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Jean-Baptiste Audrerie : “2024 sera l’année de la généralisation des IA génératives”

Automatiser des micro-tâches fastidieuses et à faible valeur ajoutée, gagner en efficacité dans la gestion des talents, anticiper les évolutions des compétences… Les possibilités des IA génératives sont infinies. Elles ne sont, pourtant, pas encore entrées dans le quotidien des DRH. Pour Jean-Baptiste Audrerie, psychologue organisationnel et consultant en stratégie technologique et transformation RH, le déclic se produira en 2024. Rencontre avec l’un des pontes de la HR Tech, tout droit venu du Québec. 

La tendance RH qui fera 2024 ?

2024 sera l’année de la généralisation des IA génératives. Après la découverte publique du très populaire ChatGPT et de son éditeur OpenAI, les usages en entreprise se développeront très rapidement, avec de très nombreuses plateformes professionnelles protégeant les données. J’en compte déjà plus d’une centaine, uniquement en gestion des talents. À toutes les étapes du parcours de l’expérience collaborateur, la production de contenus et l’expérience conversationnelle seront assistées. Les possibilités sont infinies. 

La quasi-totalité des technologies RH s’est déjà alliée avec les développeurs de Large Language Model (LLM), toujours plus nombreux (OpenAI, CoHere, Antropy, Meta, Google, Microsoft, IBM, etc.) et offrant des capacités démultipliées. Les LLM sont à la base des IA génératives permettant de résumer un livre, de comparer des philosophes, ou encore de faire un plan d’onboarding et de développement. Même les éditeurs de solution de pointe, souvent très agiles, utiliseront des contenus génératifs, par exemple pour créer et contextualiser des scripts de formation, personnaliser des communications persuasives auprès des candidats ou encore assister les réponses aux requêtes adressées par milliers aux services RH des grandes entreprises. Nous sommes dans l’enfance des IA, et des IA génératives en particulier.

Les RH n’auront donc pas tellement à se demander si elles doivent aller vers les IA génératives. Celles-ci vont venir à elles, via leurs solutions actuelles. En 2024, les décideurs RH devront décider. Est-ce que je veux ou non activer ces usages ? La réponse dépendra de l’efficience et de l’expérience anticipées dans les usages les plus fréquents et les plus critiques. La confiance en matière de sécurité des données et de pertinence du modèle sera le second critère pour se lancer dans des pilotes. Les DRH ne voudront pas constater des “hallucinations” générées par des IA mal entraînées ou mal contrôlées. Un nouveau monde est à apprivoiser.

Celle qui va droit dans le mur ?

Le métavers, la tendance gadget qui depuis plusieurs années ne prend pas, selon moi, car elle engage trop d’investissements pour peu d’usages récurrents. Le métavers nécessite, par ailleurs, de se rendre sur des plateformes avec un casque de réalité virtuelle. Or, les DRH veulent simplifier l’expérience et améliorer l’adoption des plateformes existantes, en évitant d’en ajouter d’autres. Comme au début du e-learning, les standards ne sont pas encore assez établis.

Avant de se lancer dans le métavers, il est essentiel de maîtriser la Réalité Augmentée (AR) et la Réalité Virtuelle (VR). Les programmes de formation immersive sont de vrais succès, sur des formations courtes et pour des usages très précis. C’est ainsi, par exemple, que l’on simule des procédures et des incidents pour les grutiers avec des casques de réalité virtuelle, sans devoir monter en haut de la grue. 

Cela reste, néanmoins, des coups d’éclats sur des projets pilotes, encore très confidentiels et très chers… mais l’illustre fondateur de Meta, Mark Zuckerberg, continue à croire aux univers virtuels à long terme.

Les 2 innovations de l’IA les plus disruptives pour les RH en 2024 ?

Les IA fondées sur les Large Languages Model (LLM) font beaucoup parler. Si elles agitent autant les laboratoires de la Silicone Valley c’est qu’elles révolutionnent notre rapport au traitement de l’information de masse et permettent une mise à l’échelle de la personnalisation.

