, le management sera désormais collaboratif ou ne sera pas ». Au-delà des mots, comment mettre en œuvre de manière opérationnelle cette culture du partage, de la coopération et du feedback ?
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Sommaire
Manager son équipe comme l’on souhaite être managé
« Les jeunes managers, qui suivent les parcours des hauts potentiels, ont intégré le fait qu’ils doivent être choisis par leur équipe et reconnus pour leur capacité à développer chacun de ses membres, constate Isabelle Calvez, DRH de Carrefour France. Par effet de ricochet, ils ne supportent plus d’être eux-mêmes mal managés… et ils le disent. Là où la génération précédente rongeait son frein en attendant que la situation s’éclaircisse, cette nouvelle génération de managers pose clairement des limites. Ils n’hésitent pas à se mettre en quête, quitte à changer d’entreprise, d’un manager choisi pour sa capacité à embarquer son équipe afin d’en tirer le meilleur tant sur un plan individuel que collectif ».
« Les jeunes managers ne supportent plus d’être eux-mêmes mal managés. Et ils le disent ». Isabelle Calvez, DRH @CarrefourFrance.
« C’est toute la chaîne de management qui est impactée, jusqu’à la façon d’évaluer les managers. Il est fréquent de demander aux directeurs de magasin ou aux chefs de rayon de mettre à disposition leurs ressources en personnel pour faire face à une charge exceptionnelle d’un collègue. Encore faut-il que cette capacité à mutualiser soit valorisée et que l’on sorte d’une politique de bonus centrée uniquement sur son périmètre. L’objectif est d’aller jusqu’au bout de la transversalité et qu’elle soit incarnée en premier lieu par les dirigeants. Une nouvelle approche des ressources, dont le manager n’est plus le propriétaire, doit s’accompagner d’une transformation des attentes à son propre égard. C’est une réinvention du management à tous les étages qui est en train de se jouer. »
Prendre en main ses compétences et son parcours
« Le manager n’est plus aujourd’hui la personne la plus pertinente pour identifier les compétences de son équipe, n’hésite pas à déclarer Sonia Bonnet, directrice anticipation compétences pour le groupe Orange. Le véritable sachant, c’est le salarié. La ligne managériale n’a pas de visibilité sur ce que le collaborateur a fait auparavant ni sur les compétences qu’il exerce en dehors de l’entreprise dans le monde associatif ou encore sur ses envies profondes d’évolution. Quel que soit l’outil RH déployé pour consolider ces informations, il est souvent peu efficient pour sourcer rapidement des compétences en interne lorsqu’il s’agit de constituer en un temps record une équipe projet dans tel ou tel pays. Il n’est d’ailleurs plus rare pour les managers de consulter les profils des collaborateurs sur les réseaux sociaux professionnels externes pour mobiliser des compétences internes à l’entreprise. »
« La mesure de l’appétence est essentielle pour réussir à mobiliser des ressources internes qui ne demandent qu’à l’être”. Sonia Bonnet, directrice anticipation compétences pour le groupe @orange.
« Pour avoir une image instantanée du vivier de compétences, parfois dormantes, nous avons proposé à 65 000 salariés du groupe Orange dans 23 pays de répondre à 4 questions sur leur approche du big data. La décision de répondre à ces questions était libre, l’application disponible sur smartphone et l’analyse des réponses déconnectée du métier actuel de la personne. En deux jours, nous avons pu détecter et localiser géographiquement les compétences recherchées. Le plus important, en choisissant une participation proactive à cette cartographie, est de repérer qui a levé le doigt pour dire “j’ai ces compétences” et “je veux participer”. Cette mesure de l’appétence est aujourd’hui essentielle pour réussir à mobiliser des ressources internes qui ne demandent qu’à l’être, et que les outils RH traditionnels peinent à identifier ou à solliciter à bon escient. »
Cultiver l’art de donner et de recevoir du feedback
« Google a la particularité d’avoir été créé avec un modèle hiérarchique très plat. C’est le collaborateur, et non le manager, qui est au centre de l’organisation et des attentions, expose David Yana, HR director de Google France. Le rôle du manager est donc tout naturellement d’accompagner le collaborateur bien plus que de le diriger. Le feedback mutuel du collaborateur au manager et réciproquement tient une place prépondérante qui vise à éviter les surprises lors des temps formalisés d’évaluation.
« Pour garder l’esprit start-up, il est crucial de montrer que prendre des risques est non seulement possible, mais encouragé ». David Yana HR Director de @GoogleFrance.
