tribunes

Et maintenant, comment faire de la DRH une fonction essentielle ?

On dit souvent que la crise sanitaire a permis de mettre en lumière les métiers véritablement utiles à la société. Dans la liste, personne ne songerait à mentionner les DRH. Et pourtant… depuis mars 2020, certains secteurs de l’économie sont à l’arrêt, d’autres au ralenti, d’autres encore en surchauffe. Mais toutes les entreprises ont un point commun : les directions des ressources humaines y tournent en surrégime. Alors, produits non-essentiels, les DRH ? La gestion du capital humain peut devenir plus que jamais une fonction vitale de l’entreprise… modulo plusieurs combats stratégiques que les DRH doivent mener, et une posture qu’ils doivent impérativement (et rapidement) adopter.

Qu’il s’agisse de mettre en place l’activité partielle, le télétravail, le passage au distanciel pour la formation ou le recrutement en 100% digital, les DRH n’ont pas manqué d’occupations pendant cette crise. Ils ont fait ce qu’on leur demande le plus souvent : les pompiers. Ils ont géré le risque, dans l’urgence et la boule au ventre. Mais ils ont aussi pu se consacrer, ce qui arrive plus rarement, à l’innovation RH en mode forcé. Espérons que cette période d’expérimentation obligatoire portera ses fruits dans le « monde d’après ».

Guerre de l’image, guerre des talents, guerre de l’attention : les trois vents contraires du DRH

Mais ne nous leurrons pas : dans bien des cas, les pesanteurs et les freins à l’œuvre avant la pandémie auront tôt fait de reprendre leurs droits. Et avec eux, les 3 vents contraires qui soufflent à la proue de la fonction RH depuis longtemps. Quels sont-ils ?

Le premier de ces vents est l’image : le DRH a une réputation épouvantable. Quand il en a une. Une étude OurCompany de 2017 révélait que pour les salariés interrogés, les premiers qualificatifs qui venaient à l’esprit au sujet du DRH étaient « absent » et « inexistant ». Le DRH est également perçu comme privilégiant l’intérêt de la hiérarchie aux dépens de ceux des salariés, contrairement à la promesse d’humanité contenue dans son titre. Et quand bien même aurait-il des velléités sociales, on le juge impuissant à les mettre en œuvre, ou trop prudent dans leur poursuite (A lire : « Plaidoyer en défense d’un bouc émissaire idéal, le DRH »).

Ce premier vent contraire est d’autant plus dommageable qu’il entrave l’entreprise dans sa lutte contre le deuxième : l’intensification de la guerre des talents. Dans un pays où le chômage conserve un niveau structurel inédit, la proportion d’entreprises qui déclarent rencontrer des difficultés de recrutement croît d’année en année – de moins du tiers en 2016 à plus de la moitié en 2020, selon l’enquête Besoins de main-d’œuvre de Pôle Emploi. Or, selon un rapport de France Stratégie d’août 2017, l’obstacle viendrait bien en partie de l’incapacité des entreprises à identifier précisément leurs besoins et à les formuler : une compétence, justement, très attendue des DRH. Attirer, fidéliser, susciter l’engagement : ces missions essentielles des ressources humaines apparaissent prises en défaut dans nombre d’entreprises françaises. Quand 6 salariés sur 10 déclarent être ailleurs dans leur tête 1 ou 2 jours par semaine (Ipsos/OurCompany, 2020), il y a des questions à se poser tant sur la culture managériale que sur la gestion du capital humain.

Ce qui nous amène au troisième défi à relever pour les DRH : celui de l’attention. Le développement du télétravail ne fait que rendre plus concrète la bataille de l’attention, mais celle-ci lui préexiste. Il y a 24 heures dans une journée, et la concurrence est acharnée pour capter chaque minute de notre temps, entre les annonceurs les plus divers : entreprises commerciales et médiatiques, famille, amis, hobbies, rêves et simple curiosité… L’employeur n’est que l’un des compétiteurs parmi d’autres dans ce ballet permanent du racolage numérique. Le DRH doit jouer sa partition dans cette cacophonie, en rendant l’entreprise intéressante pour les candidats comme pour les collaborateurs. Attirer l’attention, retenir l’attention, mais aussi… faire attention aux individus.

Quel « R » a la DRH ?

Dans ce contexte hostile, quelle est l’identité de la DRH ? L’expression « ressources humaines » rebute beaucoup de monde, en semblant rabaisser l’humain à une ressource parmi d’autres. Mais le « R » de DRH a d’autres sens possibles, qui incarnent les différentes facettes du métier. Il y a le « R » de Risques, qui correspond à l’expertise légale et réglementaire, et qui monopolise une large part du temps de travail des DRH. Le « R » de « Ressources » renvoie à la gestion des talents en réponse au besoin de compétences de l’entreprise. Le « R » de Richesse humaine se situe sur l’autre versant, celui de la valorisation des parcours et des individualités. Enfin, le « R » de Relation positionne le DRH en interlocuteur de proximité des salariés, à l’écoute de leurs questions et de leurs attentes.

En pratique, sur le terrain, le R de Risques prédomine. Même si les DRH, quand on les interroge, aspirent à s’investir davantage dans les trois autres. Ils se voient d’abord, selon une enquête Cegos, dans un rôle de conseil auprès des salariés et des managers, ainsi que de partenaire stratégique du changement. Je crois, pour ma part, que la DRH doit s’échapper du carcan de l’expertise juridico-technique pour s’investir résolument dans la Relation Humaine. L’expression renvoie à une vieille école de pensée issue des années 1930, et tend à revenir à la mode, sous la pression des contempteurs du mot « ressources ». Il reste à lui donner un contenu fort, une méthode, des outils.