La première innovation de rupture permise par l’IA est un modèle de service RH fondé sur l’expérience. Il s’agit du grand retour de la gestion par les compétences. Autrefois lourde et statique, l’approche “Skills-Based” s’automatise et s’actualise en temps réel avec la classification sémantique des compétences techniques et comportementales. Pourquoi est-ce une révolution ? Car les RH vont offrir une expérience personnalisée, fondée sur le profil de compétence du collaborateur, et non sur un poste ou un diplôme.

L’extraction multi-sources, la classification des compétences, l’appréciation du niveau de maîtrise restent à valider par le manager. L’inférence de compétences non écrites mais hautement probables autorisent désormais une gestion sans couture des talents, nécessitant un effort moindre. Une gestion fine et sur mesure de la montée en compétences ou de la requalification des ressources est désormais accessible avec les solutions Skill Engins ou Talent Intelligence Platform.

La seconde innovation de rupture concerne une autre capacité des IA : celle de traiter les données pour identifier des corrélations, trouver des patterns, factoriser et faire des prévisions. On assiste à la démocratisation de l’analytique RH. En posant une question en langage naturel, la plupart des solutions de BI peuvent répondre par une visualisation de la donnée et des indicateurs. Plus aucune excuse n’est permise quant au fait de ne pas savoir faire parler les chiffres

Un conseil aux RH et aux managers pour préparer les équipes aux défis technologiques de demain ?

Le travail de demain et l’efficience de tous reposent essentiellement sur les capacités offertes par la technologie. Je suggère donc d’alimenter la définition des objectifs stratégiques, l’énoncé de vision RH et la déclinaison du modèle opérationnel cible en prenant connaissance des capacités technologiques actuelles et émergentes. Il est, ensuite, primordial de prioriser les gains d’efficience et la fluidité de l’expérience pour guider et mesurer les retours sur investissements. Dernier réflexe à acquérir : rappeler ces gains d’efficience et les bénéfices constatés pour atteindre les cibles visées. Il s’agit, selon moi, de la meilleure façon pour l’entreprise de se transformer en injectant du sens en continu, sans se perdre dans le foisonnement des possibilités.

Fonction RH : remplacée ou augmentée par la Tech ?

Définitivement « assistée ». Depuis toujours les technologies nous épaulent pour réduire les tâches répétitives et sans valeur ajoutée. Les IA sont, pour la plupart, encore très restreintes à des tâches et à des bouts de processus. Même libérés de nombreuses missions chronophages et à faible valeur ajoutée, les collaborateurs manquent encore de temps. L’IA pourrait encore leur en faire gagner. Le travail se transforme. Il ne disparaît pas. Au contraire. Il se complexifie et s’hybride avec des assistants conversationnels intelligents et des algorithmes apprenants. S’entourer de ressources intelligentes, c’est le propre des entreprises performantes. Je conclurai avec cette phrase que je trouve très juste : « Les IA ne vous remplaceront pas, mais une personne aidée des IA le fera. »

IA & Big Data : le secret pour personnaliser les processus RH, sans entrer dans la vie privée des collaborateurs ?

Tous les fournisseurs technologiques d’IA, en RH en particulier, doivent offrir des solutions de grade « Enterprise » garantissant l’anonymisation de la donnée d’identification (nom, prénom, parcours etc.) et assurant la confidentialité par le chiffrement des données transactionnelles (suivre une formation, évaluer sa performance). Dans ce type de solution conforme à la réglementation RGPD, elles ne doivent enregistrer aucune information personnelle et ne sont censées recevoir qu’une commande (prompt) et retourner une réponse (output), avec un processus encrypté de bout en bout.

