« La santé mentale est l’affaire de tous dans l’entreprise »


Dirigeante de VerbaTeam
La santé mentale des salariés doit faire l’objet d’une politique de prévention aussi rigoureuse que la santé physique, estime Géraldine Mandefield, dirigeante de VerbaTeam, start-up incubée par AXA et spécialisée dans la prévention santé en entreprise.
Sommaire
Comment a évolué la santé mentale des salariés ces dernières années ?
Le contexte s’est beaucoup dégradé ces 5 ou 10 dernières années. La multiplication des crises, l’essor des nouvelles modalités de travail, l’hyperconnexion, le floutage de la frontière entre vies personnelle et professionnelle, mais aussi la hausse des incivilités sur les salariés en contact avec le public dessinent un environnement qui fragilise beaucoup les collaborateurs.
Sur le terrain, les chiffres de l’absentéisme augmentent, notamment chez les jeunes, et les troubles psychologiques sont devenus la première cause d’arrêt de travail. 1 actif sur 5 est à risque de troubles psychiques. Près de 70 % des Français souffrent de troubles du sommeil. La tendance est donc indéniable. L’enjeu aujourd’hui est de comprendre et d’analyser les risques par typologie de personnes et surtout de se mobiliser autour d’actions positives de prévention et de sensibilisation. Légalement, les entreprises doivent mettre en œuvre des moyens pour « protéger la santé physique et mentale des travailleurs ».
Pour la santé physique, l’identification des risques est plus aisée et les actions plus faciles à évaluer. En matière de santé mentale, les risques sont tout aussi importants, mais ils sont difficiles à repérer et à mesurer.
Quels sont les principaux indicateurs individuels et collectifs d’une santé mentale dégradée ?
Les situations de souffrance psychologique se repèrent à des signes physiques visibles. Le fait qu’une personne se replie sur elle-même, reste à distance, évite les échanges informels, c’est un signal. De même lorsque quelqu’un change de comportement, devient plus irritable, semble perdre en concentration. D’un point de vue collectif, l’indicateur le plus parlant reste le taux d’absentéisme – qui est à mesurer de façon sectorielle : on ne trouve pas le même dans un call center ou dans une agence bancaire, par exemple.
Pour notre part, nous n’intervenons pas beaucoup sur la partie « audit de crise », ni sur l’évaluation des RPS, qui relève plus d’une approche a posteriori. Notre sujet, c’est la prévention, le plus en amont possible. Les entreprises françaises sont plutôt mal équipées sur cette partie.
Y a-t-il une prise de conscience sur ce sujet chez les dirigeants et les DRH ?
Oui. Le Covid en particulier a facilité les choses : les dirigeants, les managers, les RH ont vécu la crise eux-mêmes. Ils ont été confrontés à des problèmes individuels et collectifs lourds, à des populations très fragilisées. Le sujet aujourd’hui n’est plus la prise de conscience, mais les moyens disponibles pour répondre aux enjeux. Avec une forte dichotomie entre les grandes entreprises, qui ont des moyens pour intervenir, et les PME-TPE, beaucoup plus dépourvues.
Y a-t-il une spécificité des problèmes de santé mentale pour les cadres, les dirigeants, les DRH ?
Face aux problèmes de santé mentale, les managers forment la 1re ligne. L’entreprise leur demande de tout savoir faire et de tout gérer. Ils peuvent être tentés par le syndrome du super-héros, vouloir jouer les psys eux-mêmes et entrer dans les problèmes personnels de leurs collaborateurs. Ils doivent être formés à identifier les signes, mais aussi à bien comprendre leur champ de responsabilité pour alerter les personnes compétentes (notamment la médecine du travail ou les équipes RH) le moment venu.
En 2e ligne, il y a les équipes RH, souvent très demandeuses de formation sur le sujet. C’est le but des programmes de « Premiers Secours en Santé Mentale » (PSSM), une approche venue du monde anglo-saxon, qui vise à créer l’équivalent du brevet de secouriste pour les risques psychiques. Les publics RH ont besoin d’être formés à des niveaux plus élevés que les managers et soutenus par la médecine du travail : ils sont confrontés aux cas les plus complexes.