L’approche mise en œuvre chez Google France repose sur plusieurs fondamentaux :
- Doser entre évaluations à court et moyen terme
Nous encourageons d’un côté le feedback permanent entre collègues et avec les managers. Nous institutionnalisons de l’autre des rendez-vous formalisés pour s’évaluer mutuellement plusieurs fois par an. Pour permettre la prise de recul, nous traçons les réalisations individuelles et collectives afin de pouvoir porter un regard factuel sur la performance. Un entretien à chaud, sans avoir recours à cet historique, éluderait vraisemblablement une part des projets réalisés en se focalisant sur les seules interactions récentes.
- Donner la parole aux pairs pour évaluer
Lors des temps d’évaluation formalisés, nous appliquons une vision holistique de la performance en y associant le plus grand nombre de personnes. Des collaborateurs ayant travaillé sur un même projet sont sollicités pour donner leurs feedbacks sur la façon de travailler de la personne évaluée. L’avis des clients internes à l’entreprise a également toute sa place dans l’évaluation, qui n’est pas la chasse gardée du manager.
- Célébrer les réussites collectives
Nous avons également installé, indépendamment des processus d’évaluation, la possibilité pour tout collaborateur de formaliser un merci à l’un de ses pairs. Cette marque symbolique est accompagnée d’une gratification de 100 euros. Ce montant est distribuable par chaque collaborateur jusqu’à trois fois par trimestre et sans aucune justification. Cette initiative encourage la transversalité, crée du lien et ancre la culture du remerciement positif. Se poser la question « qu’est-ce que l’on a réalisé de bien ensemble ces derniers mois ? » devient un réflexe qui consolide la vision collective du travail accompli.
- Encourager la prise de risques
Notre modèle économique nous enjoint à rester innovants et créatifs. Or pour innover, il faut se sentir en sécurité pour le faire. Pour garder cet esprit start-up, il est crucial de montrer que prendre des risques est non seulement possible, mais encouragé. On a le droit de se tromper et l’on ne sera pas sanctionné pour cela. Montrer ses faiblesses tout autant que ses forces est une posture managériale clé. Elle est incarnée par Larry Page lui-même, le CEO et co-fondateur de Google, qui rend public son baromètre de performance réalisé à partir du feedback de ses principaux collaborateurs.
- Imposer la déconnexion
Le modèle d’organisation de Google, s’il laisse beaucoup de place aux initiatives individuelles, n’est pas sans risque : celui, notamment, qu’un collaborateur se retrouve rivé en permanence à son activité professionnelle. Cette liberté de travailler quand on veut, d’où l’on veut, peut nuire in fine à l’efficacité individuelle et collective. Nous, RH et managers, avons la mission de nous assurer que personne ne se mette en danger. Pour un réel équilibre vie personnelle/vie professionnelle, le départ en congé doit, par exemple, s’accompagner d’une subsidiarité opérationnelle sur le suivi des projets en cours.
- Concilier fonction de manager et expertise
Nous sommes soucieux, pour finir, que les managers conservent des missions opérationnelles et ne se retrouvent pas dans la posture du « command and control ». Ne pas être une caisse d’enregistrement qui comptabilise le travail des autres est vécu comme salutaire par les managers eux-mêmes. Par souci d’employabilité, ils souhaitent continuer à développer leurs compétences autres que celle du management. Cette exigence opérationnelle sur des thématiques en constante évolution est indispensable pour se positionner comme une source d’autorité et de décision respectée dans un monde d’incertitudes. »
Le constat est partagé par les intervenants comme les participants de cette journée. Il n’est plus optionnel mais nécessaire de prendre la mesure de l’impulsion donnée par les Millennials aux nouvelles façons de penser le management et le développement des talents. L’heure est aux collaborateurs qui prennent l’initiative de se déclarer compétents et donc de se faire remarquer par les leaders en charge d’embarquer des équipes capables d’innover et de performer. Des communautés d’échanges se constituent en temps réel pour accompagner le déploiement de projets ou monter en compétences collectivement. La performance se vit davantage de manière collective et échanger sur la façon de mieux travailler ensemble devient naturel. Loin de fuir le management, la nouvelle génération le réinvente au service de projets d’entreprise qui répondent à leurs aspirations d’épanouissement tant professionnel que personnel.
La convention de la formation et du développement des talents est un événement de l’Observatoire Global Talentdu groupe RH& M. L’objectif de ces journées de formation est de comprendre et d’analyser les tendances, ainsi que de partager ses pratiques pour anticiper les transformations à l’œuvre dans le domaine de la gestion des talents.
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Crédits photos : Philippe Jacob © Groupe RH&M
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