Réinventer nos modes de travail dans un monde post-covid : combiner distanciation et coopération

De retour au bureau il y a quelques jours, il nous faut réinventer le travail en gérant un paradoxe : coopérer dans la distanciation sociale. Car le risque en germe dans les mesures barrières que nous nous apprêtons à mettre en œuvre renvoie très directement à une érosion de la qualité du lien social, du travail et du « vivre ensemble ». Huit heures passées quotidiennement au bureau pour une grande majorité d’entre nous. Autant dire notre principale fenêtre sur la vie.

Dans le monde post-covid qui vient, le réflexe le plus commun semble être de séparer avec du plexiglas pour protéger sans penser ce qui fonde l’essentiel de nos relations : nos échanges et ce qui s’y joue au quotidien. Ces échanges ne sont pas qu’économiques. Ils sont aussi et plus largement ces « coquillages du quotidien », objets d’étude anthropologique, auxquels nous donnons une valeur collective et qui fondent l’essentiel de nos interactions et de notre vie sociale.

La solution sera-t-elle de dresser des murs qui séparent ? Comment organiser la distanciation sociale et, simultanément, de nouvelles modalités de travail susceptibles de faire levier sur la qualité du « vivre ensemble » ? Nous faudra-t-il effacer plusieurs décennies d’innovation sociale, organisationnelle et managériale propices à un environnement de travail plus créatif et collaboratif ?

 

Imaginer ensemble le travail de demain

Nous pensons l’exact contraire. Dans le contexte actuel, il nous paraît difficile de se limiter à répondre mécaniquement à des enjeux sanitaires et réglementaires. S’interroger plus profondément sur nos modes de travail nous paraît une réponse plus adaptée. Aussi le travail législatif à mettre en œuvre à moyen long terme ne peut-il faire l’impasse sur des expérimentations à l’échelle de nos organisations publiques et privées.

Ne nous privons pas ici de faire quelques rappels en matière d’histoire d’entreprise. Portée en France par Patrick Fridenson, cette discipline nous enseigne qu’il ne faudra pas attendre de notre seul Etat qu’il légifère sur ce sujet. La crise que nous traversons en est le témoin : la guerre est une chose bien trop sérieuse pour être confiée à des militaires ! A l’instar de Renault qui, après-guerre, nous a permis de généraliser la quatrième et la cinquième semaine de congés payés, il nous revient à nous, société civile, entrepreneurs, managers et collaborateurs d’imaginer tous ensemble les conditions et l’organisation du travail de demain !

Alors, quelles précautions prendre pour repenser nos modes de travail en articulant distanciation ET coopération ? Premier acte, nous outiller en revisitant les représentations collectives associées à ces organisations privées et publiques qui nous accueillent au quotidien. Loin de se résumer à des murs, des systèmes et des processus, ces organisations sont en effet et essentiellement faites de rituels, de valeurs, de comportements et de relations. S’il nous faudra peu de temps pour faire évoluer ce qui relève de l’infrastructure et de la structure, il nous faudra davantage de temps pour faire évoluer ce qui relève de « l’élément humain ».

 

Un nouveau mix d’espaces physiques, virtuels, digitaux

Pour s’outiller, se doter d’un modèle permettant de reconfigurer nos modes de travail en se projetant dans un nouveau mix entre espace physique, espace virtuel et espace digital nous semble essentiel. L’espace physique est celui de nos bureaux. L’espace virtuel est l’espace synchrone que nous avons découvert en télétravaillant : les visioconférences qui nous permettent de nous voir et d’échanger en temps réel. Contrairement aux deux premiers, l’espace digital est pour sa part asynchrone : nous y échangeons et y travaillons dans des espaces dématérialisés où nous n’interagissons que par échanges écrits et transmission de messages et documents. Il s’agit ici des mails, des réseaux sociaux d’entreprise (RSE) et plus globalement des réseaux sociaux (LinkedIn, WhatsApp, Twitter, etc.).

Deuxième acte : s’inspirer. Deux exemples nous viennent immédiatement à l’esprit. D’abord, pour respecter les mesures réglementaires, s’inspirer de la gestion des flux et des parcours à l’hôpital, ceux des patients, des visiteurs, du personnel médical et non médical. Seconde source d’inspiration : l’école inversée. Le principe en est très simple : les élèves étudient chez eux les contenus théoriques pour les mettre en application dans un cadre collectif. Appliqué à l’entreprise, le « travail inversé » viserait à alterner des temps de travail solitaire réalisés chez soi et des temps collaboratifs en présentiel, à la fois apprenants et expérientiels.

Si les avantages associés au « travail inversé » sont nombreux – réduction des m², temps de travail optimisés -, les freins identifiés ne le sont pas moins. En outre, le télétravail induit peut poser de nombreux problèmes. Pendant cette période de confinement, son acceptation a essentiellement tenu à la conscience collective de l’avoir pratiqué « de force » et tous ensemble.

 

Donner un cadre à l’éclatement du travail

A l’avenir, pour ne plus penser le télétravail comme une modalité dégradée du travail présentiel, mais comme l’une des modalités majeures d’un travail devenu nomade, il nous faudra repenser notre mix d’espaces. Sur cette voie, il nous faudra éviter les affres rencontrées il y a un siècle pour établir le travail dans un lieu unique : l’usine. Ces affres nous sont contées par Alfred Moutet dans Les Logiques de l’entreprise. Nous savons qu’elles sont à l’origine du corporatisme syndical français.

Aujourd’hui, ce à quoi nous avons à faire face relève d’un impératif qui vise à donner un cadre à l’éclatement du travail et, simultanément, à garantir les conditions d’un travail coopératif. Dans cette transformation qui se profile, ce ne sont pas moins la compétitivité de nos entreprises, de notre modèle salarial et social qui sont en jeu dans une compétition mondiale freinée mais qui s’annonce encore vivace.

 

Avec un collectif d’acteurs, présentés ci-dessous, nous avons développé une approche baptisée « Safe & Well Working Together » visant à repenser son mix d’espaces de travail pour renouveler ses modes de fonctionnement, dans un monde post-covid devenu nomade. Cette approche mobilise des compétences en immobilier, architecture, design et management.

 

Les cosignataires par ordre alphabétique :

Docteur en sciences de gestion de l’Université Paris Dauphine, diplômé de Sciences Po Paris, entrepreneur, coach et consultant, Olivier Baudry accompagne la transformation des organisations publiques et privées depuis plus de 20 ans. Il mobilise le design, le coaching, le co-développement et, plus globalement, les méthodes agiles pour accompagner le changement. Il est le cofondateur d’OpenCommunities et TerritoriZ, deux sociétés visant à améliorer la coopération au sein des équipes, des organisations et des écosystèmes. Il est membre du LabRH et administrateur de l’Institut de la Sociodynamique.

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