Le mauvais mantra des RH : « il n’est de richesse que d’hommes »

« Il n’est de richesse que d’hommes »… Je me suis penché sur l’origine de cette courte phrase érigée en adage des DRH et des défenseurs d’un certain humanisme d’entreprise. Je crois que nous avons tout faux. Le philosophe Jean Bodin, auteur de cette pensée, était aussi le théoricien précurseur du mercantilisme. Le sens de son propos sur la République, dont est extraite cette formule, est contraire à l’usage que nous faisons aujourd’hui de cette phrase-proverbe. Explications.

 

Dans le domaine des ressources humaines et du management, cet aphorisme célèbre « il n’est de richesse que d’hommes » est souvent utilisé. Exploité devrais-je dire tant il est usé à l’envie comme un jingle martelant l’évidence : l’Homme est une vraie richesse, au cœur du projet de l’entreprise.

Exigence à relativiser puisque notre maxime exprime le plus souvent un souhait ou une aspiration. L’Homme devrait être au centre des préoccupations de la société en général, de l’entreprise en particulier. Il ne le serait donc pas encore suffisamment aujourd’hui.

Les hommes, leurs talents, leurs intelligences individuelles et collectives ne seraient pas considérés à leur juste place dans l’économie de marché globalisée dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui.
 

 
Alors, quelle était la volonté originelle de l’auteur quand il a prononcé cette phrase ?

L’initiateur souvent oublié de ce précepte RH est Jean Bodin (1529-1596). Cette phrase, il ne l’a pas prononcée, mais écrite. Elle est tirée du livre V de son livre Six Livres de la République, chapitre II ayant pour titre – attention prenez votre respiration- : « Les moyens de remédier aux changements des Républiques, qui adviennent pour les richesses excessives des uns, et pauvreté extrême des autres ».

À lire posément également, la citation complète est la suivante :

« Or il ne faut jamais craindre qu’il y ait trop de sujets, trop de citoyens : vu qu’il n’y a richesse, ni force que d’hommes : et qui plus est la multitude des citoyens (plus ils sont) empêche toujours les séditions et factions : d’autant qu’il y en a plusieurs qui sont moyens entre les pauvres et les riches, les bons et les méchants, les sages et les fous : et il n’y a rien de plus dangereux que les sujets soient divisés en deux parties sans moyens : ce qui advient ès Républiques ordinairement où il y a peu de citoyens ».

 

Pour Jean Bodin, la richesse constitue donc la valeur suprême. C’est la fin ultime de la vie sociale. Pour ce penseur, il ne suffit pas d’injecter du travail et du capital pour atteindre le Graal de la croissance déjà recherchée à l’époque. Le bien-être des hommes est aussi un facteur clé. Moi je dis : SUPER !

Problème : on a fait des Hommes et de leur bien-être le moyen d’une fin – l’accumulation de richesses – et non une fin en soi.

Comme le souligne le Pape François en dénonçant « la dictature de l’économie sans visage » : « l’être humain est considéré aujourd’hui comme étant lui-même un bien de consommation qu’on peut utiliser, puis jeter » ; « l’argent doit servir, il ne doit pas gouverner ».

Cette maxime tronquée de Jean Bodin pose donc une question bien contemporaine. Et le sens voulu de son auteur est à l’opposé de son usage actuel.

Ce n’est pas le confort des salariés qui était visé, mais bien l’accroissement de la population française. Jean Bodin est en effet l’un des précurseurs du mercantilisme dont on ne peut pas dire que l’Homme soit au cœur des priorités. Selon ce mouvement, la population sur laquelle règne le monarque détermine la puissance de la monarchie. Autrement dit, le nombre des habitants fait la richesse de l’État. Aussi, il préconise logiquement une politique démographique forte en encourageant le mariage, les familles nombreuses et l’immigration.

« Il n’est de richesse que d’hommes » signifie donc « plus la population est grande plus grande est la richesse du gouvernant ». Appliqué à la fonction RH, ça donnerait « plus mon effectif est important, plus grand est mon pouvoir ». C’est le « toujours plus » qui est prôné et non le « mieux de tous ». Tout un programme de société !

Bref, nous utilisons l’adage « il n’est de richesse que d’hommes » pas forcément à mauvais escient, mais plutôt à contre-emploi.

 

Préférons alors la citation d’Antoine de Saint-Exupéry :

« La grandeur d’un métier est avant tout d’unir les hommes ; il n’est qu’un luxe véritable et c’est celui des relations humaines ».

Crédit photo : © Bettmann/Corbis

 

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Thomas est expert des Ressources Humaines et du Marketing. Il accompagne depuis plus de 25 ans les DRH et leurs partenaires dans l’intégration du digital dans leur stratégie de marque qu’elle soit employeur ou corporate.

Il est par ailleurs spécialiste des technologies dédiées au management des RH, Vice-Président du Lab RH, Co-fondateur de HR Technologies France, senior advisor de start-ups RH, conférencier, intervenant au CNAM, Sciences Po Paris et à la Sorbonne.

Il est l’auteur de « DRH, mission ou démission, 3 pistes d’action à l’heure du choix » aux éditions Diateino.

Voir les commentaires

    • De rien. c'est toujours un plaisir que de partager sur cette thématique. ;-))

  • Pas d accord avec cette analyse simpliste. "Plus mon effectif est grand plus j ai de pouvoir"... C est inepte. A mon sens. Le DRH ne recherche pas le pouvoir !!!! C est quoi cette vision élitiste du poste ? L homme est une richesse exploitable certes . Pour autant le DRH n est pas le seul a exploiter cette richesse . C est le "patron" qui en use ! Le DRH n est qu un exécutant . Sans pouvoirs réels. Bref , arrêtez de laisser croire que nous sommes détenteurs de pouvoirs ... Un DRH obéit à son patron et stop.

