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Enquêtes internes : avez-vous pensé aux enquêteurs privés ?

le 23 avril 2024
Enquêtes internes : avez-vous pensé aux enquêteurs privés ?

Le harcèlement au travail constitue une problématique qui devrait être prioritaire dans l’agenda des dirigeants d’entreprises. C’est non seulement un enjeu social, de sécurité, mais aussi un enjeu performance, de fidélisation et de réputation ! S’il s’agit d’un sujet d’actualité préoccupant, les salariés ne se sont pas encore pleinement saisis des possibilités d’alerte et redoutent parfois les enquêtes internes diligentées, pourtant censées les protéger. Quel est l’objectif de ces enquêtes ? Qui en sont les acteurs ? Et en quoi l’intervention d’un enquêteur privé peut-elle s’avérer bénéfique, aux salariés et à l’entreprise ?

Un contexte largement favorable au développement des enquêtes internes

Un arsenal législatif renforcé au fil du temps

Depuis l’apparition du concept en 19761, popularisé en France notamment par Marie-France HIRIGOYEN avec son premier ouvrage publié en 19982, le harcèlement au travail est passé d’un sujet quasi inexistant à un sujet reconnu juridiquement (voir à ce propos les nombreux textes législatifs3, ANI de 20104), amplement débattu sur les réseaux sociaux et dans les médias.

L’arsenal législatif adopté vise à protéger les salariés victimes de comportements harcelants -ainsi que les lanceurs d’alerte-, et à responsabiliser les employeurs dans la lutte contre le harcèlement. Rappelons que l’employeur, lié par son obligation d‘assurer la santé physique et mentale des salariés5 et plus particulièrement par son obligation de prévention du harcèlement moral6 est tenu de diligenter une enquête interne, dès lors qu’il y a une suspicion (un tant soit peu étayée) de harcèlement. Sa responsabilité pénale peut être engagée.

Les faits et gestes des entreprises sous le feu des projecteurs

Parallèlement à la législation, on observe une exigence accrue de transparence de la part des entreprises, avec des enjeux réputationnels forts liés à la libération progressive de la parole des salariés, d’abord via les sites de notation d’entreprise apparus au début des années 2000, puis sur les réseaux sociaux. Plus récemment encore, la création de comptes anonymes Instagram #Balance7 en 2020 (Balance ta start-up, Balance ton Agency, etc.) a permis de prendre conscience de l’étendue des violences au travail.

Et pourtant : les chiffres alarmants de la santé mentale au travail

Force est de constater que le phénomène de harcèlement reste un vrai sujet d’actualité : les études se suivent et se ressemblent8, avec un constat récurrent : la dégradation continue de la santé mentale des salariés. La pandémie de la Covid et le développement du télétravail auraient d’ailleurs accentué le phénomène. 

 « Près d’une personne sur quatre (23 %) serait identifiée comme souffrant d’anxiété, de stress et de dépression sévère, voire extrêmement sévère », selon l’Institut Ipsos, dans le dernier « Mind Health Report »9, état des lieux de la santé mentale. Si les causes sont bien entendu multifactorielles, le harcèlement ressenti est souvent à l’origine du mal-être au travail.

On pourrait ainsi s’attendre à une explosion du nombre de signalements, favorisée par l’arsenal législatif et la protection accrue des salariés lanceurs d’alerte. En réalité, peu de salariés osent parler : selon le dernier baromètre Empreinte Humaine – OpinionWay10, seuls 2 salariés sur 10 auraient déjà sollicité un acteur interne pour évoquer leur situation et 40% d’entre eux n’auraient pas été satisfaits de la réponse obtenue : remise en question de leur parole, conséquences négatives sur leur carrière, aucune suite donnée… 

Selon le baromètre Qualisocial – IPSOS11, la plupart des salariés, y compris les managers, peine d’ailleurs à identifier les situations relevant du harcèlement au travail. Toujours selon ce baromètre, après sensibilisation à la notion de harcèlement, plus d’un salarié sur 3 estimerait avoir déjà été victime de harcèlement au travail !

L’enquête interne : un outil de sanction mais aussi d’amélioration continue

Une enquête interne, pour quoi faire ?