Recentrer la DRH sur son cœur de métier : l’Humain

Comment s’y prendre, concrètement ? Comment faire en sorte que le recentrage sur la relation humaine ne se traduise pas par une énième injonction à bien faire qui finira noyée sous le flot des urgences quotidiennes ?

Une possibilité est de décider d’un recentrage radical de la fonction. Dans une DRH, il y a du juridique, du social, du fiscal, de l’administratif, du technologique. Mais aucune de ces compétences ne lui est spécifique. Ce qui définit la fonction RH, c’est son objet : l’humain. Pour se recentrer sur ce dernier, la DRH pourrait se délester de pans entiers de son activité au profit de spécialistes internes ou externes. La paie, la formation, le recrutement sont déjà couramment confiés à des prestataires. Mais ils pourraient aussi bien l’être à d’autres directions : le juridique à la direction du même nom, la paie et l’administratif à la direction administrative et financière, l’achat de formation à la direction des achats… C’est un pas plus radical encore, parce que cela suppose, pour un DRH, de se déposséder de ce qui peut lui apparaître comme des parcelles de pouvoir. Mais c’est à ce prix qu’il pourra se recentrer sur son cœur de métier : l’écoute et l’accompagnement de l’humain.

Il s’agit, en somme, d’appliquer à la fonction RH la logique de l’externalisation : confier à des experts les tâches techniques à moindre valeur ajoutée, pour se consacrer à sa propre expertise, celle véritablement contributive au développement de l’entreprise.

Exploiter les possibilités du marketing RH

Deuxième piste d’action : une fois dégagé le temps nécessaire à développer son rôle de « direction des relations humaines », la DRH a besoin d’outils, de méthodes, pour y parvenir. Les outils du marketing RH me semblent les mieux à même de répondre à un triple besoin : percevoir l’environnement, innover, asseoir la crédibilité de la fonction.

Le marketing RH, rappelons-le, consiste dans un premier temps à identifier le « marché » de la DRH, composé de ses parties prenantes (collaborateurs, managers, dirigeants, candidats…) ; puis à lui appliquer les recettes et les outils du marketing client. En segmentant ce marché en différentes cibles, en les interrogeant sur leurs attentes et leurs perceptions, en étant à l’écoute de leur feedback, le marketing RH permet à la DRH d’avoir une visibilité claire sur son environnement. Elle peut alors mettre en place une offre de services RH pertinente et remédier aux irritants identifiés par ses cibles. Un cycle écoute – identification – innovation – évaluation – rectification peut se mettre en place et susciter un processus continu d’amélioration de l’expérience collaborateur, de l’expérience manager et de l’expérience candidat.

C’est avec ce type de démarche que la DRH pourra véritablement prendre sa place au sein de l’entreprise et jouer pleinement son rôle : non pas celui de sous-direction interservices affiliée au juridique et à l’informatique, mais celui de spécialiste de la principale ressource de l’entreprise : l’humain.

Tirer les leçons de la crise sanitaire

Car oui, l’humain est le moteur de l’entreprise. Même si un usage abusif de ce propos a pu en faire un mantra managérial creux, il faudrait être fou ou aveugle pour ne pas voir, après la crise que nous venons de traverser, que l’entreprise tient avant tout sur ses collaborateurs, leurs compétences et la qualité de leurs relations. Quand les locaux ne sont plus là pour incarner l’entreprise, quand tout ou partie de l’appareil productif est à l’arrêt forcé, quand la pérennité de l’organisation est suspendue à la reconstitution quotidienne d’une communauté virtuelle, force est de reconnaître que l’entreprise est, avant tout, une collectivité de femmes et d’hommes engagés vers un même but.

Dans le monde d’après, il sera très tentant de revenir aux méthodes d’avant. Il va y avoir un gros travail d’inventaire à effectuer : qu’est-ce qui a marché pendant la crise ? Que nous a-t-elle appris ? Que faut-il garder ? Que faut-il changer ? Que faut-il inventer de nouveau ? Il n’y aura pas de réponses uniques à chacune de ces questions. Mais la DRH, armée de son trousseau d’outils marketing RH, est incontestablement la mieux placée pour y répondre de façon pertinente, informée et innovante. Il y a un rôle à prendre. Pour le saisir, il lui faudra faire preuve d’une qualité essentielle : l’audace. C’est à cette audace, faite d’innovation et d’affirmation de soi, que j’invite aujourd’hui l’ensemble des DRH.

« Quoique tu rêves d’entreprendre, commence-le. L’audace a du génie, du pouvoir, de la magie » Goethe.

Le propos précédent est développé dans un ouvrage : « DRH : mission ou démission, 3 pistes d’action à l’heure du choix » aux Editions Diatéino.

Crédit photo : Shutterstock / ahmad ayub prayitno

Thomas est expert des Ressources Humaines et du Marketing. Il accompagne depuis plus de 25 ans les DRH et leurs partenaires dans l’intégration du digital dans leur stratégie de marque qu’elle soit employeur ou corporate.

Il est par ailleurs spécialiste des technologies dédiées au management des RH, Vice-Président du Lab RH, Co-fondateur de HR Technologies France, senior advisor de start-ups RH, conférencier, intervenant au CNAM, Sciences Po Paris et à la Sorbonne.

Il est l’auteur de « DRH, mission ou démission, 3 pistes d’action à l’heure du choix » aux éditions Diateino.

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