Cahier de tendances 2023

Portrait de Benoît Serre, L’Oréal France : Les défis de l’organisation apprenante

le 29 mars 2023
Portrait de Benoît Serre, DRH de L'Oréal France

Les événements des trois dernières années ont accéléré la transformation de l’organisation du travail ; mais le cadre légal et managérial reste encore largement celui du « monde d’avant », analyse Benoît Serre.

Benoît Serre est venu aux ressources humaines « un peu par hasard ». Après des débuts dans le conseil, il entre dans le monde des RH par la porte « formation » : on lui confie la création d’universités d’entreprises. « Leroy-Merlin m’a ensuite recruté pour prendre la tête de sa propre université. » En 2006, il occupe son premier poste de DRH, au sein de la filiale russe du groupe.
Six ans plus tard, retour en France, où Benoît Serre devient DRH de la Macif pendant sept ans. « J’y ai renégocié 100 % des textes sociaux. » Après deux ans chez Boston Consulting Group, « pour me poser sur la fonction et prendre du recul par rapport à l’opérationnel », on le retrouve depuis mai 2021 au sein du groupe L’Oréal, en tant que DRH pour la France.

Le double défi de la DRH

Quels enseignements retenir d’un parcours aussi varié ? D’abord, « la RH est une fonction à géométrie très variable, très dépendante de son environnement et perméable aux mouvements sociétaux ambiants », comme la digitalisation et les nouvelles attentes des salariés. Mais « la fonction RH ne doit pas perdre de vue qu’elle repose sur un socle solide de métiers historiques : recrutement, paie, développement RH, administration du personnel… » Et les DRH doivent continuer à maîtriser ces versants en plus des nouvelles dimensions émergentes. C’est toute la difficulté de ce double défi : la DRH ne se transforme pas, elle s’étend.


Autre enseignement : la RH « joue sur la réconciliation des temps : le temps de l’entreprise, celui de la concurrence, celui des collaborateurs. Malgré tous les progrès du digital, les compétences ne s’acquièrent pas plus vite qu’avant ! Le DRH est garant de la concordance des temps ». Enfin, la fonction RH est « intégrée au process de décision stratégique de l’entreprise », dont elle informe la dimension sociale et managériale. Ce qui suppose d’avoir une bonne compréhension du volet économique et business.

L’hybridation est là, reste à l’organiser

Quid de l’organisation hybride ? « Il y a eu l’hybridation du commerce, de l’information, des loisirs… Crise sanitaire ou pas, nous serions allés vers l’hybridation du travail. Le Covid n’a fait que l’accélérer. » Néanmoins, le cadre juridique et managérial reste pour l’essentiel celui d’avant-crise. « Il va falloir organiser le travail hybride. Pour l’heure, il ne concerne qu’environ 30 % des salariés. Ils seront 40 ou 50 % demain. Tout le monde va devoir s’adapter. » Pour autant, « il faut se méfier du populisme managérial. Je suis opposé au “full télétravail”. L’entreprise reste un collectif. Il faut trouver le juste niveau d’hybridation ».

De fait, l’organisation hybride est sur toutes les lèvres, mais il semble que tout le monde y aille en ordre dispersé. « Ce qui est certain, c’est qu’on ne peut pas faire comme si rien ne s’était passé. Or le télétravail, en l’état, fait courir des risques légaux aux entreprises. Il faut faire l’effort de relire le Code du travail entièrement sous l’angle du travail hybride. Si on ne le fait pas, le monde du travail sera réglementé par la jurisprudence, avec toutes les incertitudes que cela comporte. » Au-delà de la nécessaire sécurisation de la relation contractuelle, il faudra repenser l’organisation du temps de travail, par exemple « en recourant plus largement à l’annualisation, à la semestrialisation, au forfait jour, imaginer de nouvelles solutions ».

Nouveau management, nouveau rapport à l’espace

Simultanément, il faut que le management suive. « C’est encore difficile. Les managers d’avant n’ont pas été élevés comme ça… L’erreur, c’est de dire “on va vous former au management à distance”. Il n’y a pas deux managements, il n’y en a qu’un. » Malgré les craintes de certains, « on n’observe pas de baisse de productivité avec le télétravail. En réalité, ceux qui ne travaillaient pas au bureau ne travaillent pas non plus chez eux, et vice versa ». Y a-t-il vraiment des tensions entre ceux qui peuvent télétravailler et ceux qui ne le peuvent pas ? « Non, mais un salarié qui passe d’un poste non télétravaillable à un poste qui l’est aura du mal à revenir en arrière. » Ce qui pose de nouveaux problèmes de gestion des parcours et de recrutement.

L’organisation hybride, c’est aussi la redéfinition du rapport à l’espace. « Au départ, tout le monde pensait que les entreprises allaient profiter du télétravail pour réduire leurs mètres carrés de bureau. J’étais dubitatif. On constate aujourd’hui que ce mouvement s’est arrêté, au profit d’une réorganisation du lieu de travail. En réalité, on ne fait pas d’économies : cela coûte plutôt cher. » Mais l’investissement en vaut la chandelle : il s’agit de faire en sorte que le temps passé au bureau soit un temps d’échanges et de rencontres, pas une longue session Teams à une heure de trajet de chez soi.

L’avenir du contrat de travail

Les années 2010 ont été celles de la remise en cause théorique du CDI comme norme et de la prolifération des statuts alternatifs. En pratique, pourtant, le CDI reste très majoritaire. « L’organisation sociale est ainsi faite depuis les années 1960 et le CDI apporte avec lui la meilleure protection sociale, le chômage, l’accès aux emprunts, au logement… C’est l’une des raisons pour lesquelles il y a eu une Grande démission aux États-Unis et pas en France. Il faudrait que mutuelles, banques, propriétaires comprennent que le CDI n’est qu’une forme de la relation contractuelle et que d’autres existent, tout aussi performantes. Et il faudrait harmoniser le niveau de protection sociale de manière cohérente entre les différentes formes de relations juridiques au travail. Chacun a pu mesurer le chemin à parcourir après l’échec du RSI supprimé en 2017. »

Plus généralement, c’est l’ensemble des façons de fonctionner qu’il va falloir faire évoluer. « Renforcer l’autonomie des collaborateurs, en leur donnant davantage de responsabilités et de latitude d’action ; réduire les échelons hiérarchiques ; trouver le bon équilibre entre hiérarchie et subsidiarité… La société de l’hypercontrôle et de l’hyperreporting agace considérablement les gens » et suscite en réalité du désengagement. « Nous vivons une période passionnante, où nous réinterrogeons tous les fondamentaux du fonctionnement des entreprises. » Avec, à l’horizon, un bouleversement de l’organisation du travail.


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