Tout d’abord, il ne faut pas confondre l’enquête interne avec d’autres enquêtes « menées en interne », de type « baromètre social » ou « enquête de satisfaction » ou d’engagement, destinées à « prendre le pouls de l’organisation », à évaluer le degré d’engagement des collaborateurs, en vue de proposer des axes d’amélioration. 

Il ne faut pas davantage la confondre avec « l’audit interne », une démarche globale visant à l’optimisation des pratiques et processus internes.

L’enquête interne, quant à elle, a pour but, dans une situation donnée, de faire la lumière sur la réalité de faits allégués, à partir d’un faisceau d’indices provenant de témoignages et d’éventuels documents venant en appui des témoignages ; elle peut être déclenchée à la suite d’une remontée d’information vers un manager, vers les RH, vers le CSE, ou encore via le système d’alerte interne mis en place au sein de l’entreprise (permettant de préserver l’anonymat du lanceur d’alerte).

Quelles modalités ?

Obligatoire en cas de suspicion de harcèlement, cette enquête doit répondre à certaines règles : impartialité, loyauté, confidentialité, indépendance, objectivité, présomption d’innocence, respect du droit des parties. Elle est cependant relativement peu encadrée, le Code du travail n’imposant aucune procédure particulière. Le CNB (Conseil National des Barreaux12) et l’AFA (Agence Française Anti-Corruption13) ont édité des guides de bonnes pratiques dont tout enquêteur peut s’inspirer dans le cadre de ses investigations. 

Seuls certains salariés seront auditionnés : ceux pouvant contribuer de manière pertinente à la clarification d’une situation dénoncée de harcèlement potentiel : victime, témoins, managers directs, personne(s) mis(es) en cause…).

L’employeur peut donc librement décider de la méthodologie employée, mais en tenant compte de la jurisprudence, qui seule permet de dessiner, au fil du temps, les contours de ce qui est attendu d’une enquête interne et plus spécifiquement du rapport qui est délivré à l’employeur en appui de toute décision disciplinaire éventuelle. L’employeur est ensuite censé agir rapidement, car il a deux mois pour prendre une décision disciplinaire à partir de la connaissance des faits qui lui sont signalés. En cas d’enquête, le délai de prescription commence à courir à partir de la remise du rapport. 

L’une des toutes premières décisions de l’employeur va donc concerner l’opportunité ou la nécessité de diligenter une enquête, en vérifiant, à la réception de l’alerte, si les faits sont suffisamment étayés.

À qui confier l’enquête interne ?

La deuxième décision importante consiste à choisir les intervenants de l’enquête.

Première possibilité : confier l’enquête à des acteurs internes (DRH, responsable conformité, référents harcèlement…). Si l’alerte remonte via le CSE (Comité Économique et Social), celui-ci est obligatoirement associé à l’enquête. 

Pour des raisons diverses (problème de compétences ou encore de neutralité et d’impartialité), les entreprises choisissent souvent de confier la réalisation de l’enquête à des acteurs externes. Plusieurs types d’acteurs peuvent dans ce cas être sollicités.  Bien entendu, selon le type de prestataire retenu, la « tonalité » dominante (juridique, psychologique…) et la manière de poser des questions pourront varier :

  • Les spécialistes des RPS (Risques Psycho Sociaux) : les experts en matière d’hygiène, de sécurité et de conditions de travail, les psychologues du travail, sont bien entendu des acteurs incontournables ;
  • Les avocats : l’enquête interne est devenue un nouveau champ d’activité pour ces experts du droit. Leur intervention dépasse largement le sujet des enquêtes internes dites « sociales » et peut concerner tout risque lié à la conformité. 
  • Les enquêteurs privés : on a tendance à oublier ces acteurs, qui sont pourtant par définition des experts de l’investigation. Également appelés Agents de Recherches Privées, ou détectives privés, ces professionnels de la preuve s’avèrent en effet tout à fait pertinents pour intervenir dans le cadre des enquêtes internes, particulièrement s’ils connaissent bien le monde de l’entreprise et sont sensibilisés aux RPS.