Les dirigeants, quant à eux, sont une population particulièrement à risque, en particulier ceux des PME-TPE. Ils subissent une pression constante : il faut faire tourner l’entreprise, arriver à payer les salaires tous les mois… Il n’est pas toujours facile de leur faire prendre conscience qu’ils ont besoin de prendre soin d’eux-mêmes.
La technologie est-elle un problème ou une solution ?
Les deux à la fois. Elle est clairement un facteur de risque. L’hyperconnexion concerne 30 % des salariés. 78 % des cadres ne se déconnectent pas pendant les vacances et le week-end. Les conséquences sont un mauvais sommeil, une fatigue chronique, mais aussi parfois des problèmes d’addiction, d’isolement, en particulier pour les sujets les plus à risque. Et ces problèmes se répercutent sur l’entreprise, sous forme de perte d’efficacité. D’un autre côté, la technologie permet par exemple l’accès à la télé-thérapie, qui peut être une bonne réponse en contexte de désert médical, ou pour des publics réticents à se rendre en cabinet. Mais c’est une solution à manier avec précaution : une téléconsultation ne remplacera jamais une psychothérapie en présentiel.
Quelles sont les bonnes réponses ?
Il n’y a pas de réponse unique, mais un écosystème de solutions à mettre en place. Il faut d’abord agir très en amont sur l’organisation du travail elle-même – la charge de travail, les conditions de travail, les pratiques et la culture managériales.
La formation et la sensibilisation sont essentielles. Et il faut former tout le monde, pas uniquement les managers. La santé mentale est l’affaire de tous dans l’entreprise. Quand un salarié rencontre un problème de pression managériale, il va plutôt se tourner vers ses collègues. S’ils sont formés, ils vont identifier les signes éventuels. C’est le sens de notre programme de sensibilisation « L’Odyssée de la santé mentale ».
Les collaborateurs doivent aussi être sensibilisés au fait qu’ils peuvent aller voir les services de santé au travail et les assistants sociaux, y compris quand leur difficulté comporte une dimension personnelle. Par ailleurs, les problèmes de santé mentale peuvent faire l’objet d’un accompagnement et d’une adaptation du poste de travail, au même titre que les problèmes physiques.
Cela fait au moins 20 ans que les entreprises travaillent très sérieusement sur les sujets de prévention des risques physiques. Et prévenir l’accident du travail reste un combat de tous les jours. En santé mentale, nous n’en sommes qu’au tout début. Il faudrait que les entreprises portent la même attention à la prévention du risque psychologique qu‘à celle des accidents du travail. Mais il faut aussi déstigmatiser les questions de santé mentale, et pour cela, l’exemple doit venir du plus haut de l’organisation. À ce sujet, nous sommes très en retard sur les anglo-saxons.
La santé mentale doit-elle nécessairement être envisagée comme un problème ?
Non, bien sûr. L’OMS définit la santé mentale comme « un état de bien-être qui permet à chacun de réaliser son potentiel, de faire face aux difficultés normales de la vie, de travailler avec succès et de manière productive, et d’être en mesure d’apporter une contribution à la communauté ». La santé mentale est comme la santé physique, il est important de l’entretenir pour se sentir bien, ce qui permet d’être efficace et épanoui. C’est une valeur positive, pour l’individu comme pour l’organisation.
En attendant, le problème va-t-il s’aggraver ?
La tendance n’est pas bonne, d’autant que le système de soin est en difficulté, mais il y a une prise de conscience croissante de la part des entreprises. Il va falloir être particulièrement attentifs à la jeune génération, qui a beaucoup souffert de la crise sanitaire et qui va entrer dans le monde du travail.
Il reste essentiel d’aborder ces questions dans une attitude positive et de manière utile. Pour réagir à l’éco-anxiété, par exemple, on n’organisera pas un webinar sur le sujet, on se focalisera plutôt sur des actions collectives de lutte contre le changement climatique, en y associant tous ceux qui le souhaitent. Et il ne faut pas oublier que pour beaucoup de gens confrontés à des difficultés dans leur vie personnelle, l’entreprise est une source de respiration. Un lieu où l’on travaille ensemble et où l’on peut prendre du recul ou parler de ses problèmes autour d’un café parfois ponctuellement salvateur…
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Crédit photo : Studio Cabrelli