L’entreprise à mission : les entrepreneurs sont mûrs

Dans le cadre du « plan d’action pour la croissance et la transformation de l’entreprise » (Pacte) proposé par le gouvernement, la réflexion a été lancée autour de l’ « entreprise à mission ». Il s’agirait de créer une nouvelle forme juridique d’entreprise qui permettrait d’intégrer des objectifs d’intérêt général dans la finalité même de l’entreprise. Qu’en pensent les entrepreneurs, dans un monde où le besoin de sens dans le travail s’affirme toujours plus ? Le cabinet de conseil et d’études Prophil a conduit une enquête sur la question avec HEC et Viavoice, dont les résultats sont synthétisés dans l’infographie que nous vous présentons aujourd’hui.

 

Une enquête quantitative auprès des dirigeants d’entreprise

A quoi sert l’entreprise ? La question revient régulièrement dans les débats théoriques. Les uns se targuent de réalisme en faisant du profit la finalité de l’entreprise – pour s’en réjouir ou le déplorer. Les autres décrivent à grand renfort d’envolées lyriques une entreprise 100% citoyenne, généreuse et d’abord pourvoyeuse d’intérêt général. Sur le terrain, force est de constater que les deux dimensions sont étroitement liées. Le profit reste le moteur de l’entreprise – la condition de sa pérennité. Celle-ci reste en outre indissociable de son environnement et de ses finalités sociétales. Le rapport Notat – Sénart, présenté début mars aux ministres concernés, résume ce point en deux phrases : « Chaque entreprise a donc une raison d’être non réductible au profit. C’est d’ailleurs souvent lorsqu’elle la perd que les soucis financiers surviennent. » La question n’est pas seulement juridique ou philosophique : elle a d’importantes conséquences en matière de gestion des ressources humaines, à l’heure où la question du sens et de l’engagement est au coeur des questionnements managériaux.

Prophil a mené l’enquête en février 2018, en réalisant 623 entretiens téléphoniques avec des dirigeants d’entreprise. L’infographie résume les principaux résultats de cette enquête quantitative, qui sera suivie d’une étude qualitative construite à partir de 20 entretiens approfondis.

 

Les 5 critères qui font « l’entreprise à mission »

Pour mener l’enquête sur l’entreprise à mission, les auteurs commencent par préciser ce qu’ils entendaient par cette expression. Les 5 critères retenus ne correspondent pas aux 4 qui sont évoqués dans la recommandation n°12 du rapport Notat – Sénart : ces derniers sont de nature plus technico-juridique, même s’ils relèvent de la même logique.

Pour être considérée comme une entreprise à mission, selon l’enquête Prophil, une organisation doit donc :

  • S’engager explicitement à produire un impact sociétal positif ;
  • Formaliser explicitement, pour ce faire, une mission spécifique, en l’inscrivant dans ses statuts ou un autre document officiel ;
  • Avoir un modèle économique cohérent avec la mission, c’est-à-dire financer celle-ci ;
  • Partager équitablement la valeur ajoutée produite par l’entreprise ;
  • Mesurer l’atteinte des objectifs liés à la mission d’intérêt général, et en assurer le suivi.

Avant même la création du statut, certains entrepreneurs se reconnaissent déjà dans ces critères : c’est le cas de 15 % des dirigeants interrogés. Près de la moitié du panel estime en outre qu’il y a un potentiel de développement important pour ce genre d’entreprises en France.

 

Le statut d’entreprise à mission : un avantage compétitif ?

Se poser la question n’est ni cynique ni paradoxal : l’entreprise à mission a précisément pour but de concilier rentabilité et intérêt général, en mettant la première au service du second – et, pourquoi pas, vice-versa.

Interrogés sur ce point, les dirigeants sont près de 7 sur 10 à bien voir que le fait d’être une entreprise à mission permet de « mettre le développement durable au cœur de la stratégie de l’entreprise », et de « répondre aux défis sociétaux d’aujourd’hui et de demain ». Ce qui, en soi, les positionne en phase avec des tendances de fond de l’économie et avec l’essor de marchés en pleine croissance.

Il y a également un bénéfice d’image évident, selon les personnes interrogées. En matière de gestion des ressources humaines, vis-à-vis des salariés et des futurs salariés, d’abord : pour 73 % des répondants, le statut d’entreprise à mission est bon pour la marque employeur. Mais c’est encore plus le cas en matière commerciale, vis-à-vis du marché : 83 % des dirigeants estiment qu’une entreprise « améliore son image auprès de ses clients » en devenant entreprise à mission.

 

En définitive, même si tous les dirigeants ne se voient pas forcément endosser le rôle de patron d’entreprise à mission, la demande pour créer un nouveau statut de ce type est bien là. 68 % d’entre eux sont favorables à une législation qui aille dans ce sens. 65 % pensent même que toutes les entreprises devraient pouvoir « inscrire formellement une mission spécifique dans leur objet social ». L’idée que l’entreprise sert non seulement une communauté de parties prenantes (salariés, actionnaires, clients, fournisseurs) mais plus généralement l’intérêt commun a donc largement progressé dans l’opinion chez les premiers intéressés : les dirigeants eux-mêmes. C’est le message que nous envoie l’étude : tous les feux sont au vert !

Vous pouvez télécharger l’étude complète sur le site de Prophil.

 

Bertrand écrit depuis 1999 pour les entreprises et les institutions, sur les grands enjeux socio-économiques, les RH et la protection sociale. Auprès d’un organisme interprofessionnel nordiste, en freelance après 2010, puis au sein de Parlons RH, il s’attache à rendre accessibles des problématiques complexes sous tout format, du livre d’histoire au billet de blog. Bertrand est diplômé de l’IEP Paris et titulaire d’un Master II en histoire économique contemporaine.

Voir les commentaires

  • Bilan social, reporting RSE, objectifs "ODD", orientations de l'ISO 26000... Je pense que les entreprises peuvent depuis longtemps donner une orientation sociale et/ou sociétale à leur stratégie de développement économique et politique RH, sans forcément passer par la certification ou un statut associatif à but non lucratif. Cependant, comme semblent le révéler l'affaire Kering et l'enquête portant sur les chargés de mission RSE, il manquerait parfois une certaine cohérence globale... La conviction du dirigeant et les valeurs partagées seront indispensables pour faire entrer l'entreprise dans l'ère du développement économique durable.

    • Merci pour votre commentaire, dont je partage largement le contenu ! Un statut juridique d'entreprise à mission ne sera qu'un outil, et ne remplacera pas un véritablement engagement. Cela n'empêche pas que l'outil puisse être pertinent, ceci dit.

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