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Difficultés de recrutement dans les métiers de terrain : et si le personnel remplaçant se trouvait déjà dans votre écosystème RH ?

Face à un déficit d’attractivité et à une hausse des absences de personnel terrain, les entreprises dont la majorité des métiers sont exercés par des ‘cols bleus’ doivent bien souvent recruter dans l’urgence, mais avec de grandes difficultés. Pour Quentin Guilluy, co-fondateur et CEO d’Andjaro, les viviers internes sont la clé. Avant même de se lancer dans un recrutement externe, ces organisations gagneraient à développer leur stratégie de staffing, et à améliorer la visibilité sur leur personnel déjà disponible. Interview.

Pensez-vous que les employeurs aient un rôle à jouer face aux difficultés de recrutement exprimées sur des métiers de terrain et des populations cols bleus ?

Il y a des difficultés de recrutement dans la plupart des métiers cols bleus, et elles sont sans doute dues à un repositionnement du travail dans la vie personnelle des individus. Les candidats et les salariés sont moins “malléables” qu’avant, et nourrissent de nouvelles attentes, notamment en matière de rémunérations et de conditions de travail. Mais la pénurie de candidats pour certains métiers m’apparaît aussi comme un effet de mode. Si l’on se réfère à la dernière enquête « Besoins en Main-d’Œuvre » (BMO) de Pôle emploi, les recrutements jugés difficiles avoisinaient les 50 % en 2019, contre 58 % aujourd’hui. Les chiffres ne sont pas passés du simple au double sous l’effet du Covid-19 : cette problématique existait déjà bien avant.

Finalement, il est permis de se questionner : assistons-nous réellement à des pénuries de candidats, ou plutôt à un remodelage du marché du travail ? J’ai tendance à penser que le problème n’est pas tant la baisse du chômage (qui reste tout de même à un taux de 7 % en France), que le fait que les flux vont beaucoup plus vite. Si les entreprises peinent autant actuellement, c’est peut-être donc, tout simplement, parce qu’elles évoluent dans un espace-temps différent de celui des candidats. En conséquence, les employeurs doivent s’adapter, et aller eux aussi beaucoup plus vite dans la manière dont ils s’adressent aux candidats. Des candidats qui changent d’entreprise beaucoup plus rapidement qu’autrefois, et qui sont capables de rompre leurs périodes d’essai en un claquement de doigts.

L’enjeu pour les entreprises est non seulement d’améliorer leur marque employeur et leur visibilité, mais aussi de développer un vrai vivier de candidats et de personnels, qu’elles pourront solliciter au bon moment. Il est d’autant plus important que la désorganisation actuelle des organisations dans le recrutement a des conséquences importantes sur leur business. Il y a une pression qui pèse sur la gestion des effectifs, à tous les niveaux, qu’il s’agisse de recrutements de CDI ou de recrutements pour des besoins ponctuels.

On parle souvent de recruter pour pallier un besoin de personnel. Existe-t-il selon vous des alternatives, en particulier sur les métiers dits pénuriques ?

Pour combler des postes inoccupés en temps et en heure, les entreprises vont devoir faire preuve de créativité. Or, on peut constater qu’il existe d’énormes viviers d’heures disponibles non sollicités. En France, 30 % des temps partiels sont subis : il s’agit d’individus susceptibles de travailler plus, à condition qu’ils soient informés que la démarche est possible. Chez Andjaro, nous estimons que 10 à 15 % de salariés seraient volontaires pour effectuer des heures supplémentaires et venir en renfort, tous les jours !

Beaucoup d’entreprises se focalisent sur l’intérim, et négligent les heures sup’… alors que si l’intérim est plus efficace, il est aussi sous tension. Les process sont en outre peu digitalisés et peu efficaces : ils reposent encore, bien souvent, sur le téléphone ! Aux employeurs, donc, de rendre le mécanisme de sollicitation des heures sup’ beaucoup plus qualitatif.

La clé pour mieux récupérer ces viviers, c’est simplement de les solliciter. Les entreprises doivent d’abord créer une vraie stratégie autour de la flexibilité au travail, et cesser de subir la manière dont elles pourvoient les postes tous les jours. Elles doivent ensuite structurer et coordonner des viviers. Enfin, elles doivent faire preuve d’une bien plus grande maîtrise de la manière dont elles sollicitent ces viviers. Arrêter de tenter leur chance tous les matins, mais disposer de vrais process d’identification et de sollicitation des volontaires, coordonnés et gérés d’une manière uniforme.