L’enquêteur privé, un acteur privilégié de l’enquête interne

L’enquêteur privé est un professionnel de la preuve, soumis à une formation initiale et continue (dans laquelle les aspects juridiques sont omniprésents) ; il est détenteur d‘un agrément d’État pour exercer, dispensé par le CNAPS (Conseil National des Activités Privées de Sécurité), sous la tutelle du ministère de l’Intérieur. La profession est définie et encadrée par le Code de la Sécurité Intérieure (CSI) et soumise à un code de déontologie : l’enquêteur privé est ainsi tenu au secret professionnel, soumis (entre autres) à une obligation de probité, de confidentialité.

Ses investigations, menées en toute indépendance, ont pour objet de vérifier la véracité de suspicions, allégations, dans un cadre juridique défini. L’agent de recherches privées a une obligation de moyens et non de résultats et son action, certes destinée à défendre les intérêts légitimes de son mandant, ne peut en aucun cas l’amener à « tordre les faits » pour contenter ce dernier. Il n’est pas question de mener une enquête dans le sens souhaité par l’employeur, mais au contraire de se porter garant de l’impartialité de l’enquête afin de produire un rapport objectif et circonstancié, susceptible d’éclairer une situation, et surtout, recevable en justice.

Si les enquêtes internes ont pu susciter de la défiance, c’est qu’elles ont parfois été dévoyées et menées à charge.

Au-delà de la profession, les qualités personnelles de l’enquêteur seront bien entendu fondamentales pour permettre à l’enquête interne d’aboutir à un constat le plus juste possible et exempt de parti pris ; ainsi la qualité d’écoute de l’enquêteur, son indépendance, sa capacité à poser les bonnes questions, à se faire communiquer tout élément utile en appui des témoignages, à garder le recul nécessaire afin de ne pas être manipulé ou instrumentalisé (que ce soit par l’employeur ou par les personnes auditionnées) sont essentiels.

Ce n’est qu’à ces conditions que l’enquête interne permettra d’éradiquer les comportements toxiques au sein des organisations, les mauvaises pratiques managériales et participer ainsi à un processus d’amélioration continue des pratiques dans l’entreprise.

  1. Le concept du harcèlement moral a été défini par C.M. Brodsky, auteur américain ↩︎
  2. Le harcèlement moral : la violence perverse au quotidien, Marie-France Hirigoyen, éd. La Découverte & Syros, 1998 ↩︎
  3. En particulier : loi du 17 janvier 2002 (dite loi de modernisation sociale) consacrant la définition légale du harcèlement, loi du 6 août 2012 relative au harcèlement sexuel, loi du 4 août 2014 introduisant dans le code pénal le délit général de harcèlement moral (article 222-33-2-2), loi du 3 août 2018 relative au harcèlement sexuel et aux agissement sexistes, loi Sapin II du 9 décembre 2016 relative à la transparence et à la lutte contre la corruption, Loi Waserman du 21 mars 2022 sur la protection renforcée des lanceurs d’alerte… ↩︎
  4. Accord National Interprofessionnel du 26 mars 2010 : https://travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/accord-harcelement-violence-2010-2.pdf ↩︎
  5. Art. L4121-1 et suivants du code du travail ↩︎
  6. Art. L1152-1 à 6 du code du travail ↩︎
  7. https://www.e-marketing.fr/Thematique/social-media-1096/Diaporamas/comptes-instagram-qui-balancent-entreprises-357902/phenomene-balance-ton-agency-357903.htm ↩︎
  8. « Baromètre Santé au Travail », Malakoff Humanis https://www.malakoffhumanis.com/groupe/lecomptoir/barometre-sante-salaries/ ↩︎
  9. IPSOS France/AXA, mars 2024 : https://www.ipsos.com/sites/default/files/ct/news/documents/2024-03/axa-mind-health-report-2024-pr-report.pdf ↩︎
  10. 12ème Baromètre d’Empreinte Humaine/OpinionWay, novembre 2023 ↩︎
  11. Baromètre du harcèlement au travail Qualisocial-IPSOS, 2022 https://www.qualisocial.com/le-barometre-du-harcelement-au-travail-qualisocial-x-ipsos-2022/ ↩︎
  12. https://www.cnb.avocat.fr/sites/default/files/documents/guide-cnb_enquetes-internes_juin2020.pdf ↩︎
  13. https://www.agence-francaise-anticorruption.gouv.fr/files/2023-03/Guide_Enquetes%20internes_Web.pdf ↩︎

Crédit photo : Shutterstock / Crime Art



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