    • Bonjour Gildas,

      Effectivement, nous ne sommes pas d'accord : "Le DRH n est qu'un exécutant . Sans pouvoirs réels". Je pense l'inverse." Je pense et souhaite l'inverse. Quant à l'analyse simpliste, elle n'exprime pas une volonté ni même un constat sur la situation des DRH mais traite de l'usage parfois à mauvais escients de la maxime de Jean Bodin. Bref, dans DRH, il y a le H bien sûr mais il y a aussi le D de direction.

  • Votre analyse ne prend pas en considération le contexte de l'époque. Bodin propose une vision humaniste de la politique et de l’économie en affirmant que la vraie richesse n’est pas seulement matérielle, que la force d’un pays réside dans sa population et surtout sa diversité. Ajoutons que Jean BODIN est le premier anti-esclavagiste en France... Ceci n'est pas très compatible avec votre interprétation, je rejoins Gildas, très simpliste. "Devons-nous opposer les intérêts économique avec ceux des salariés ?", c'est plutôt ça, la question à poser.
    Je vous invite à consulter le site d'un syndicat d'un nouveau genre. Il s'agit du SMILE dans le groupe SFR - NUMERICABLE.
    Il se trouve que sa devise est "Il n'est de richesses que d'hommes". http://www.smile-sfr.fr

    • Jean Bodin n'a jamais parlé de salariés. Pour lui, la finalité est l'accumulation de richesses dont un des moyens est le développement de la population (pas forcément active d'ailleurs). Il est un des précurseurs du mercantilisme.
      En cela, mon billet n'a pas d'autre objectif que de 'interroger sur l'usage d'un certain nombre de maximes parfois contraire à la pensée originelle de leurs auteurs. Qu'on réutilise « il n’est de richesse que d’hommes » pour défendre l'intérêt des salariés et comme étendard de la mission des DRH me laisse songeur.

      Quant à la question "Devons-nous opposer les intérêts économique avec ceux des salariés ?", nos colonnes vous sont ouvertes pour y répondre (tribune interview, etc.)... en espérant une interprétation moins simpliste que cet article.

  • M. Chardin,
    et behhh moi j'aime votre analyse, même si je m'y suis mis à plusieurs fois pour la lire et la comprendre.
    voilou.

    Longue vie à ce blog, que je viens de mettre en favori.

    Jean François PAL - société Virtual-IT
    Gérant émérite (un peu essoufflé ...) d'une super entreprise Toulousaine d'une dizaine de personnes, qui aurait bien besoin de précieux conseils d'un DRH bienveillant.
    Bonne soirée à tous

    • Merci Jean-François pour ce commentaire enthousiasmant !

      Me voilà ragaillardi et prêt pour un nouvel article que j'espère moins compliqué à la lecture.

      Bonne journée.

  • Pour ma part, je le comprends différemment selon l'époque considérée.
    Cet article est excellent si replacé dans le contexte où vécut Jean Bodin, soit le XVI° siècle. A l’époque : pas de machine !
    Aujourd'hui, la richesse de la ressource humaine (oui "ressource") est son intelligence pour innover et non plus la force par le nombre. C'est une question de contexte.
    Je serais intéressé par un article qui parle de l'impact des Hommes sur leur organisation.
    Merci.

    • Merci Frédéric pour votre commentaire. OUI ! Vous avez raison : tout est histoire de contexte ou du contexte de l'histoire. "Il n'est de ressource que d'intelligences" pourrait être l'objet d'un prochain article... Vous vous lancez dans une tribune "invité" ?

  • Hello Thomas,
    bel article !
    J'aimais bien cette phrase que je faisais suivre par : "S'il n'y a de richesse que d'homme, encore faut-il savoir à qui va la richesse et ce que deviennent les hommes..."
    Amicalement
    Jean

  • Super!! Merci pour cet article; nous avons de temps en temps besoin d'émonder les notions "à tort" et se remettre à niveau. Moi je suis étudiant en Master 1 GRH (Afrique; Bénin) et trouve tout mon intérêt à la bonne ou la juste info.
    Toutefois, une analyste moins "facile" favoriserait une actualisation utile de la pensée des "classiques"....

  • Merci pour ce précieux éclairage . Pour ma part, la véritable richesse n'est pas de considérer l'Homme comme une ressource humaine mais de lui permettre d'exprimer ses propres ressources souvent insoupçonnées.

  • Je ne résiste pas à réagir moi qui porte le titre de Directrice des Richesses Humaines depuis un an et demi !!! Richesses est aussi synonyme de diversité en effet ! Et j'ai le sentiment que mon rôle est de favoriser cette diversité : faire émerger le "travailler ensemble"quels que soient les métiers, faire preuve d'humilité, se remettre en cause, considérer qu'il y a des talents chez tout collaborateur (j'adhère très peu au principe de la gestion des talents centrer sur qques collaborateurs), donner envie... Et pour cela, pour gérer les richesses des hommes et des femmes, pour faire ressortir ces richesses, il faut de la diversité, des générations différentes, des origines, des formations différentes ! Bref, il faut mélanger les richesses pour créer de la richesse ! Alexandra- DRH

    • Pour changer d'ère, la fonction RH cherche son R... Comme un R de diverRsités souffle sur les RH chez Australie... Risques, Relations, Réseaux, Ressources, Richesses... Sans se donner de grands airs, cela reste l'air qui fait la chanson.

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