L’enjeu réside dans la planification et la structuration. L’idée est d’avoir une vision exhaustive du personnel disponible, et d’être assez réactif pour les solliciter en temps et en heure. Voici donc la vraie clé : réussir à identifier dans son organisation, quel que soit son périmètre, toutes les personnes volontaires pour travailler plus ; puis les contacter suffisamment vite pour répondre à des besoins de personnels qui peuvent être si urgents que l’on ne peut se permettre d’attendre ou de compter sur la chance.

Sur quels leviers et outils la fonction RH peut-elle capitaliser ?

La planification, c’est la capacité à structurer les choses. On ne peut pas améliorer ce qu’on ne mesure pas. Or, à l’heure actuelle, force est de constater que la flexibilité n’est pas suffisamment mesurée dans les organisations. On ne l’appréhende qu’à travers l’intérim, c’est-à-dire via l’offre (externe). Mais si les entreprises souhaitent avoir une vision exhaustive et réelle de la situation, elles ont tout intérêt à mesurer la demande, c’est-à-dire les besoins de personnel.

Les dirigeants se focalisent encore trop souvent sur les intérimaires, et oublient d’analyser les taux d’absentéisme de leurs sites, ainsi que l’apport des heures supplémentaires et des CDD, comparé à ce qui n’est pas pourvu. Leurs logiciels ne les informent parfois que sur ce qu’ils dépensent en intérim, ou calculent le nombre de CDD et d’intérims pris, mais avec des indicateurs différents (euros, ETP), sans comptabiliser les heures sup’. Si bien que le delta de postes non staffés n’est jamais mesuré.

Les employeurs gagneraient donc à piloter leurs recrutements par la demande, et non par l’offre, en se penchant sur le besoin de main d’œuvre. Ils ont besoin de piloter des données qui leur permettront de comprendre où part leur demande (vers quels types d’offres), afin d’avoir une notion de l’existant suffisante pour définir la meilleure stratégie de flexibilité possible. Autrement dit, il s’agit de mettre en place des outils de mesure qui leur permettront de faire un diagnostic, et ensuite de structurer la manière dont elles pourvoient les postes tous les jours.

Finalement, l’idée n’est-elle pas d’adopter une vision différente du recrutement ?

Le recrutement n’est pas seulement externe. La priorité pour l’entreprise devrait donc être de connaître ce qui se passe en son sein, avant de puiser dans des ressources externes. En cas de poste à pourvoir, le premier vivier de candidats se trouve au sein même de l’organisation (CDI, temps partiel, collaborateurs volants) : ces candidats sont déjà qualifiés, acculturés à l’entreprise et ne nécessitent pas de démarche de recrutement chronophage. L’enjeu est d’avoir une visibilité sur l’ensemble de ces profils en temps réel, puis de pouvoir identifier ceux disponibles pour les solliciter, tout en autorisant les heures sup’ ; bien avant de se tourner vers des candidats extérieurs, qu’ils soient en CDI, en CDD ou en intérim.

Dans notre dernier livre blanc intitulé « Comment reprendre le pouvoir sur vos recrutements cols bleus », nous rappelons que s’il y a une vraie problématique de recrutement à l’échelle nationale et structurelle, il est tout à fait possible, à celle de l’entreprise, de contourner cet obstacle. Il ne s’agit absolument pas d’une fatalité : l’organisation qui mettra en place une bonne politique de recrutement et de gestion des remplacements sera tout à fait capable de tirer son épingle du jeu.

Les enjeux pour l’entreprise touchent à l’organisation, à l’attractivité, à la politique salariale et à la réactivité ; mais à son niveau, la pénurie n’est pas insurmontable. Avec 7,4% de chômeurs en France, le manque de candidats n’est pas une excuse, car elle se joue surtout à un niveau macroéconomique. Tout repose finalement sur la façon dont les dirigeants placent le curseur, en matière de priorités, sur la gestion du personnel. Enfin, l’idée est de flexibiliser l’emploi, mais sans le précariser. Une fois que l’organisation arrête de subir et d’enchaîner les contrats courts, elle peut anticiper et mieux répartir ses effectifs, notamment ceux en CDD.

Crédit photo : Shutterstock / 1st footage

Avant de rejoindre Parlons RH en tant que Chef de projet média, Fabien était journaliste et community manager pour Courrier Cadres. Il a également écrit, en tant que freelance, pour plusieurs sites et magazines économiques et high-tech. Au fil de ses expériences, Fabien a développé une solide expertise éditoriale en matière de management et de RH. Il est diplômé de l’École de journalisme de Toulouse, titulaire d’une Licence d’Histoire et d’un Master 1 de chargé de communication obtenu à l’EFAP.

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