Attention à ne pas les confondre avec les versions grand public de plusieurs éditeurs, presque tous nord-américains (ChatGPT d’OpenAI, Claude 2 d’Antropic ou Copilote de Microsoft), souvent bloquées dans les entreprises bien structurées en termes de sécurité.  L’objectif n’est, en effet, en aucun cas, de divulguer une recette industrielle ou de fournir des renseignements confidentiels sur les salariés.

Les IA, parce qu’elles sont transformationnelles, permettent la mise à l’échelle d’automatisation et de génération de contenus à un niveau individuel. On parle d’IA contextuelle, capable d’apprendre de la personne et de son style de requêtes. La personnalisation de l’expérience fondée sur l’IA générative peut faire produire beaucoup de contenus et parfois générer ce que l’on appelle des « hallucinations ». Une prolifération et des dérives de contenus si les modèles ne sont pas auto-contrôlés est d’ores et déjà anticipée. Pour réguler cela, les RH devront être les garantes d’un cadre de processus avec des documents source, de référence, autorisés, normés et de confiance.

Les développeurs de modèles et les services d’IA génératives qu’ils alimentent, cherchent notamment à assurer un droit de propriété à ceux qui produisent une génération présentant une valeur pour d’autres utilisateurs. Comme ce fut le cas pour le web, pour le cloud ou les logiciels SaaS, il faudra un peu de temps pour se familiariser et réguler nos nouveaux usages.

La pratique RH éprouvée au Canada, que nous devrions appliquer en France en 2024 ?

Avec 5.5% de taux de chômage au Canada en 2023, le plein emploi est une réalité dans de nombreux secteurs. Pour les postes ne nécessitant pas (ou peu) de qualification, le recrutement sans CV, fondé sur les compétences plus que sur le diplôme, est devenu la réalité de beaucoup d’entreprises. C’est ce que l’on appelle le Skill-Based Recruiting, répandu, entre autres, dans les entreprises les plus dynamiques en hôtellerie, restauration, commerce de détail, manutention, logistique ou nettoyage.

Ces postes représentent 45% de la main d’œuvre totale mais les trois quarts du volume d’embauches. Aidés par les IA, les candidats apprécient la rapidité du processus (sans CV, via un questionnaire très court, des tests visuels), effectué depuis leur smartphone. Résultat : une sélection automatisée, réalisée parfois en moins de 12 heures.

Autre tendance forte : depuis 5 ans, le segment des plateformes de recrutement pour employés de première ligne (Frontline Workers Recruiting) s’est développé, aux côtés des ATS traditionnels, davantage adaptés au recrutement des cadres. Les candidats l’apprécient car ils peuvent évaluer rapidement la distance domicile-travail, comparer les salaires offerts et indiquer leurs préférences en matière d’horaires de travail, notamment. Ce sont eux qui ont la main et font leurs choix. Il était temps d’adresser les besoins de cette catégorie d’actifs, pour lesquels l’incertitude du processus de recrutement est une source de dépenses RH. Lorsque le recrutement n’est plus un saut d’obstacles, mais un accélérateur de revenus et d’apprentissage, tout le monde y gagne.

> Tendances RH 2024 : retrouvez notre dossier complet.

Sportifs, politiques, médecins, entrepreneurs, humoristes etc. : 24 personnalités prennent la parole afin de nous livrer leur vision des RH et du monde professionnel de l’année à venir. Leurs interviews sont à retrouver du 15 décembre au 18 mars, sur le média Parlons RH. 

Crédit Photo : libre de droit

Spécialisée dans le digital, Manuelle anime le pôle Content Marketing de Parlons RH. Titulaire d’un diplôme d’école de commerce (NEOMA) et d’un master 2 en journalisme (CELSA), elle met à la disposition des acteurs RH sa double expertise. Avant de rejoindre la Team, Manuelle a été directrice marketing dans les médias et l’e-commerce, puis journaliste indépendante. Sa devise : « l’intelligence, c’est la faculté d’adaptation ». Son credo : accompagner, écrire, convaincre.

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