Décisions de recrutement : échappez-vous du dictat des biais
Dans une période où la pénurie de main-d’œuvre se mesure à l’échelle mondiale, les entreprises doivent avoir de meilleures pratiques d’embauche. À ce jour, les décisions de recrutement concentrent encore trop de biais. Il est possible de les réduire.
Sommaire
Le retour en force de la guerre des talents
La fin présumée de la crise sanitaire s’annonce pleine de promesses en termes d’emploi. L’Unedic prévoyait en février dernier la destruction de 230 000 emplois en France. À présent, elle table sur 126 000 créations. Dans le même temps, le gouvernement évoque 250 000 postes non pourvus dans les entreprises. La pénurie de main-d’œuvre pointe. Jugée temporaire en France, elle semble beaucoup plus systémique aux États-Unis ou en Grande-Bretagne.
La guerre des talents, mise en pause depuis mars 2020, fait donc un retour fracassant. Aujourd’hui, les entreprises ne peuvent plus commettre d’erreurs dans leurs embauches. Or, les décisions de recrutement reposent sur une nécessaire et inévitable relation humaine : l’entretien d’embauche. Qu’il le veuille ou non, le recruteur va tisser des liens avec le candidat. Et ce dernier va chercher à orienter la discussion à son avantage. Ainsi, les parties prenantes placent des biais, qui peuvent conduire à un mauvais choix.
Décisions de recrutement : comment continuer à autant mal juger un candidat !
La littérature sur les biais chez les recruteurs dessine de manière exhaustive leur immensité. Je pourrais me lancer dans une large énumération. À vrai dire, elle n’aurait guère d’utilité pour mon propos. Je préfère pointer ceux qui me paraissent les plus impactant dans le risque d’erreur de recrutement. Le premier d’entre eux : l’effet de halo. Ce biais cognitif dépasse largement la question du recrutement. Il intervient à chaque instant de notre quotidien. Un comportement, une réaction, une aisance, un sourire suffisent au cerveau pour présumer des autres caractères d’une personne comme l’ont démontré Nisbett et Wilson.
Si le trait observé est positif, inconsciemment, le recruteur va minimiser les aspérités défavorables, pour mieux s’intéresser aux atouts. Et inversement, si le ressenti est négatif, ce sont les défauts qui se trouvent sous les projecteurs, les points positifs ne faisant guère le poids. De fait, l’évaluation du candidat s’en trouve déformée. Elle peut d’ailleurs être amplifiée par un autre effet, celui de Dunning-Kruger : les personnes compétentes se sous-valorisent, et inversement celles qui en ont le moins surestiment leurs capacités. Et l’entreprise passe à côté du bon profil.
Sortir des comportements à excès
En écho aux prises de paroles sur les réseaux sociaux, les entreprises deviennent sensibles et vulnérables face à l’émergence de l’art du personal branding chez leurs collaborateurs. Cette compétence comportementale s’avère très tendance chez les recruteurs. De fait, l’entreprise s’expose à une surexposition de ce marketing de soi en ne visant que les personnes qui savent se vendre. Elle met de côté celles qui se montrent mal à l’aise dans la prise de parole. Or, tous les postes proposés n’appellent pas à être un vendeur dans l’âme.
Ce n’est pas le seul excès qui peut ruiner un recrutement en écartant le bon candidat. Bien sûr, l’expérience du recruteur constitue une force : chacun apprend de ses erreurs. Encore faut-il rester humble et savoir se remettre en question ! Sans quoi, il y a un risque de développer une surconfiance dans le processus de sélection pour lequel il est rodé et d’accentuer le risque d’une mauvaise décision de recrutement.
Stopper l’accumulation des biais dans le processus de recrutement
Les recruteurs sont conscients des biais qui entourent leur processus pour choisir le meilleur candidat. Ils savent notamment l’incidence de l’organisation. Ils sont avant tout des humains : ils analysent les profils en fonction de leurs humeurs et de l’intensité de leurs journées. Lorsqu’il y a 5, voire 6 entretiens par jour, dans quelle mesure celui du milieu ou le dernier est-il correctement évalué par rapport au premier ? Aucun ne va effectivement être traité de la même façon. Aucun ne va avoir la même adresse dans les échanges.
Pour réduire les risques d’erreurs, il existe une pratique répandue : la prise de référence. En réalité, la démarche telle que pratiquée aujourd’hui, vient introduire un énième biais.
Comme elle intervient à la fin du processus de recrutement, il s’agit quasi systématiquement de confirmer l’idée faite sur le candidat. Pour moi, cela ne sert à rien puisqu’ici le recruteur va chercher à confirmer son opinion. Ce n’est pas la bonne façon de faire pour introduire beaucoup plus d’objectivité et de fiabilité dans le jugement. La prise de référence doit prendre un tout autre visage. Celui d’un questionnaire envoyé auprès de plusieurs personnes : anciens collègues, managers, voire même anciens clients… L’agrégat de ces retours permet de révéler ce que peut faire ou pas le candidat, ainsi que présenter des tendances sur sa manière de se comporter, vu sous un angle différent que celui du candidat lui-même.
Vouloir réduire les biais dans ses décisions de recrutement, c’est rechercher les compétences cachées de chaque candidat, afin de révéler pleinement son potentiel au regard des besoins de l’entreprise. Le CV et l’entretien ne peuvent pas suffire pour tous les points évoqués ci-dessus. Il faut être capable de croiser un maximum d’informations objectives, y compris au moyen de tests psychologiques et techniques. Le faire ne relève pas seulement d’une préoccupation de coûts du recrutement, mais aussi de la nécessité pour une entreprise de recruter avec diversités. Aucune organisation ne souhaite avoir, et ne doit développer qu’uniquement des clones. La force d’un recrutement réussi c’est réunir des personnes qui comblent les vides des uns et des autres, et qui apportent des modes de pensée et de fonctionnement différents. Faut-il encore que l’entreprise ait réfléchi et défini ses besoins et ses attentes en amont du recrutement.
Crédit photo : Benjamin Balazs de Pixabay